Voxnr – Emprise

Ghouta, Lignes rouges, etc. ! Qui pour tirer les marrons du feu ?

Peu à peu la teigneuse, mais désormais plus assurée sur ses bases, Armée arabe syrienne (AAS) poursuit la libération de la Goutha orientale. Comme pour Alep, ce retour à la mère-patrie vaut à Damas & à ses alliés la haine & les diatribes d’Occidentaux, plus zens quant à la via factis des Néo-barbaresques wahhabî au Yémen. En pointe de cet humanisme (sic) à sens unique un régime de Paris (sic) qui tire à boulets rouges sur le régime de Damas (sic). Jusqu’où ?

| Q. Sur la Ghouta, vous êtes toujours aussi peu sensible aux condamnations d’instances et ONG variées ?

Jacques Borde. Toujours. Et il n’y a aucune raison que ça change. Instances et ONG : lesquelles, d’ailleurs ? Outre celles véritables nids de barbouzes (comme celles qui faisaient du pointage laser pour l’aviation de la coalition en Irak) ne venons-nous pas de découvrir que nombre d’autres – citons, ô hasard, Qatar Charity, Oxfam, mais pas seulement – sont mouillées jusqu’au cou dans des scandales à connotation sexuelle. Remarquez, ça ne devrait pas beaucoup gêner certaines personnalités de notre côté de la Méditerranée.

Par ailleurs, on notera qu’une source (sic) aussi péremptoire sur les souffrances de la Ghouta que notre vespéral Monde doit avoir une sacrée paire de jumelles : son correspondant, Allan Kaval, est basé à… Erbil. Bon plus près qu’Helsinki mais pas, non plus, la porte à côté…

Celui de Challenges (plus pro, mais par rapport au Monde…) opérant, lui, à partir de Beyrouth.

À titre personnel, et pour avoir plus que traîné mes guêtres dans cette ville magnifique, y être ne m’a jamais conféré un don de double vue particulier pour savoir ce qui se passait du côté de Damas ou Lattaquié…

| Q. Vous critiquez toujours autant le passif de Le Drian aux armées ?

Jacques Borde. Oui. Plus que jamais. Née dans quelques salles de rédaction, j’ai toujours été fasciné par cette légende dorée de Le Drian chouchou de la Grande muette.

| Q. Vous la croyez surfaite ?

Jacques Borde. Mieux que ça : usurpée ! Un exemple rapide : Jean-Yves Le Drian est l’homme qui, commandant sur étagères des drones de combat MQ-9 Reaper, commit la bourde de nous les faire acheter… désarmés !

Il aura fallu l’arrivée de Florence Parly au ministère des Armées pour corriger cette absurdité. Un choix « salué par la classe militaire »1, a noté notre estimée consœur Justine Boquet.

| Q. Et en quoi était-ce une bourde ?

Jacques Borde. C’est assez simple à comprendre. Un drone armé de type Reaper emporte jusqu’à quatre missiles air/sol AGM-114 Hellfire. Il s’affranchit donc de la nécessité de devoir appeler à la rescousse des avions d’armes, type Mirage 2000D ou Rafale, pour taper les objectifs qu’il repère mais qui n’ont pas vocation à attendre qu’on leur tombe dessus. Compte tenu de la taille du front du djihâd sahélo-saharien, cela semble tellement évident qu’on se demande comme cela a bien pu échapper à l’extrême expertise (hum) de M. Le Drian quant à la chose militaire.

À noter que ce gain de temps (et de moyens) est très bien connu des vrais professionnels : on parle alors de raccourcir la Boucle OODA2 (une des grandes spécialités des Israéliens, soit dit en passant).

| Q. Pourquoi dites « tellement évident » ?

Jacques Borde. Parce que je connais des ados de 16-17 ans, férus de magazines militaires et aéronautiques, qui sont incollables sur le sujet. Pourquoi un tel déficit décisionnel ? En tout cas, on aurait voulu amoindrir et ralentir nos capacités de riposte contre la terreur takfirî qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Plus simplement, hélas, les erreurs de jugement : petite cause mais grands effets…

| Q. Sinon, vous pensez vraiment que des confrontations directes entre Russes et Occidentaux pourraient se produire au-dessus de la Syrie ?

Jacques Borde. Cela reste du domaine du possible. Une guerre on sait généralement comment ça commence, après…

À noter que cela serait, de jure, l’entière responsabilité des aviations de combat occidentales et, par là, des États dont elles sont l’évident outil de leurs viae factis contre l’État souverain et membre des Nations-unies qu’est, n’en déplaise à certains, la République arabe syrienne (RAS).

| Q. Et, à vos yeux, pas les Russes ?

Jacques Borde. Pourquoi les Russes ? Eux sont là à l’appel du gouvernement syrien, sis à Damas. A contrario, les aviations de combat de la coalition de facto qui écument le ciel syrien, le font en violation de toutes les lois internationales et conventions aéronautiques (dûment signées par ces pays occidentaux).

Nous qui nous offusquons avec force trémolos que des appareils de la Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)3 frôlent nos frontières aériennes, que dirions-nous si, d’aventure, des Su-34 Fullback de cette même VKS allaient tapisser de bombes la Base de Solenzara4, au motif que (pour plagier une terminologie à la mode) le régime de Paris (sic) ne reconnaît pas le peuple corse en tant que tel, comme le souhaitent ses représentants élus ?

| Q. Scenario de jeu de guerre intéressant. Et pourquoi Solenzara ?

Jacques Borde. Pour des raisons évidentes, la proximité, notamment. La Base 126 était, je vous le rappelle, en première ligne lors de la via foedi franco-britannique contre la Libye. Elle le serait tout autant face à la Syrie ! Au 11 avril 2011, elle abritait 23 chasseurs et une dizaine de sorties par jour furent effectuées à partir de Solenzara, avec un minimum de huit et un maximum de quatorze.

Techniquement, la BA 126 peut accueillir jusqu’à 40 avions de combat et 10 appareils de transport tactique et sa piste de 2.627 mètres permet de recevoir des avions de transport stratégique et des ravitailleurs en vol.

| Q. Et qu’est-ce qui pourrait faire qu’un tel scenario prenne corps ?

Jacques Borde. Le fait que nous frappions, au prétexte plus qu’artificiel de nos lignes rouges, des facilités syriennes. Ce qui, au regard du droit de la guerre serait un incontestable casus belli, la France n’étant ni directement menacée par les forces armées syriennes, ni liée par traité avec qui que ce soit d’autre que la République arabe syrienne.

| Q. Et atteindre Solenzara, vous croyez ça faisable ?

Jacques Borde. Techniquement parlant, qui sait ? Vous savez la proximité, ça joue dans les deux sens…

| Q. Vous croyez les Russes prêts à ça ?

Jacques Borde. Je ne suis pas dans leurs têtes. Mais, c’est aussi le rôle des états-majors d’élaborer des scenarii. Tous les scenarii possibles. Comme au temps de la Guerre froide. Mais le risque majeur est plutôt celui de Su-57 abattant tel ou tel aéronef violant l’espace aérien syrien. Donc un des nôtres.

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il y a une montée en gamme des Russes en Syrie. Et, pour une fois, ce ne sont pas que de belles paroles !

Et, quant à cet engagement russe au Levant, plusieurs choses essentielles ont changé.

| Q. Lesquelles ?

Jacques Borde. Principalement celles qui suivent :

1- Damas et Téhéran ne veulent plus entendre parler de trêve avec les bouchers takfirî retranchés dans la Ghouta orientale.
2- apparemment, les Russes se seraient ralliés à cette ligne dure.
3- Damas, Téhéran et Moscou trouvent que l’affaire syrienne a assez duré.
4- Moscou veut éviter que les chose dérapent avec les Israéliens : en finir au plus vite est donc une option raisonnable et à leur portée.
5- signal fort aux Occidentaux que nous sommes, deux des quatre Sukhoï Su-57 désormais positionnés en Syrie ont survolé Damas au moment où le 62ème Régiment blindé de l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)5, un de ceux opérationnels sur ses tous nouveaux T-90S, se dirigeait vers la Ghouta.
6- las but not least, le ralliement des forces tribales sunnites à l’AAS vient d’enterrer ce qui pouvait rester du conflit confessionnel en Syrie entre l’appareil alaouite et la majorité sunnite.

Ce dernier point étant certainement le plus important de tous.

| Q. Mais, hypothétiquement, vous croyez vraiment que perdre des Rafale en Syrie est possible ?

Jacques Borde. Oui. C’est du domaine du possible. Et, une telle hypothèse serait évidemment une catastrophe.

| Q. Dans quel sens ?

Jacques Borde. D’abord, directement.

Primo, parce que perdre des exemplaires du must de notre aviation de combat, nous coûterait de l’argent. Là, nous ne parlons pas d’un antique VAB sautant sur une mine.

Secundo, il ne vous échappera pas que, dans quelques année, le Rafale sera le seul et unique avion d’armes de notre parc aérien. Drôle de signal géostratégique à ceux qui nous entourent, non ?

Tertio, le Rafale va devenir l’outil aéroporté de notre dissuasion nucléaire. Là encore, en laisser un sur le carreau affaiblirait tragiquement notre discours en la matière.

Ensuite, plus généralement, cela aurait des impacts sur la Loi de programmation militaire 2014-2019 (LPM 2014-2019) et tout ce que nous en attendons.

| Q. Comment cela ?

Jacques Borde. Lors de leur audition, le 21 février 2018, devant la Commission Défense de l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont clairement indiqué que « l’équilibre de la programmation militaire 2014-2019 reposait en grande partie sur la réussite à l’exportation de Dassault Aviation (…). Quarante appareils devraient être vendus pour remporter ce pari risqué »6.

Il ne vous échappera pas que dans cette phrase, le mot essentiel est « devraient ». Car, bien sûr, rien n’est acquis dans ce bas monde. À commencer par la vente d’un avion d’armes qui, à l’usage, ne serait pas si combat proven que nous le clamons haut et fort.

Déjà que 40 à 50 Rafale vendus, ça n’est pas non plus le Pérou, la perte d’un à plusieurs appareils sous l’azur du Levant plomberait nos perspectives.

Or, je vous rappelle que, d’ores et déjà, notre armée de l’Air n’aligne que deux types d’appareils susceptibles d’aller taper sous le nez des Su-35 et Su-57 de la Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS) et des MiG-29 de l‘Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Arabiya as-Sūrī (FAAS)7, le Rafale et le Mirage 2000D. Sans parler de la défense aérienne syrienne qui vient de shooter un F-16I Soufa israélien.

À noter que les MiG-29 syriens sont potentiellement des MiG-29M/M2. Damas ayant passé commande de cette version. Or, les Russes ont bel et bien remis à niveau une partie du parce de la FAAS. Donc surprise possible.

| Q. Sommes-nous si près que ça du gouffre ?

Jacques Borde. Cela dépendra largement des choix que fera l’administration Macron vis-à-vis de Damas.

Au stade où nous en sommes, les amabilités et la retenue ne sont pas vraiment de rigueur.

Le 2 mars 2018, la présidence française, dans un communiqué faisant état d’un entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Donald J/ Trump, s’est cru autorisé d’affirmer que « Les États-Unis ne toléreront pas l’impunité » en cas « d’utilisation avérée » d’armes chimiques en Syrie.

Propos qui n’ont guère impressionné les Russes qui, en retour ont évoqué « l’utilisation présumée d’armes chimiques par Damas sont une illustration d’un cynisme pur. Cela se produit dans le contexte où l’administration reconnaît elle-même l’absence de preuves à cet égard. De telles preuves n’ont jamais existé auparavant. Les fausses affirmations des Casques blancs, qui se sont totalement discrédités eux-mêmes, ainsi que d’autres organisations non gouvernementales pseudo-humanitaires à la solde de l’Occident, ne sont rien d’autre qu’une farce de pacotille ».

Farce et pacotille ! La parole occidentale ramenée à de la camelote. Il est temps de faire retomber la tension et de trouver une porte de sortie à nos errements levantins…

Notes

1 Air & Cosmos n°2584 (2 mars 2018).
2 Pour Observation-orientation-décision-action. Appelée aussi Cycle de Boyd.
3 Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale.
4 Ou Base aérienne 126 Ventiseri-Solenzara Capitaine Preziosi.
5 Armée arabe syrienne.
6 Air & Cosmos n°2584 (2 mars 2018).
7 Force aérienne arabe syrienne.