& Si Moscou était en train de perdre (par sa seule faute) sa guerre de Syrie ?

Les guerres peuvent virer à tout. Y compris à la tragédie, comme c’est souvent le cas. Celle que conduit (fort étrangement) Moscou en Syrie, est en train de virer à la mauvaise plaisanterie d’étudiant en médecine ayant forcé sur l’hémoglobine. Suite à la morts de soldats syriens dans des bombardements US, que fait Moscou : en appeler au Conseil de sécurité des Nations-unies, machin connu pour être la caisse enregistreuse des desiderata de Washington. Sommes-nous  à un tournant de la Guerre de Syrie ? & plus clairement celui de la défaite en rase campagne d’une Russie, trop niaiseuse (comme disent les Québécois) pour se mettre au niveau du grand jeu étasunien ? La même erreur depuis… 1962 !

Rarement, la naïveté des maîtres du Kremlin n’aura été aussi tragique de conséquences. En à peine moins de deux semaines, l’administration russe vient d’autoriser à l’Amérique plus que celle-ci n’en avait exigé de l’ex-Union Soviétique depuis l’Affaire des missiles de Cuba, ou de la livraison de son allié irakien lors de la 1ère Guerre du Golfe.

Quitte à répéter ce que j’ai dit et redit, Moscou, en se liant géostratégiquement aussi étroitement à l’administration Obama sur le dossier syrien, vient de se vider un chargeur de Kalach dans le pied. En effet, par son inconséquence et la faiblesse de sa diplomatie vétéro-brejnevienne, l’administration Poutine vient :

1- D’imposer une No Fly Zone (NFZ) de facto à Damas.
2- D’ouvrir grand la route aux colonnes de renforts takfirî. Et de s’en étonner après coup. Mais, évidemment, sans pouvoir rien y faire…
3- De laisser l’Air force bombarder en toute impunité et à quatre reprises son allié syrien. À noter que 62 membres de l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)[1] sont morts dans les bombardements US et que plus d’une centaine d’autres ont été blessés, pour ceux qui, d’aventure, prendraient la chose à la légère.

Quid, au passage, de la bulle de protection[2] que les militaires russes prétendent avoir tissé  au-dessus de la Syrie ?

À rappeler, comme je l’écris dans un prochain article :« …Idem pour la bulle protectrice des équipements de guerre électroniques type Krasukha-4 et Borisoglebsk-2, positionnés par les Russe en Syrie, qui n’ont ni brouillé ni arrêté quoi que ce soit, à chaque raid israélien. La seule perte israélienne au dessus de la Syrie étant, semble-t-il, un drone ».

Et encore, pas confirmé de source indépendante et sûre…

Quant à l’ire (sic) de Moscou dans l’enceinte du Conseil de sécurité des Nations-unies, les palinodies de Vitali Tchourkine[3], ont glissé comme l’eau sur les plumes d’un canard sur les épaules d’airain de la représentante US, lors de la énième réunion du Conseil sur la Syrie.

« C’est un grand point d’interrogation (…) J’espère qu’ils [les États-Unis] vont trouver un moyen de nous convaincre et de convaincre tout le monde qu’il sont sérieux à propos d’un règlement politique en Syrie et a propos de la lutte contre les terroristes », a tenté de faire valoir, assez mollement, un Vitali Tchourkine visiblement dépassé par l’enjeu et le poids de sa tâche et n’a toujours pas compris que les Américains se contrefichaient au plus au point de ce qui se dit à Moscou.

De son côté, plus teigneuse que jamais, Samantha Power y a fait preuve d’une violence hors commun, attaquant bille en tête son homologue russe :

« Pourquoi avons-nous cette réunion ce soir ? C’est pour détourner l’attention de ce qui se passe sur le terrain. Si l’on n’aime pas ce qui se produit sur le terrain, on détourne l’attention…Nous encourageons la Fédération de Russie à convoquer des réunions urgentes avec le régime d’Assad ».

Ô hasard, des combattants d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)[4], ont entamé une offensive contre les positions syriennes immédiatement après les frappes US. Une simultanéité qui implique nécessairement :

1- Une préparation en amont ;
2- Le fait d’avoir été averti suffisamment à l’avance desdites frappes.

Ce que confirment les propos du commandement général syrien qui indique que les frappes US « ont clairement pavé la route aux terroristes de l’État islamique pour qu’ils attaquent les positions et en prennent le contrôle ». Et de qualifier l’incident d’« agression sérieuse et flagrante » contre les forces arabes syriennes et de « preuve formelle » que Washington et ses alliés soutiennent les djihâdistes de DA’ECH en Syrie.

De son côté, semblant (enfin) réaliser l’ampleur de l’affaire, le ministère russe de la Défense a estimé que « ...même si le bombardement (…) était une erreur, cela reste une conséquence du refus de Washington de coordonner son action antiterroriste avec Moscou ».

La coordination russo-américaine ! Un des points-clés de l’ubuesque accord conclu par ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï V. Lavrov, avec le US Secretary of State, John F. Kerry, est-il utile de rappeler…

Quant à ce qui s’est passé à Deir Ez-Zor, de toute évidence, la thèse de l’accident, ne tient pas la route un dixième de seconde :

1– Menées à quatre reprises par plusieurs appareils de combat, les frappes US ont duré, selon les témoignages, près de 45 minutes. Exit la version de l’opération erratique (random strike) d’un pilote isolé qui aurait mal interprété des informations reçues.
2– La position ciblée était Jebel Tudar, à 4 kilomètres au sud de l’aéroport de la ville, « …une colline-clé pour la défense de toute la zone, où 100 000 habitants sont encerclés »[5] par Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH) a rapporté Bruno Guigue[6]. Autrement dit une « position statique » occupée par l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)[7] « au su et au vu de tous depuis des mois »[8]. C’est justement pour empêcher de tels incidents que les Russes ont cru intelligent de s’aboucher avec les Américains. On en voit le résultat.
3– L’agence de propagande de DA’ECH, Amaq, a, aussitôt, affirmé que les forces takfirî avaient pris le contrôle de la colline. Comme l’a noté Bruno Guigue « Cette belle coordination entre les USA et leurs mercenaires officieux mérite d’être soulignée ! »[9].

Question subsidiaire à quoi ont pu répondre ces frappes US en série et, évidemment, délibérées dans l’agenda étasunien pour la Syrie ? La réponse tient en quatre points :

1- « Frapper l’armée syrienne au profit de DA’ECH, en effet, permet d’atteindre trois objectifs. En soulageant le front d’Alep, ce contre-feu allumé à l’extrémité Est du pays brise le rêve d’une reconquête du territoire national. Il fragilise l’État syrien »[10].
2- Ensuite, « il envoie aussi un message explicite à la nébuleuse takfirie en mauvaise posture depuis la reprise des quartiers Sud d’Alep »[11].
3- Il « conforte les alliés régionaux de Washington dans la poursuite de leur politique mortifère du ”chaos constructif” au moment où la fin de mandat de Barack Obama pouvait laisser craindre un certain ramollissement de Washington »[12].
4- Ce chaos constructif est, aussi, une manière de semer, à peu de frais, un maximum d’embûches et de chicanes sur la voie d’apaisement des tensions régionales qui serait celle choisie par Donald J. Trump, en cas de victoire en novembre 2016.

« On savait le cynisme US sans limite, mais il vient de faire un saut qualitatif. C’est la première fois que les USA agressent frontalement l’armée syrienne. Cette nouvelle transgression a valeur de test, et la réplique de l’axe Moscou-Damas ne devrait pas se faire attendre »[13] semble croire, à tort à mon avis, Bruno Guigue.

Un peu tard (deux ans trop trop tard pourrait-on même dire), la porte-parole des Affaires étrangères russes, Maria Zakharova, a indiqué à Rossiya 24 que « Si nous pouvions déjà auparavant nous douter que la Maison-Blanche protégeait le front al-Nosra, maintenant, après la frappe sur l’armée syrienne, nous pouvons tirer une conclusion effrayante pour le monde entier ; la Maison-Blanche protège DA’ECH».

Propos qui rejoignent ceux tous aussi édifiants du président russe, Vladimir V. Poutine, avouant, un brin embarrassé, que « Nous nous sommes accordés pour que le Front al-Nosra et les autres groupes terroristes soient séparés des soi-disant forces saines. Mais qu’observons-nous maintenant ? Nous ne voyons pas de distinction entre les terroristes et les forces saines, mais les tentatives des terroristes de se regrouper ».

Les Russes découvrant la duplicité et la mala fides americana. Il était temps, Washington use des mêmes ficelles avec Moscou depuis octobre 1962[14].

Quant aux vraies réactions…

Notes

[1] Armée arabe syrienne.
[2] Qui n’a probablement jamais existé, hors des communiqué du Kremlin.
[3] Fait semblant d’être l’ambassadeur de la Russie à l’ONU.
[4] Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
[5] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[6] Ancien haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002.
[7] Armée arabe syrienne.
[8] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[9] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[10] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[11] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[12] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[13] Arrêt sur Info (18 septembre 2016).
[14] La Crise des missiles de Cuba du 14 octobre au 28 octobre 1962.

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