Voxnr – Emprise

Terrorisme, Mensonges Politiques & Stratégies Fatales de l’Occident

Le terrorisme doit être combattu, mais des réponses martiales, sans stratégie, souvent imposées au mépris du droit international, n’ont fait qu’amplifier le problème. La violence d’aujourd’hui a été provoquée par des gouvernements occidentaux en quête de succès extérieurs pour compenser leurs déboires en politique intérieure.

Jacques Baud est colonel d’état-major général, ancien analyste des Services de Renseignement stratégique suisses. Engagé auprès des Nations-unies dans de nombreux conflits, il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence (Encyclopédie du Renseignement & des Services secrets, Lavauzelle, 2002 ; La Guerre asymétrique ou la Défaite du vainqueur, Rocher, 2003 ; Encyclopédie des terrorismes & des violences politiques, Lavauzelle, 2009).

Une critique de Jacques Borde1.

En dépit de quelques approximations – mais que l’on pardonnera à l’auteur, tant son ouvrage est dense et solidement documenté – comme celle de nous dire que le terrorisme « est né d’une résistance (Djîhad) contre les interventions militaires occidentales, presque toujours illégitimes et souvent illégales, oubliées ou camouflées par des mensonges ».

Certes Baud a mille fois raison de nous rappeler l’irresponsabilité de l’Occident en l’Orient compliqué, mais d’où diable nous nous sort-il qu’étymologiquement djihâd se rapporte à Résistance 2 ?

Pour le reste, on lui accordera que, chez les Occidentaux que nous sommes, « Faiblesse analytique, manque d’anticipation, immobilisme stratégique et absence de réflexion ont créé Al-Qaïda, puis généré Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (Daech) »3.

Baud a également raison de condamner « une certaine hypocrisie occidentale ».

Ceci posé, l’ouvrage – en dépit de quelques imperfections et/ou points à débattre, ce qui ne fera de mal à personne – « pourrait faire du bruit ». Ce dans la mesure où l’auteur examine le terrorisme djihâdiste en mettant en lumière les immenses et récurrentes implications et fautes occidentales.

D’emblée, Jacques Baud commence par rappeler la maitrise de la thallasocratie étasunienne en matière de manipulation, désinformation, et forgeries géopolitiques. « Force est de constater que pratiquement chaque conflit où les États-Unis ont été impliqués a débuté soit par une opération clandestine (souvent de nature criminelle), soit par une manipulation visant à faire passer les États-Unis pour les victimes d’une agression, permettant ainsi de forcer la main du Congrès ».

À commencer par la Guerre hispano-américaine de 1898 et la disparition du USS Maine.

Plus près de nous, Baud souligne que, dès la mi-septembre 2001, soit bien avant les soi-disant printemps arabes (sic), l’administration US et le Pentagone avaient dans leurs cartons un plan pour renverser jusqu’à sept gouvernements du Proche et Moyen-Orient, dont ceux de Libye et de Syrie.

Pour étayer son propos, il nous rappelle, évidemment, la déclaration du général américain Wesley K. Clark, Sr., retraçant la décision prise par le Pentagone en 2001 de faire tomber sept pays : l’Irak, la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et, pour finir, l’Iran.

Conférence de Wesley K. Clark, Sr. à San Francisco le 3 octobre 2007 :

« Le 11-Septembre, nous n’avions pas de stratégie, pas d’accord inter-partis, ni une bonne compréhension de ce qui s’était passé, et nous avons eu à la place un coup d’État politique dans ce pays. Un coup d’État politique. Des types impitoyables ont pris la direction de notre politique étrangère, sans se donner la peine de nous en informer. Je suis allé au Pentagone 10 jours après le 11-Septembre. Je ne pouvais pas rester à l’écart de notre armée. J’y suis allé pour voir Donald Rumsfeld, avec qui j’avais travaillé dans les années 70, et je lui ai demandé :  »Est-ce que j’ai été bon sur CNN ? ». Il a répondu  »Oui » et a ajouté :  »J’ai lu votre livre ». Le livre parle de la guerre du Kosovo. Puis il me dit :  »Personne ne va nous dire où et quand on peut bombarder un pays, personne  ! » Il poursuit :  »Je pense l’appeler ‘coalition flottante ». Votre avis ? » J’ai répondu,  »Monsieur, merci d’avoir lu mon livre, et… » Il m’a alors coupé en disant :  »Merci. Je n’ai plus de temps à vous consacrer ». Vraiment ! Et alors que je descendais pour quitter le Pentagone, un officier de l’État-major m’appelle dans son bureau et me dit :  »Je veux que vous sachiez que nous allons attaquer l’Irak ».J’ai demandé  »Pourquoi ? » Il a répondu  »Nous ne savons pas ». J’ai dit :  »Avons-nous établi un lien entre Saddam Hussein et le 11/9 ? » Et il m’a répondu que non ».

« De retour au Pentagone, six semaines plus tard, j’ai revu le même officier et lui ai demandé  »Est-il toujours prévu que nous attaquions l’Irak ? » Il a répondu  »Monsieur, vous savez, c’est bien pire que ça ». Il a pris un document sur son bureau et me dit :  »J’ai reçu ce mémo du Secrétaire à la Défense… qui dit que nous allons attaquer et détruire les gouvernements dans 7 pays en 5 ans. Nous allons commencer par l’Irak, et puis nous irons en Syrie, au Liban, en Libye, Somalie, au Soudan et en Iran ». J’ai dit  »7 pays en 5 ans ! » Je lui ai demandé  »est-ce un mémo top secret ? » Il me répondit  »Oui, Monsieur ! » Je lui ai dit :  »Alors, ne me le montrez pas ». Il allait le faire.  »Sinon je vais en parler ». J’ai gardé cette information pour moi pendant longtemps, 6 ou 8 mois, j’étais tellement abasourdi que je ne parvenais pas à en parler, et je ne pouvais pas croire que c’était vrai, mais c’est bien ce qui s’est passé ».

« Ces gens ont pris le contrôle de la politique des États-Unis, et j’ai compris alors, je me suis souvenu d’une réunion que j’avais eue avec Paul Wolfowitz en 1991. En 2001, il était vice-Secrétaire à la Défense, mais en 1991, c’était le sous-secrétaire, soit le numéro 3 au Pentagone. Il m’avait dit alors :  »nous avons 5 ou 10 ans pour nettoyer tous ces régimes favorables à l’ex-Union soviétique, la Syrie, l’Iran, l’Irak, avant que la prochaine superpuissance n’émerge pour nous défier ». C’était une déclaration stupéfiante : l’armée servirait à déclencher des guerres et à faire tomber des gouvernements et non pas à empêcher les conflits. Nous allons envahir des pays. Mes pensées se bousculaient. J’ai mis ça de côté, c’était comme une pépite que vous conservez. Un groupe de gens a pris le contrôle du pays avec un coup d’État politique, Wolfowitz, Cheney, Rumsfeld… je pourrais nommer une demi-douzaine d’autres collaborateurs du Projet pour un Nouveau Siècle Américain (PNAC). Ils voulaient que le Moyen-Orient soit déstabilisé, qu’il soit chamboulé et placé sous notre contrôle. Tout cela nous ramène aux commentaires de 1991. En aviez-vous été informés ? Le plan a-t-il été annoncé publiquement ? Les sénateurs ou les députés ont-ils dénoncé ce plan ? Y a-t-il eu un débat public ? Absolument pas ! Et il n’y en a toujours pas ! Ils ont hâte d’en finir avec l’Irak pour pouvoir aller en Syrie.  »Oh, nos légions vont y aller » ».

« Mais ce n’est pas pour ça que les Américains ont élu George W. Bush. En fait, ils ne l’ont pas vraiment élu. Ce n’est pas pour ça que beaucoup de gens… ce n’est pas pour ça qu’il avait fait campagne. Il avait fait campagne sur une politique étrangère humble. Nous avons eu la politique étrangère la plus arrogante de toute notre histoire. Il a fait campagne sur une absence d’intervention, et nous sommes en Afghanistan et en Irak. C’est stupéfiant ! »

« Que vous soyez démocrate ou républicain, en tant qu’Américains, vous devez vous sentir concernés par la stratégie des Usa dans cette région. Quel est notre but ? Quelles sont nos motivations ? Pourquoi sommes-nous là-bas ? Pourquoi des Américains meurent-ils dans cette région ? C’est ça la vraie question »4.

Or, souligne Baud, on retrouve dans cette liste les trois pays arabes qui ont renoncé au système des pétrodollars pour vendre leur pétrole.

En dépit de quelques erreurs, Terrorisme, Mensonges politiques & Stratégies Fatales de l’Occident étale parfaitement l’hypocrisie de ceux qui nous dirigent. Sans exonérer, ce qui serait une erreur de notre part, les terroristes de leurs responsabilités, il rappelle l’urgence qui devrait être la nôtre à interroger et remettre en question nos gouvernements qui, par leurs actions – presque toujours illégales – exposent leurs propres concitoyens à des actes de rétorsion.

Même si je ne peux suivre l’auteur de Terrorisme, Mensonges politiques & Stratégies Fatales de l’Occident, qui, à mon avis, commet l’erreur de ne pas établir de différences suffisamment claires entre ces trois formes différentes de s’opposer à l’Occident, bien que se référent toutes à l’Islam : les Taliban, Al-Qaïda, et Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (Daech), qui, lui, est bien une entité génocidaire ayant pour but, non pas de venger les erreurs ou les crimes de l’Occident vis-à-vis de l’Umma musulmane, mais d’exterminer tous ceux qui ne suivent pas la voie du Takfir – mot, que de mémoire, je ne crois pas avoir lui, sous le plume de Jacques Baud – je le suis, tout à fait lorsqu’il écrit que les attentats de janvier et novembre 2015 à Paris, puis de mars 2016 à Bruxelles, ont largement été la conséquence (peut-être pas aussi évitable qu’il le croit, mais bon) d’un aventurisme meurtrier, qui a débuté en Libye et armé de véritables Kamiz brunes nazislamistes et non de simples djihâdistes comme cela était bien le cas pour l’Afghanistan, pour renverser des gouvernements légaux et membres des Nations-unies5 en Libye puis en Syrie.

Il est, tout aussi évident comme l’affirme l’auteur de Terrorisme, Mensonges politiques & Stratégies Fatales de l’Occident, que la guerre (terme qu’a contrario de Jacques Baud je préfère à celui de terrorisme) que nous nous efforçons de mener passe par un retour sur la face cachée des conflits, afin de comprendre la logique et la stratégie du terrorisme moderne.

Et lorsque Jacques Baud de conclure par cette accusation : « les gouvernements américain, britannique et français ont été les principaux promoteurs du terrorisme islamiste », il ouvre, de manière iconoclaste, le nécessaire champ des débats.

Terrorisme, Mensonges politiques & Stratégies Fatales de l’Occident, Jacques Baud, Éd. du Rocher, 423 pages, ISBN 978-2-268-08403-9.

Notes

1. Bforborde.com & voxnr.com.

2. Le terme arabe pour résistance est Muqâwamat. Son équivalent persan est Moghavémat.

3. Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.

4. Le général 4 étoiles américain Wesley Clark affirme qu’un plan était prêt 10 jours après le septembre 2001 pour envahir 7 pays dont la Libye et l’Irak.

5. Cas également de l’Afghanistan.

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