Voxnr – Emprise

Sadiq Khan à la Mairie de Londres : So What !

Q: Bonjour Jacques Borde, Vous avez suivi la victoire du candidat travailliste à la mairie de Londres, que vous inspire-t-elle ?

Jacques Borde: Pour notre premier entretien, je vais vous décevoir : Assez peu de chose, en fait. Désolé. Je pense la victoire de Sadiq A. Khan était aussi prévisible et attendu que le scenario de La Colère de Khan1 ! Navet de science-fiction hollywoodien bien connu…

Q: Que voulez-vous dire ?

Jacques Borde: Que nous autres Français découvrons quelqu’un qui est tout sauf un nouveau venu sur l’échiquier politique grand-breton, si je puis m’exprimer ainsi.

Découvrir Sadiq A. Khan, comme le font nos gazetiers germanopratins et autres analphabètes géopolitiques, c’est un peu (re)découvrir l’eau tiède. Sadiq A. Khan a été ministre a deux reprises, son rival, le Posh2 jusqu’à la caricature Zac Goldsmith jamais !

Certes un fils d’un immigré pakistanais conducteur d’autobus, a battu un conservateur plutôt réac Zac Goldsmith fils de milliardaire3, avec 57% des suffrages, obtenant 1.310.143 voix contre 994.614 pour Goldsmith. Et après, So What comme disent les Anglois ?

Q: Pas une nouveauté, dites-vous ?

Jacques Borde: Oui et non. Ville cosmopolite par essence, Londres a élu un maire cosmopolite ! Naturellement cela repose pour partie sur la personnalité de Sadiq A. Khan. Mais pas seulement…

Q: Que voulez-vous dire par là ?

Jacques Borde: Député de Tooting, un quartier populaire du sud de Londres, Khan succède à la mairie de la capitale, surtout parce qu’il était le candidat travailliste et anti-Brexit dans une circonscription – le Grand Londres – connue pour son cosmopolitisme (dans le sens classique du terme) et qu’il a fait, en bon élu local, une campagne de terrain classique dans un environnement connu de lui et où il était favorablement connu du Londonien lambda.

L’excentricité à Londres, c’était, juste avant lui, le conservateur Boris Johnson, partisan d’une sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne et courant après le poste de Premier ministre.

Maintenant ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Le facteur spécifique de Londres a joué.

Q: Qu’entendez-vous par là ?

Jacques Borde: Londres, citons, ici, Jean-Pierre de la Roque, c’est « une mégalopole où l’on parle 300 langues et dont un tiers des habitants sont nés à l’étranger »4.

Comme l’a déclaré Laetitia Strauch Bonnart5, interrogée par Figaro Vox, « Cette victoire reflète le profond changement démographique qui s’est opéré en Grande-Bretagne et surtout à Londres depuis les dernières décennies, puisque les musulmans représentent aujourd’hui 12,4% de la population de la capitale… »6.

Mais 13% de la population, désolé, ça ne fait pas non plus une majorité. D’ailleurs, un partie des Asians7 ne sont même pas musulmans. Et les statistiques ne permettent pas de faire un différence entre les électeurs hindous, sikhs ou chrétiens venant du sous-continent. Sans parler de tous ceux venant du reste de la planète.

Par ailleurs, note encore Laetitia Strauch Bonnart, « …le fait même de se concentrer sur l’identité religieuse de Khan pose problème : c’est réduire la politique à une  »politique d’identités », où l’origine et l’appartenance comptent davantage que les programmes politiques. C’est aussi penser que les électeurs se déterminent en fonction de ces identités, alors que la victoire de Khan a certainement d’autres facteurs, à commencer par la faiblesse de son principal opposant conservateur, Zac Goldsmith »8.

Q: Son élection, en tout cas, a fait le buzz au Pakistan ?

Jacques Borde: Si l’on veut. Effectivement, mais, là, je note surtout le soutien bruyant du chef de file du parti (d’opposition) Pakistan People’s Party et fils de l’ex-Première ministre Benazir Bhutto, Bilawal Bhutto, affirmant que les « Pakistanais de Grande-Bretagne ont un maintenant nouveau modèle ». Médiatique certes, mais pas si flatteur que ça pour le membre du Labour qu’est Sadiq A. Khan. Le PPP et le clan Bhutto sont surtout emblématiques de la corruption endémique du pays, non de sa modernité.

Mais, là encore, nous sommes dans la cosmétique pas la politique.

Je pense, qu’à terme, Khan va vite rentrer dans le moule de la vie politique britannique, somme tout assez policée. D’ailleurs, cela avait déjà commencé bien avant sa campagne électorale londonienne. Je pense que si François Hollande n’a jamais été le président normal qu’il prétendait être, Sadiq A. Khan a contrario ne sera pas le maire hors de la normalité eatonienne qui caractérisait son adversaire, dont il a joué pour se faire élire.

Q: Et son passé sulfureux ?

Jacques Borde: Là aussi, je suivrai assez Laetitia Strauch Bonnart, lorsqu’elle estime qu’ « Il est très difficile de répondre à cette question. Les activités professionnelles de Khan – il était avocat spécialiste des droits de l’homme – l’ont, dit-il, mené à côtoyé des représentants de l’islam radical, voire à dialoguer avec eux lors de débats. Mais comment distinguer ses obligations professionnelles d’une possible tolérance indue ? »9.

Mais, surtout, comme le note Laetitia Strauch Bonnart, « On observe surtout un changement d’attitude depuis dix ans. En 2004, il a par exemple participé, en tant que candidat à la députation pour le Labour, à une conférence avec cinq extrémistes islamistes, organisée par Friends of Al-Aqsa, un groupe pro-palestinien qui a publié des travaux du révisionniste (selon les termes du Guardian) Paul Eisen. À cet événement, les femmes devaient emprunter une entrée distincte des hommes ! La même année, président des affaires juridiques du Muslim Council of Britain, il a participé à la défense de l’intellectuel musulman Dr. Yusuf Al-Qaradawi et nié le fait que celui-ci soit un extrémiste. Il est pourtant l’auteur d’un livre, The Lawful & Prohibited in Islam, où il justifie la violence domestique à l’égard des femmes et soutient les opérations martyres contre les Israéliens »10.

Oui, ça c’est pour le côté sombre de Sadiq A. Khan. Mais, pendant la campagne électorale, Khan n’a cessé de dénoncer l’extrémisme. Jusqu’à demander la suspension de son petit camarade Livingstone11 après ses remarques… antisémites. En bon politique, Khan coupe les branches inutiles, alors que lui et Livingstone avaient des opinions très proches, notamment sur le Proche-Orient et ses guerres.

Q: Pas très élégant, diront certains…

Jacques Borde: Certes, mais, désormais, Sadiq A. Khan est une personnalité politique de premier plan. Il doit donner des gages et lisser son profil…

Q: Des zones d’ombre ?

Jacques Borde: Même pas. Mais quelques pages à faire oublier, comme lorsqu’en 2006, élu député, Khan figurait parmi les signataires d’une lettre au Guardian qui attribuait la responsabilité des attentats terroristes12 à Londres à la politique étrangère britannique en faveur d’Israël.

Mais, là encore, Londres n’est pas Paris et la BBC encore moins France-2 & 3. On y aborde les questions d’Orient avec beaucoup plus d’âpreté que que sur les plateaux TV parisiens.

Q: Le contexte européen, nous sommes en pleine campagne autour du Brexit, a-t-il joué ?

Jacques Borde: Oui, à fond. Et beaucoup plus que le côté communautariste du bonhomme. Sadiq A. Khan est un Travailliste europhile. Pas vraiment une grande nouveauté, mais un atout d’importance dans une Londres inquiète de son avenir de celui de sa City.

Face au pro-Brexit Goldsmith, Sadiq A. Khan a eu beau jeu de qualifier la position de son concurrent de « dangereuse pour la sécurité des emplois et les conditions de vie des Londoniens »13. Et, à bien des égards, Sadiq A. Khan, s’est vu tirer les marrons du feu par le Chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances), George Osborne, et ses 200 pages sur les scenarii catastrophes de la sortie de l’euro.

Q: Qu’est-ce à dire ?

Jacques Borde. Pour faire court : Osborne, conservateur et anti-Brexit de choc, a publié un rapport examinant trois hypothèses principales de sortie de l’Union : aucune des trois n’amenant de concluions favorables pour le Royaume-Uni, allant de :

1- Un PIB rogné de 3,8% sur 15 ans, soit 3.345 euros perdus par foyer.

2- Un PIB rogné de 6,3% sur 15 ans, soit 5.528 euros perdus par foyer.

3- Un PIB rogné de 7,4% sur 15 ans, soit 6.689 euros perdus par foyer.

Or, rappelons que le Chancellor of the Exchequer, un des quatre Grands offices d’État14, est actuellement la fonction la plus importante au sein du gouvernement après le Premier ministre. À côté de ça, un élu issu de ce que nous appelons, en France, la « diversité » c’est d’un commun outre-Manche.

Ce qu’a confirmé Tony Travers, de la London School of Economics (LSE), qui fait remarquer que l’élection de Sadiq Khan est un « remarquable signe du cosmopolitisme » de Londres, « ville monde » dont 30% de la population est non-blanche.

Ajoutons, que Khan était tout sauf un outsider surgi du néant, c’est un militant Labour depuis sa jeunesse et un élu local depuis les années 1990 : conseiller municipal du London Borough of Wandsworth de 1994 à 2006 et membre du parlement depuis 2005. Au sein du Labour, Sadiq A. Khan se revendique, depuis un bon moment déjà, comme social-démocrate. Pas vraiment de quoi effrayer le populo !

Khan, je vous le redis encore est un homme du sérail. D’abord secrétaire d’État aux Communautés entre 2008 et 2009, il passe aux Transports entre 2009 et 2010, dans le gouvernement du Premier ministre Gordon Brown. Il est réélu député en 2010 et 2015.

Q: donc pour vous, ses origines n’ont pas pavé son chemin vers la victoire ?

Jacques Borde: Avec 12,4% d’électeurs musulmans ? Si, mais pas assez. D’autant que son soutien au mariage gay lui a, d’office aliéné une bonne partie de ce vote musulman (sic). Plus généralement : Vérité en-deçà de la Tamise, erreur au-delà ! Nous sommes au Royaume-Uni, très cher ! S’il y a bien un chose qui n’y surprend plus personne depuis des lustres, ce sont des Asians en pole position, que ce soit en politique ou dans le monde des affaires.

Sadiq Khan, à bien des égards – sauf récemment, campagne électorale oblige – a  beaucoup moins intéressé les media que Mme. Cloney !

Q: Qui donc ?

Jacques Borde: Amal Alamuddin (36 printemps), la très médiatique avocate britannique d’ascendance libanaise. Elle a, notamment, eu pour clients Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, ou encore l’ancien Premier ministre ukrainien Ioulia Tymochenko. Sadiq Khan, ancien avocat des droits de l’Homme, fait (un peu) petit bras à côté de Mme. Cloney. Si on se focalise, bien sûr, sur ce côté supposément atypique du bonhomme : je veux dire ses origines. Et seulement ses origines.

Q: Il n’y a pas de problématique communautariste à Londres ?

Jacques Borde: Si bien sûr. Mais je ne suis pas sûr qu’elle concerne Sadiq A. Khan tant que cela.

Pour le reste – comme dans d’autres villes européennes – existent bien de quartiers entiers où communautarisme et séparatisme sont visibles. C’est le cas dans l’Est de London, notamment dans la circonscription de Tower Hamlets. 30% de la population y est musulmane, concentrée dans des Council houses15. En 2014, l’ancien maire, Lutfur Rahman, avait été remercié avec pertes et fracas après des accusations « de fraude et de favoritisme communautaire »16.

Il y a des années, j’avais eu des contacts avec des Moudj17 afghans du Londonistan. Tout était passé par des Afghans – entendez par là, des combattants du djihâd contre les Russes – qui m’avaient ouvert les portes, sinon j’attendrai toujours sur le trottoir.

Q: Et ces affaires de gang rapes musulmans ?

Jacques Borde: Je vois à quoi vous faites allusion : les affaires dites de Rotherham, Rochdale, Derby et Telford. À Rotherham entre 1997 et 2013, 1.400 jeunes filles ont été violées. Au bout du bout, cinq Britanniques d’origine Pakistanaise ont été condamnés. On a découvert des horreurs similaires à Rochdale, Derby et Telford. Ou encore le cas le plus récent d’Oxford, où sept hommes, entre 2006 et 2012, ont exploité sexuellement 300 mineures, avec des violence sexuelles aggravées.

Certes tous les auteurs de ces gang rapes étaient à chaque fois d’origine musulmane, et leurs victimes, des jeunes filles (âgées parfois de 12 ans) blanches.

Mais, pour ce qui ne connaissent pas l’Histoire des forces de l’ordre britanniques et qui – par le biais de séries TV s’extasient sur les exploit qui du CID18, qui du MI619 – ignorent la réalité du terrain et le fait que cette histoire est jalonnée d’incompétence, de brutalité et de déni des droits de l’Homme.

Pour vous faire un idée de l’efficacité et de l’état calamiteux des lieux et du peu de cas des droits des victimes, nul besoin de se plonger dans la criminalité communautarisée dont vous parlez : relisez les attendus d’affaires comme celle des Guilford Four20, ou des Birmingham Six21. Vous comprendrez-vite que ces malheureuses victimes des années 2000 ont été broyées dans les rouage d’un système policier remontant avant même la 1ère Guerre mondiale et, qui, c’est à craindre, n’a guère changé depuis. Ce bien que les affaires Guilford Four, ou des Birmingham Six aient connu un retentissement mondial22.

Notes

1.  Star Trek II: The Wrath of Khan, film américain de science-fiction commis par Nicholas Meyer, en 1982.

2.  Chic & snob.

3.  Sir James Michael Jimmy Goldsmith, propriétaire de la Générale Occidentale, holding qui regroupait ses participations financières dans de nombreuses marques alimentaires françaises (le Chocolat Poulain, Amora, Maille) ainsi que dans la presse écrite. Il est le frère du philosophe écologiste Edward Teddy Goldsmith.

4.  Challenges n°472 (4 mai 2016).

5.  Laetitia Strauch-Bonart a été chercheuse dans un think tank français. Elle vit à Londres où elle prépare un PhD en histoire sur les penseurs conservateurs et les questions morales après 1945. Vous avez dit conservateur ? est son premier essai.

6.  Le Figaro.

7.  Terme générique outre-Manche pour les Indiens, Pakistanais, Bangladais & Sri-Lankais.

8.  Le Figaro.

9.  Le Figaro.

10.  Le Figaro.

11.  Kenneth Robert Livingstone, dit Ken le rouge (Red Ken), maire de Londres de 2000 à 2008. Candidat dissident du Parti travailliste en 2000, réélu en 2004 avant d’être battu en mai 2008 par Boris Johnson. Auparavant, il avait été le leader du Greater London Council de 1981 à 1986 jusqu’à sa suppression.

12.  Comme celui du 7 juillet 2005.

13.  Challenges n°472 (4 mai 2016).

14.  Great Offices of State.

15.  HLM.

16.  Le Figaro.

17.  Moudhahiddin.

18.  Criminal Investigation Department (CID). Le premier Metropolitan Police Service CID remonte à 1878 sous la houlette de  C. E. Howard Vincent.

19.   Ou Secret Intelligence Service (SIS), également connu sous la dénomination de MI6 (pour Military Intelligence, section 6), est le Service de Renseignements extérieur du Royaume-Uni.

20.  Les Quatre de Guildford en français. Patrick Paddy Armstrong,Gerry Conlon, Paul Michael Hill et Carole Richardson ont été accusés et condamnés à la prison à vie, par la cour d’assise d’Old Bailey (Londres), en octobre 1974 pour les attentats des pubs de Guildford. Cet attentat fut commandité par l’Óglaigh na hÉireann (Provisional Irish Republican Army, PIRA) et fit cinq morts et plus de cent blessés. Ils passèrent plus de quinze ans en prison avant que leur condamnation soit annulée par une cour d’assise.

21.  Les Six de Birmingham : Hugh Callaghan, Patrick Joseph Hill, Gerard Hunter, Richard McIlkenny, William Power et John Walker furent condamnés à perpétuité en 1975 pour les attentats des pubs de Birmingham. Considérées comme des erreurs judiciaires, leurs condamnations ont été annulées en appel le 14 mars 1991.

22. L’autobiographie de Gerry Conlon, Proved Innocent, fut adaptée en 1993 dans le film Au nom du père, avec Daniel Day-Lewis, Emma Thompson & Pete Postlethwaite.