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Kurosawa et les Samourai Commentés aux Paiens

Kurosawa est un grand maître nippon populaire en occident. Il n’y a rien de plus désagréable que de voir notre psychologie à l’oeuvre dans des films à costume japonais ; cela nous rappelle cette belle phrase de Nietzsche dans sa considération sur l’histoire et les historiens contemporains – qui n’ont pas changé !

Leur travail c’est d’adapter le passé à la trivialité actuelle. Par contre, ils appellent « subjective » toute façon d’écrire l’histoire qui ne considère pas comme canoniques ces opinions populaires.

Et comme s’il avait vu un film américain ou en costumes, Nietzsche dénonce dans la seconde considération le méli-mélo mondialisé qui va émerger de cette culture pour tous au service de tous :

De même que le Romain de l’époque impériale devint anti-romain, en regard de l’univers qui était à son service, de même qu’il se perdit dans le flot envahissant des choses étrangères, dégénérant au milieu d’un carnaval cosmopolite de divinités, de moeurs et d’arts, de même il en adviendra de l’homme moderne qui, par ses maîtres dans l’art de l’histoire, se fait offrir sans cesse le spectacle d’une Exposition universelle. Il est devenu le spectateur jouissant et errant, transporté dans des conditions que de grandes guerres ou de grandes révolutions sauraient à peine changer durant un instant.

Les Sept Samouraïs, film le plus connu de leur auteur, multiplient ces clins d’oeil complices au spectateur moderne. Il ne sera dépaysé que par les costumes et la dentition des paysans :

  • les paysans sont sots, sales et arriérés (sous-entendu : nous sommes mieux au temps de la salle de bains américaine !). On a plutôt l’impression d’une dure sottise tellurique qui est à l’oeuvre – que d’un lien sacré avec la terre.
  • les samouraïs sont de cruels sordides qui brisent les paysans mais ils peuvent avoir bon coeur et se montrer… charitables !
  • les personnages caricaturaux ou pour mieux dire très emblématiques : le leader, le parfait, le bouffon (Mifune, qui n’arrête pas de montrer son cul), le jeune et seyant disciple, d’autres plus insignifiants qui meurent les premiers.
  • les brigands sont peut-être des brigands mais ils sont équipés comme de vrais soldats. Armures coûteuses, chevaux, organisation militaire, etc. Pourquoi cette confusion ?
  • la gentille histoire d’amour. Le jeune samouraï s’éprend de la jeune paysanne que le paysan lui avait pourtant caché…

La fin est émouvante non parce que l’on célèbre la victoire des paysans sur les… samouraï, mais parce que quatre samouraï sont morts et que, si l’on sait compter, ils sont tous été tués à l’arquebuse. C’est la fin du duel médiéval. L’artillerie tourne à l’obsession chez Kurosawa : armée détruite dans Kagemusha, fils de Lear abattu de loin dans Ran. Coup de fusil aussi pour Dersou Ouzala, à qui on vole son arme. Une allusion timide aux défaites du Japon ? Car comme on sait depuis de Gaulle (et sans doute Sun Tse), seule importe la force mécanique !

On le savait déjà du temps de l’Arioste qui dénonce ainsi le fusil et l’artillerie moderne en plein seizième siècle, soit à l’époque même de nos samouraïs :

Comment as-tu trouvé place dans le coeur de l’homme, ô scélérate et odieuse invention ? Par toi, la gloire militaire a été détruite ; par toi, le métier des armes est sans honneur ; par toi, la valeur et le courage ne sont plus rien, car le plus souvent le lâche l’emporte sur le brave. Grâce à toi, la vaillance et l’audace ne peuvent plus se prouver sur le champ de bataille.

Continuons per un fil, recyclé par Lucas et sa Guerre des Etoiles. Dans La forteresse cachée, on a droit à un film postmoderne, décalé, humoristique, où Kurosawa mélange les genres. La princesse a un sale caractère (certes ce n’est pas nouveau !), les paysans escrocs servent de bouffons (on se moque d’eux à bon prix) et même le général – inévitable Toshiro Mifune – ne se montre pas très efficace. C’est un film fourre-tout et passe-partout.

Mais… il y a un mais.

La danse des charbonniers.

La princesse aux jambes nues, son général et les deux paysans joignent un groupe de porteurs de bois et de charbon, que la grande initiée George Sand célébrera aussi en son temps.

C’est par aventure que je me suis trouvé en rencontrer dans la forêt de Saint-Chartier, où ils faisaient halte, pour gagner Saint-Août, et du nombre était celui-ci, qui s’appelle Huriel, et qui est demandé, à présent, aux forges d’Ardentes, pour porter du charbon et du minerai.

Ici aussi les parcours initiatiques, ici aussi la forêt symbolique, ici aussi les cachettes, ici aussi les fêtes profondes. La fête de Kurosawa commence par des feux, des chants, des rondes, des choeurs lents ; puis on s’énerve, on se déchaîne comme les bacchantes et on invoque les esprits. Le dernier rayon de cette danse, illuminé par le son tellurique du Tai ko est complètement sensationnel. On n’a jamais aussi bien filmé la fête païenne et c’est un drame vraiment que cela ne constitue qu’un bref moment de ce film étrange. Il s’agit de la plus extraordinaire scène de paganisme au cinéma avec le tai ko de Rickshaw man que nous avons évoqué quelques pages plus haut. Ici aussi le symbolisme solaire, ici aussi la roue et la ronde, et la métamorphose en or. Cette fête a bien sûr une dimension alchimique – il ne lui manque vraiment rien ! Car les fuyards ont caché leur or dans le bois que brûlent les charbonniers. Et cet or est ainsi préservé et comme métamorphosé. Kurosawa est peut-être passé à côté de son sujet, qui aurait dû faire des charbonniers et de leur élite initiatique les héros de son film.

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