Deir Ez-Zor, Alep : La Course à l’échalote entre Moscou & Washington se poursuit y compris en… Europe

Au fil de la Bataille d’Alep, alors que démarre celle de Mossoul, le camp occidental cherche toujours comment sauver ses hommes liges sur le terrain. à Paris, plus embarrassant pour notre diplomatie (sic), on peine à gérer le choc frontal initié avec le Kremlin. 3ème Partie.

| Q. Vous me parliez du « succès russo-irano-syrien qui pousse l’administration Hollande à chercher ainsi querelle au Kremlin ». Pourquoi seulement au Kremlin ?

Jacques Borde. Bonne question ! Parce qu’en dépit des approximations de l’administration Hollande en matière de politique étrangère, on garde, dans nos hautes sphères, un minimum de sens des affaires. Avec ceux avec qui on peut encore espérer en faire, je veux dire.

Or, avec les Russes, depuis :

1- l’Affaire des Mistral :
2- l’arrivée en force d’autres partenaires (y compris russes) dans le domaine agricole.

Notre big business avec la Russie, c’est un peu une cause (temporairement) perdue.

Côté syrien, vu notre rôle assumé d’irréductible ennemi de Damas, il n’y a, bien évidemment, rien à attendre de ce côté. Et si Damas avait quelque argent à mettre sur la table, nous serions, de toute façon, en queue de peloton.

Les Turcs ?

1- leur tropisme otanien les pousse à acheter américain. Du coup, F-16 et F-35 Lightning II auront toujours quelques longueurs d’avance sur nos Rafale ;
2- comme ils semblent se rabibocher avec les Russes, leur intérêt fait qu’ils lorgnent sur les systèmes S-300/S-400 made in Russia et non sur nos produits made in Europe.

Reste Téhéran. Lisez tout ce que nous sort la presse éco sur le sujet. Depuis que les États-Unis ont assoupli leur dogmatisme réglementaire et juridique vis-à-vis de l’Iran, les grands noms de notre CAC-40 ont pour l’eldorado économique iranien les yeux de Chimène. Cela, bien sûr, tant que des lobbies comme l’United Against Nuclear Iran (UANI) ne réussiront pas à bloquer les ardeurs entrepreneuriales de notre vieille Europe.

| Q. Je vois que ça vous fait sourire…

Jacques Borde. Oui. Parce que tout ceci démontre le côté totalement velléitaire et approximatif de notre diplomatie.

Primo, personne dans une guerre n’est à l’abri de rien. Et, l’administration Hollande, en l’espèce, semble oublier qu’en juillet 2016, ce sont bien des appareils français qui auraient tué plus de 120 civils lors de frappes aériennes (en Syrie). Plus précisément le village de Toukhan Al-Kubra près de la frontière turque. Des enfants, des femmes et des personnes âgées y ont été tués en plus de dizaines d’autres blessés.

Ces morts de civils, et seulement de civils, sont survenues le lendemain d’attaques aériennes US qui ont tué 20 autres personnes à Manbij.

Secundo, on fait grief aux Russes de leur comportement à Alep – ou plutôt une partie réduite d’Alep, d’ailleurs – où la Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)1 poursuit ses opérations d’éradication du terrorisme takfirî.

Tertio, de l’autre, on s’apprête à apporter notre soutien effectif à la reconquête de Mossoul qui, nous rappelle à juste raison Alain Rodier, « … si elle a lieu, se déroulera aussi dans une ville très peuplée – entre un et deux millions d’habitants selon les estimations – exposant par là les populations civiles à des pertes collatérales conséquentes »2.

Autrement dit, là, c’est bien la France avec d’autres Occidentaux qui risque fort de se voir associée à des us guerriers particulièrement dommageables. Et, surtout, passibles de la CPI3 dont notre imprudent président menace la Russie.

Tout ceci n’est absolument pas sérieux.

Ce d’autant plus que, « N’en déplaise à Monsieur Ayrault », comme l’a souligné Caroline Galactéros, « la France n’est ni écoutée, ni considérée, ni attendue sur le dossier syrien. Elle en est réduite à servir de go between entre Washington et Moscou lorsque ceux-ci ne peuvent plus se parler et qu’il faut faire semblant, une fois encore, de rechercher un compromis et d’amener Moscou à lever le pied d’une implication trop efficace à notre goût »4.

À se demander, d’ailleurs, pour quelles obscures raisons cette « implication » est « trop efficace à notre goût », alors qu’elle ne vise que des terroristes avérés !!!!…

| Q. Donc, là, pour Mossoul, nous ne dirons rien ?

Jacques Borde. Certainement pas. Pour deux raisons essentielles :

Primo, l’un des acteurs de ces combats sera le gantelet apporté par l’Arc chî’îte, soit des forces issues du :

1- Sêpah-é Pâsdâran-é Enqelâb-é Eslâmi5 ;
2- Nirouy-é Moghavémat Bassidj6 ;
3- Nirouy-é Ghods7 ;
4- et de la foultitude de milices liées, d’une manière ou d’une autre, à notre partenaire iranien.

Cela fait des mois que nous pleurnichons dans le vestibule perse. Croyez-moi, le moment venu, nous saurons tourner la tête, si cela est nécessaire. Comme nous le faisons si bien vis-à-vis de la litanie de sang et de cadavres qu’égrène l’administration Salmān depuis que l’Arabie Séoudite a fait le choix de sa via factis yéménite.

Secundo, à défaut d’une Nirouy-é Havei-é Jomhouri-é Eslami-é Iran8 au mieux de sa forme et d’une IQAF (l’acronyme anglais de l’armée de l’air irakienne) encore maigrichonne, ce sont bien les appareils de la coalition réunie par Washington – dont notre armée de l’Air – qui seront chargés de l’essentiel de la couverture aérienne. Avec les bavures que celles-ci, par la force des choses, généreront.

| Q. Et vous pensez que c’est cela qui explique l’isolement de Paris ?

Jacques Borde. Sur le sujet des poursuites contre la Russie ? Bien sûr que oui. Songez que, de près ou de loin, plus d’une quinzaine de pays font semblant de faire la guerre à Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)9 au sein de l’Ost étasunien. Tous avec plein d’idées derrière la tête ! Sauf celle, évidemment, de se voir accuser de crimes de guerre et/ou de crimes contre l’humanité, vous pensez bien…

| Q. Tout cela n’est-il pas un peu désespérant ?

Jacques Borde. Très, même. Et un brin faux c…l certainement. Comme l’a noté Caroline Galactéros, « Comment justifier en effet notre combat au Mali contre les djihâdistes sunnites, notre soutien en Irak aux chî’îtes contre les sunnites, et en Syrie notre appui aux groupuscules sunnites les plus extrémistes contre Bachar el-Assad…tout en prétendant profiter du marché iranien entre ouvert… et vendre des armes aux Séoudiens et Qataris sunnites qui sont by the way les financiers du djihâdisme mondial dont nous subissons la haine et la violence terroriste sur notre sol désormais à un rythme soutenu ? C’est de l’opportunisme à très courte vue, mais plus encore un hiatus stratégique béant et la manifestation d’une totale incompréhension du réel »10.

| Q. Et, en cette affaire, le président Hollande a commis une erreur en s’en prenant de front à la Russie ?

Jacques Borde. Oui, et une erreur qu’il sera difficile de rattraper.

Car, note encore Caroline Galactéros, « Au moment où il est d’une extrême urgence de se parler enfin à cœur ouvert, de dire la vérité, d’abandonner les poses et les anathèmes, de ne plus se tromper d’ennemi, de faire front commun – comme l’ont proposé les Russes depuis des lustres –, contre l’islamisme qui a décidé notre perte et s’esclaffe de notre ahurissante naïveté et de notre faiblesse, le président de la République française s’interroge publiquement, de bon matin, dans une émission de divertissement, devant l’animateur Yann Barthes sur TMC, sur l’opportunité de recevoir Vladimir Poutine à Paris le 19 octobre prochain ! ”P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non …”. La réponse de Moscou à cette insulte ne s’est pas fait attendre : le Président russe ne viendra pas. Nous sommes au fond du fond du fond de l’impuissance politique et l’on se laisse couler, saisis par l’ivresse des profondeurs en croyant surnager »11.

Et par dessus tout, ce « fond du fond du fond de l’impuissance politique », nous y sommes seuls. Désespérément seuls !…

Notes

1 Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale.
2 Note d’Actualité n°456, .
3 Cour pénale internationale.
4 La décision de Vladimir Poutine humilie la diplomatie française, Bouger les lignes (11 octobre 2016).
5 Corps des Gardiens de la révolution islamique.
6 Ou Force de mobilisation de la Résistance, couramment appelé Bassidj, le nom persan signifiant mobilisé.
7 Force de Jérusalem, une branche à part entière du Sêpah-é Pâsdâran-é Enqelâb-é Eslâmi, en français Corps des Gardiens de la révolution islamique). Force spéciale en charge des opérations extérieures dévolues aux Pâsdâran, commandée par le major-général Qassem Soleimani. Elle dépend exclusivement du Rahbar-é Enqelâb (guide de la révolution), l’Ayatollah Sayyed Ali Hossaini Khâmeneî (et non du président), un peu comme le Kidon du Mossad reçoit ses ordres du seul Premier ministre israélien (la ressemblance s’arrêtant là).
8 Armée de l’air islamique iranienne.
9 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
10 La décision de Vladimir Poutine humilie la diplomatie française, Bouger les lignes (11 octobre 2016). .
11 La décision de Vladimir Poutine humilie la diplomatie française, Bouger les lignes (11 octobre 2016). .

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