Accueil ACTU Monde Alep, Raqqa, Mossoul : Qui tombera en premier!

Alep, Raqqa, Mossoul : Qui tombera en premier!

Revenons, encore & toujours, sur le grand jeu entre l’a-coalition menée par Washington & le trio Damas-Moscou-Téhéran. Les capitales de DAECH sont désormais l’objet d’âpres luttes. Mais qui d’Alep, de Raqqa ou de Mossoul tombera la première & surtout aux mains de qui ?

| Q. Vous avez déjà évoqué la question, mais permettez-moi d’y revenir : Sait-on à quoi répondait la réunion des ministres de la Défense de l’Iran, de la Russie et de la Syrie, sise  à Téhéran ?

Jacques Borde. Avec précision et certitude, vous voulez dire ? Pas trop, en fait.

Presque tout ce que nous savons à propos de l’événement en question nous vient du ministre iranien de la Défense, le brigadier-général Hossein Dehqân. Or que nous a  dit Dehqân ? Que :

1- La cause profonde du conflit syrien a été la politique des États-Unis, de l’Arabie Séoudite, d’Israël et de certains autres États de la région définis, vu de Téhéran, comme « agressifs et expansionnistes ».

2- Les États-Unis et leurs alliés ont été « malhonnêtes » (sic) dans leurs prétentions de lutter contre le terrorisme.

3- Il y a un « dangereux complot » (sic) en cours, qui vise à déstabiliser la région, incite au séparatisme et porte atteinte à la souveraineté nationale de la Syrie.

4- L’ordre du jour de l’Iran a toujours été d’engager « un combat tous azimuts » contre le terrorisme et cette approche n’est pas prête de changer.

5- L’Iran a convoqué le sommet interministériel de Téhéran afin de discuter de la nécessité de mener « une action rapide, globale et coordonnée décisive » contre les groupes terroristes.

In fine, rien que les gens sérieux suivant les questions du Levant ne sachent déjà…

| Q. Ça n’est pas ce qui a ressorti dans les media généralistes?

Jacques Borde. Oui, effectivement. C’est pour ça que je vous ai parlé de gens sérieux ! Rappelons à cet égard que la réunion de Téhéran a eu lieu dans le contexte de rumeurs variées selon lesquelles les approches russe et iranienne sur la question syrienne perdaient en convergence. Des media iraniens affirmant même que la Russie « se relâchait » dans ses opérations militaires en Syrie.

Soyons clair, ce qui enterrera les débats, c’est la chute d’une des capitales d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DAECH)[1].

Mais, rappelons encore une fois encore, que les troupes russes ne mènent pas de combat au sol sur le front du djihâd syrien. Les tenir pour responsable de ce qui se passe sur ce terrain-là peut sembler un peu tiré par les cheveux. Dès le début, Moscou avait clairement défini les cadres de son engagement en Syrie. Principalement celui de sa Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)[2]. Mais pas de troupes au sol.

| Q. Et, justement, à propos de ce qui s’est joué à Téhéran, qu’en ont dit les Russes?

Jacques Borde. Motus & bouche cousue, en fait.

Moscou a très peu communiqué sur le sujet. Le ministère de la Défense russe a simplement reconnu que la réunion avait porté sur des « mesures prioritaires pour renforcer la coopération » contre les groupes extrémistes et sur des « initiatives de sécurité » visant à empêcher les groupes djihâdistes de « mener des opérations plus larges ».

Autrement dit, le ministre russe de la Défense, ce cher Sergueï K. Choïgou[3], ne nous a pas appris grand-chose non plus. Mais était-ce vraiment son rôle ?

| Q. Et concrètement, ça a donné quoi ?

Jacques Borde. Peu de choses, je dirai ! De son côté, Sputnik a publié une analyse fort intéressante de l’équilibre des forces en Syrie. Analyse d’où il ressort que les attentes d’une « victoire militaire imminente » à Raqqa ou à Alep devaient être tempérées. Ce qui, en passant, donnait plutôt raison au Hezbollah et à son chef, Sayyed Hassan Nasrallâh.

Plusieurs éléments opérationnels ressortaient des différents points de vue exprimés :

1- Raqqa est un gros morceau avec une population de 200.000 âmes, facteur rendant toute tentative de prendre la ville de force très aléatoire.

2- Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DAECH), qui connaît la musique, y a renforcé ses positions.

3- A contrario, les forces pour reprendre la ville étaient notoirement insuffisantes. L’essentiel du dispositif reposait sur une brigade blindée d’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)[4] et la Liwāʾ Suqūr aṣ-Saḥrāʾ[5].

4- Les frappes aériennes russes sont en-deçà de ce qu’elles étaient auparavant, ce parce que, désormais, les appareils de la Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS) opèrent au maximum de leur rayon d’action.

En revanche, Alep semble désormais plus à la portée de Damas et de ses partenaires.

| Q. Et pourquoi ?

Jacques Borde. Parce que, objectivement des trois – je veux dire Raqqa, Mossoul et Alep – c’est la dernière qui est le plus affaiblie. Ensuite :

1- Mossoul est, de toute façon, hors zone pour les Russes.

2- Raqqa, nous venons de le dire, est encore trop solidement aux mains de DAECH.

3- Alep est, pour partie déjà aux mains de brigades de l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)[6].

| Q. En fait, les Russes ne payent-ils pas le retrait anticipé de leurs avions de combat ?

Jacques Borde. Oui, tout à fait. Clairement, Moscou a mis la charrue avant les bœufs. Mais, il y a autre chose…

| Q. Et quoi donc ?

Jacques Borde. En fait trois choses :

Primo, de toute évidence la Russie a longtemps esquivé alors que Damas et Téhéran ne baissaient pas leur garde. Ou, pour le moins, ne laissaient pas Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DAECH) et consorts reprendre du poil de la bête à la moindre occasion.

Secundo, la préférence russe pour les cessez-le-feu. Qui ne servent à rien et ont seulement aidé les Contras takfirî à remettre la main sur certains territoires.

Tertio, les militaires russes avaient mis Raqqa et Alep en tête de leurs préoccupations. Une erreur. Il a bien fallu faire un choix.

Par ailleurs, malgré tout ce que Russes, Syriens et Iraniens font ensemble pour combattre le terrorisme et éradiquer DAECH, il ressort des remarques de Dehqân, que Téhéran se méfiait comme de la peste de la relation de travail que Moscou a choisi de maintenir[7] avec Israël (beaucoup) et les États-Unis (un peu).

Du coup, géostratégiquement, Damas et Téhéran ont choisi de progresser par capillarité : Deir Ez-Zor, d’abord, parce qu’il était vital d’établir, du mieux possible, une continuité territoriale sur le terrain. Puis Alep parce que les circonstances en ont voulu ainsi.

Cela peut sembler peu ambitieux à certains, mais on rappellera que seuls les Syriens et les Iraniens s’engagent réellement au sol !

| Q. Peut-on dire que Syriens et Iraniens n’ont pas une si grande confiance en leurs alliés russes ?

Jacques Borde. C’est une manière de présenter les choses. À ce stade, trois autres éléments sont à prendre en compte :

Primo, ce sont les Russes motu proprio – enfin leur ministre des Affaires étrangères, Sergueï V. Lavrov – qui ont dit que les Syriens et les Iraniens n’étaient pas leurs alliés. Et non l’inverse.

Secundo, quid de la suite ? Damas et Téhéran, ont, objectivement, de quoi être extrêmement méfiants sur le fait que les États-Unis et leur a-coalition ont probablement un Plan B de derrière les fagots. Sinon pourquoi maintenir à flots la pantomime des pourparlers de Genève ?

Tertio, dans l’esprit des Iraniens, la Russie, qui a déjà validé deux cessez-le-feu faisant uniquement le jeu des ennemis de Damas et de Téhéran, pourrait se laisser tenter par un mécanisme d’application sous la forme de forces de maintien de la paix (sic), dans telle ou telle partie de la Syrie. D’où, la encore, l’extrême prudence de Téhéran à gérer ses avances sur un terrain qu’il convient de sanctuariser étape par étape.

En fait, comme l’a écrit M.K. Bhadrakumar « ...l’Iran a senti l’urgence de tirer la sonnette d’alarme pour rappeler que tous les trois – la Russie, l’Iran et la Syrie – n’ont pas vraiment d’autre choix que de nager ensemble. Reste à voir si Moscou a entendu le tintement de la cloche à Téhéran… »[8].

| Q. Vous êtes d’un pessimisme quant au trio Damas-Moscou-Téhéran ?

Jacques Borde. Oui et non. Mais rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y paraît. Certes Moscou a consenti beaucoup d’efforts et de moyens dans l’affaire syrienne, mais Vladimir V. Poutine, doit aussi avoir à l’esprit de ne pas mettre à mal ses relations avec Jérusalem. Ou même avec Ankara, avec qui il tente, désormais, un spectaculaire rapprochement.

Et puis, songez au fait que les alliances, qu’elles en portent le nom ou pas, sont des affaires difficiles à conduire.

Par exemple, prenez les relations qu’ont eu les alliés lors de la 2ème Guerre mondiale, et rappelez-vous notamment des positions ambiguës de certains officiels britanniques[9] et du US Department of State vis-à-vis de Vichy. Puis du double jeu US avec Giraud[10], alors que le général de Gaulle était le chef de la France libre, de la vraie France.

Pourquoi voulez-vous que les choses soient nécessairement plus simples avec des acteurs aussi dissemblables que Bachar el-Assad, Hassan Feridon Rohani, et Vladimir V. Poutine. Sans parler du Rahbar-é-Enqelâb (guide de la révolution), l’Ayatollah Sayyed Ali Hossaini Khâmeneî[11].

Notez, au passage, la proposition de Reccep Tayyip Erdoğan, qui a plus d’un tour dans son sac, de laisser les Russes utiliser la İncirlik Hava Üssü (IAU)[12]. Comme quoi la guerre est toujours un domaine où tout peut arriver.

Prions que cette cause juste – la guerre contre Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām, je veux dire – ait la même fin que la précédente : l’élimination des forces du Takfir comme, avant elles, celle de l’Axe hitlérien.

Notes

[1] Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.

[2] Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS,Troupes de défense aérospatiale.

[3] Depuis le 6 novembre 2012.

[4] Armée arabe syrienne.

[5] Ou Brigade des Faucons du désert en français,  forme de réserve territoriale en quelque sorte ou pour faire simple, une sorte de Bassidj syrien, mais relevant de l’AAS, l’armée régulière syrienne.

[6] Armée arabe syrienne.

[7] Comme c’est parfaitement son droit et n’est pas une franche nouveauté.

[8] Russian-Iranian alliance in Syria at crossroads, in Asia Times (14 juin 3016). Écrit aussi dans The Hindu & le Deccan Herald.

[9] Au Levant, tout spécifiquement. Lire les pages de Soustelle à ce sujet dans son Envers & contre tout. De Londres à Alger, Jacques Soustelle, 1947, Robert Laffont.

[10] Le général Henri Giraud, il reçoit le soutien des Américains comme rival du général de Gaulle. Mais l’affaire, fort heureusement pour la France et les Français, échouera ?

[11] Aussi appelé Rahbar-é-Moazzam (guide suprême, pas une titulature officielle).

[12]  Base aérienne d’Incirlik. Code IATA: UAB, code ICAO : LTAG.

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