Échec relatif pour la tactique (russe) du « Sapin de Noël » [1]

L’irruption de Moscou aux côtés de Damas, comme acteur du grand jeu au Levant, nous a été vendue comme une donne géostratégique majeure ! & si, somme toute, nous en étions loin ? La difficulté des Russes – en dépit de leurs relations totems tant avec Jérusalem que Damas – à : 1/ anticiper & à juguler la récente montée aux extrêmes entre Syriens & Israéliens ; 2/ refréner les ardeurs turques au nord de la Syrie ; 3/ assurer, comme promis, au partenaire géostratégique syrien un minimum de couverture aérienne face aux ambitions des autres parties en lice au grand jeu, semble démontrer, qu’au bout du bout, la Russie reste, le (relativement parlant) petit joueur qu’avait marqué à la culotte Kennedy lors de l’Affaire de Cuba. 1ère partie.

| Q. Dites donc, un F-16 israélien abattu : la tension monte ?

Jacques Borde. Oui, mais c’était, hélas, prévisible. Pour des raisons géostratégiques qui sont les leurs les Israéliens n’ont jamais cessé, depuis des lustres, de conduire des missions aériennes au-dessus du Liban et de la Syrie.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une manière économique et raisonnée de traiter la guerre d’usure qui prévaut sur son front nord. Et cela bien avant la Guerre de Syrie. À un moment ou à un autre, il fallait s’attendre à ce que l’Heyl Ha’Avir y laisse des plumes. C’est la loi de la guerre.

Au-delà, il y a indubitablement :

1- une montée aux extrêmes entre les parties sur ce front là.
2- un coup porté à la suprématie aérienne israélienne : leur premier appareil perdu au combat depuis 1982. Mais pas la tapageuse victoire que fêtent un peu trop vite certains.

| Q. Comment réagit-on, côté israélien ?

Jacques Borde. Il y aurait une forme de sidération. Mais qui ne va pas durer.

Ce qui est assez logique, l’armée de l’air devra enquêter sur les raisons pour lesquelles un F-16I semble-t-il, donc de type Soufa équipé des meilleurs technologies israéliennes, a pu être abattu par des tirs de batteries antiaériennes syriennes. Probablement du 2K12 Kub (code OTAN SA-6 Gainful). Ou du S-200 Dubna (code OTAN SA-5 Gammon), comme l’affirme le site du Hezbollah1. Mais remis à niveau ? Par qui, au fait ?

Plus géopolitiquement, un porte-parole militaire israélien, le lieutenant-colonel Jonathan Conricus, a déclaré que l’Iran était « responsable de cette grave violation de la souveraineté israélienne ». Tout étant parti de l’irruption (version israélienne, selon les Libanais le drone a été shooté dans l’espace aérien libanais) du mauvais côté de la frontière d’un drone made in Iran.

Selon Ha’aretz, ce qui vient de se passer est emblématique du nouveau rapport des forces qui s’est installée au front nord. Notamment, le fait que Bachar el-Assad « est passé de la phase de la menace à celle de l’exécution des menaces. La direction syrienne a récemment plusieurs fois mis en garde contre toute offensive de la part d’Israël »2. Et, de ce fait « Les tirs contre les avions de chasse israéliens sont l’expression d’une confiance en soi chez les autorités de Damas après que leurs forces ont reconquis 80% du territoire »3.

À ce stade, il est toutefois possible que les choses puissent, malgré tout, en rester là. Chacun des belligérants ayant fait montre de sa puissance. L’important étant les lignes rouges qu’a défini Jérusalem dans ses relations avec ses voisins du nord…

| Q. Quelles sont-elles ?

Jacques Borde. À écouter le directeur-général du directeur-général Ha’Misrad Ley’Anyinei Modi’in (Renseignements), elles sont quatre :

1- l’arrivée d’armes de générations trop récentes en Syrie ou ou Liban.
2- les brèches dans la souveraineté israélienne.
2- les tentatives iraniennes d’établir des bases militaires en Syrie.
4- la mise en place d’une infrastructure de fabrication de missiles au Liban.

À l’évidence, le tir réussi d’un F-16I par la défense antiaérienne syrienne, vient battre en brèche les deux premières de ces lignes rouges. Les Iraniens (et non les Russes) étant avec une quasi certitude derrière la remise à niveau (retrofit) des S-200 Dubna syriens.

« Israël ne se départira pas de ces lignes rouges », a toutefois indiqué Tzuriel. « Nous ne nous laisserons pas affecter par les événements de samedi ». Pour l’instant, nous en sommes là. Pas plus…

C’est aussi ce que semble croire Freddy Eytan, pour qui « La preuve que ce gouvernement ne veut pas de conflit armé est bien la présence de dizaines de milliers de touristes en Haute Galilée et sur le plateau du Golan qui avaient profité du temps doux et ensoleillé en ce mois d’hiver pour faire de belles promenades et des randonnées. D’ailleurs aucune consigne urgente n’a été donnée non plus par Tsahal aux habitants. Ils peuvent continuer à poursuive tranquillement leur train de vie quotidien. Cependant, Tsahal prendra toutes les mesures adéquates pour rassurer la population, notamment par un renforcement de
ses troupes le long des frontières y compris dans la bande de Gaza qui pourrait aussi s’enflammer »4.

| Q. Pensez-vous que l’on puisse s’attendre à un embrasement, notamment du côté palestinien ?

Jacques Borde. Non. Les Israéliens eux-mêmes ne semblent pas y croire. Tant le Harakat al-Jihâd al-Islami fi Filastīn5 que le Katā’ib Izz al-Din al-Qassam (Brigades Ezzedine Al-Qassam)6, qui est la branche armée du Harakat al-Muqâwama al-‘islâmiya (Hamas)7, devraient rester l’arme au pied.

Rien qui puisse surprendre les Iraniens et leurs liges libanais d’ailleurs. Eux-mêmes n’ont jamais jugés bon d’ouvrir de front secondaire lors des guerres de Gaza. Derrière les grandes déclarations et les propos d’estrade, la règle est davantage au chacun pour soi.

| Q. Verbatim Jérusalem donc : la faute aux Iraniens ?

Jacques Borde. Plutôt à tout le monde, dirai-je. Le front syrien, front nord pour les Israéliens, est un lieu, autant au plan du discours que des actes, particulier.

À rappeler, d’abord que, tant de jure que de facto, Damas et Jérusalem restent des puissances en guerre l’une contre l’autre. Ceci posé :

1- Jérusalem use de la même tactique de frappe aérienne pour juguler les menaces que ses chefs militaires détectent sur le limes nord de l’État hébreu depuis les années 80. Certes, cela a longtemps été le modus operandi le plus sûr en raison de la suprématie aérienne que les Israéliens exercent sur la sous-région. Mais aucune tactique militaire n’est jamais efficace à 100% et, surtout, aussi longtemps.
2- ces raids sont autant des frappes classiques que des messages adressés à Damas et Téhéran. D’une certaine manière, à force de dire et redire la même chose, le discours israélien est devenu inaudible. Parce que aussi de l’autre côté tout a changé.
3- Damas, qui est en pleine guerre chaude8 depuis bientôt six ans, ne perçoit plus le côté héraldique des raids israéliens avec la même intensité. Une raison à cela : les contingents non-régnicoles présents sur son sol – qu’ils soient les forces spéciales iraniennes de la Nirouy-é Ghods9, ou les miliciens du Hezbollah, du Hizb as-Sūrī al-Qawmī al-Ijtimā`ī (PSNS)10 ou autres – n’ont plus rien à voir avec les factions armées libanaises ou palestiniennes que Damas entretenait sur son sol pour des raisons géopolitiques (et qui n’aurait jamais valu un tir de missile sol/air à qui que ce soit) mais les alliés militaires qui lui sont indispensables dans sa guerre longue contre la terreur takfirî.
4- Téhéran, de son côté, s’inscrit dans un jeu régional plus global11 et les Iraniens, bien que roués négociateurs, ont toujours eu une très haute opinion d’eux-mêmes. C’est aussi pour cela qu’ils placent aujourd’hui la barre assez haut face à Jérusalem, Washington ou Riyad.
5- évidemment, bien qu’alliés, leur perception des risques et des enjeux n’est pas celle de Damas.
6- les Occidentaux, éternels autistes géopolitiques au Levant, n’ont eux aucune idée de ce qui s’y passe réellement. Au lieu de tempérer les ardeurs des uns et des autres (et de combattre DA’ECH pour de bon), ils ont toujours vu dans les frappes aéroportées israéliennes de simples détails du grand jeu au Levant.
7- les Américains, plus particulièrement, se voient essentiellement comme les alliés militaires de Jérusalem. De ce fait, ils n’ont jamais su faire autre chose qu’acquiescer de manière pavlovienne12 aux raids de l’Heyl Ha’Avir. Sans jamais vouloir prendre en compte la complexité et l’évolution de la donne. Quant à savoir si l’hêgêmon étasunien se soucie réellement du sort de ses alliés hiérosolymitains, c’est un tout autre sujet. Avec Obama cela n’a jamais semblé comme allant de soi.
8- les Russes, qui se sont imparfaitement, maladroitement et trop récemment projeté au Levant n’ont pas su y tenir le rôle de puissance que les acteurs locaux attendaient d’eux. À ce titre, je dirai qu’ils sont co-responsables de la situation actuelle au nord d’Israël…

| Q. Les Russes ?

Jacques Borde. Oui, les Russes. C’est ce que je nommerai leur tactique du Sapin de Noël qui est un échec relatif.

[à suivre]

 

Notes

1 Al-Manar (11 février) .
2 Ha’aretz (10 février 2018).
3 Ha’aretz (10 février 2018).
4 Renforcer la dissuasion en évitant l’escalade, CAPE (10 février 2018) .
5 Ou Jihâd islamique palestinien (JIP).
6 Anciennement Al-Moujahidoun al-Philistiniyoun, les combattants palestiniens.
7 Mouvement de résistance islamique, l’acronyme signifie également zèle en arabe.
8 Mais pas contre Israël.
9 Force de Jérusalem, une branche à part entière du Sêpah-é Pâsdâran-é Enqelâb-é Eslâmi. Force spéciale en charge des opérations extérieures dévolues aux Pâsdâran, commandée par le major-général Qassem Soleimani. Elle dépend exclusivement du Rahbar-é Enqelâb (guide de la révolution), l’Ayatollah Sayyed Ali Hossaini Khâmeneî (et non du président), un peu comme le Kidon du Mossad reçoit ses ordres du seul Premier ministre israélien (la ressemblance s’arrêtant là).
10 Parti social national syrien, connu aussi sous le nom donné par la France de Parti populaire syrien, PPS, ou de Parti saadiste ou encore au Liban de Parti nationaliste.
11 Que d’aucuns résument à ce qu’ils appellent l’Arc chî’îte.
12 Avec, parfois, de molles admonestations la plupart du temps restées sans suite.

 

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