Accueil ACTU Monde D’Afrin au Golan : Ça swingue en Syrie, mais pas seulement… [2]

D’Afrin au Golan : Ça swingue en Syrie, mais pas seulement… [2]

Que se passe-t-il au juste Au Levant ? Du Saillant d’Afrin au Golan, la montée aux extrêmes est de plus en plus palpable. les puissances (Ankara, Jérusalem, Washington, Moscou) mettent de plus en plus de leurs propres billes dans leur grand jeu au Levant. Jusqu’au président français, Emmanuel Macron, à poser ses propres lignes rouges face à Damas. Jusqu’à quand & jusqu’où ira ce gambit ? 2ème Partie.

| Q. Donc, pour être clair, vous pensez que la France a tort de vouloir se mêler des affaires intérieures d’États tiers ou de se préoccuper des droit de l’Homme, notamment au Levant ?

Jacques Borde. Tout à fait. À cela une seule et unique raison : nous sommes en cette affaire plus dans la posture dite de l’hôpital qui se fout de la charité que celle de l’oie blanche.

| Q. Ah, bon carrément ?

Jacques Borde. Oui. À chaque aléa meurtrier de la guerre que mène Damas contre la terreur takfirî – et les guerres se font, hélas, avec des victimes innocentes – notre diplomatie monte, sans le plus petit résultat sur le terrain sur ses grands chevaux et menace l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)1 pour ce que nous appelons le franchissement de notre ligne rouge quant aux opérations militaires conduite par l’État syrien.

| Q. Et ça pose problème ?

Jacques Borde. Oh, que oui. Et pour de nombreuses raisons.

1- il semble avoir échappé à la fine fleur de notre diplomatie que la République arabe syrienne (RAS) n’est plus, depuis quelques temps déjà, sous mandat de la France. Elle a donc le droit de mener ses opérations militaires conte la terreur takfirî comme elle l’entend. Cela ne nous regarde en rien. Que dirions-nous si Damas prétendait avoir un droit de regard sur nos OPEX au Sahel ?
2- personne ne nous chargé, à part l’ego de nos dirigeants, de poser la plus petite ligne rouge que ce soit en Syrie ou ailleurs.
3- Paris nourrit des ambitions récurrentes quant aux eldorados économiques que sont les pays du Levant ainsi que l’Iran. Simple question : est-il si avisé de n’avoir que l’insulte et le fiel à la bouche lorsque nous adressons à des dirigeants à qui nous tenons à tout prix à fourguer notre quincaillerie ?
4- la France est-elle si bien placée pour jouer les donneuses de leçons Parisi et orbi ?

Évidemment non. Et surtout pas dans le domaine des droits de l’Homme…

| Q. Dans quel sens ?

Jacques Borde. Depuis mars 2015, une coalition d’États arabes emmenés par l’Arabie Séoudite mène une campagne militaire particulièrement génocidaire au Yémen. Les combats s’enlisent, marqués par une litanie d’insoutenables crimes de guerre ainsi qu’une une catastrophe humanitaire sans précédent.

Or, tandis que plusieurs États ont décidé d’arrêter de fournir des armes aux belligérants, la France, « patrie des droits de l’homme » non seulement se montre nettement indifférente à la controverse, mais, pire, se réjouit même de ses ventes d’armes « record » & de leur efficacité en matière de destruction.

| Q. Et nos matériels sont bien impliqués dans l’actuelle via factis ?

Jacques Borde. À écouter, ceux qui les vendent, oui !

Ainsi, commentant pour la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale l’implication de nos blindés Leclerc, le pdg de Nexter, Stéphane Mayer, déclarait que « Pour ce qui est des chars Leclerc, je vous confirme que leur implication au Yémen a fortement impressionné les militaires de la région ».

En effet depuis le printemps 2015, 70 à 80 chars Leclerc ont bien été déployés par l’armée émiratie face à la rébellion des Houthis. Ils y ont fait la preuve de leur excellence. Contrairement au contre-performances des Leopard turcs face aux proxies kurdes de Washington dans le nord de la Syrie.

Bien sûr, précisons d’entrée que :

Primo, il ne s’agit pas de reprocher à Stéphane Mayer une situation à laquelle il n’a pris aucune part. Vendus nettement en amont de cette guerre, il eut fallu au pdg de Nexter une boule de cristal pour anticiper un tel engagement.

Secundo, les matériels français ont, effectivement, démontré leur très haute qualité sur le terrain.

Sans doute serait-il utile (comme cela se fait aux États-Unis) que certaines auditions parlementaires et/ou sénatoriales se tiennent à huis clos et que leur contenu ne soit accessible qu’à certaines conditions et à certaines personnes. Après tout, il s’agit aussi de questions relevant de notre sécurité nationale. Et pas seulement de nos lubies droit-de-l’hommistes. Soyons sérieux, pour une fois.

En revanche, il existe bel et bien un vaste mouvement de désengagement de la part des fournisseurs d’armes à l’administration séoudienne.

Comme l’a écrit Anne-Sophie Simpere, dans son papier intulé Mirages 2000, chars Leclerc, canons Caesar : la France & ses entreprises, fournisseurs officiels de la guerre au Yémen, « Dès mars 2016, le parlement hollandais vote ainsi une résolution interdisant l’exportation d’armes vers l’Arabie Séoudite, en lien avec son intervention au Yémen. Le 19 janvier dernier, c’est l’Allemagne qui annonce l’arrêt immédiat des ventes d’armes à toutes les parties du conflit au Yémen (…). Face au risque que les armes soient utilisées contre des civils, la Norvège, la Belgique et le Canada gèlent également des exportations vers les Émirats Arabes Unis ou vers l’Arabie Séoudite. En Finlande, tous les candidats à la présidentielle de février 2018 se sont engagés à arrêter les ventes d’armes aux émiratis, après que des images aient prouvé leur utilisation dans la guerre au Yémen »2.

| Q. Revenons à la Syrie ni Damas, ni les Russes d’ailleurs, ne semblent faiblir dans leur offensive et le Saillant de la Ghouta se réduit de jour en jour ?

Jacques Borde. Encore heureux. Mais :

Primo, ont-ils vraiment le choix ?

Secundo, en quoi cela nous regarde-t-il ?

Tertio, où sont nos intérêts ?

Fort heureusement, à propos du Saillant de la Ghoutha orientale, les Russes ont, visiblement, décidé de ne pas tenir compte de la mala fides occidentalis et de forcer la décision pour liquider cette poche terroriste takfirî. Il semblerait bien qu’on touche à la fin de cet épisode de la Guerre de Syrie. Enfin.

On note, notamment, la présence des systèmes TOS-1A qui tirent, entre autres, des munitions thermobariques de 220 mm. Dans l’est de Ghouta, le TOS-1A joue un rôle clé dans la réduction des positions terroristes avec un effet de saturation à courte distance. Il semble, par ailleurs que les premières unités de T-90S 100% syriennes (sic) ont commencé à se déployer. Les T-90S présents étant, selon nos sources, opérés par des Iraniens.

Par ailleurs, les Russes avancent en partie (mal) masqués et les articles commencent à arriver quant à l’engagement de mercenaires (sic) russes du côté des forces régulières et paramilitaires syriennes. Forme d’engagement qui, on vient de le voir, peut coûter cher en personnels

Mais de toute façon, comme toujours, au sol, ce sont les Syriens, les Iraniens et les pro-Iraniens qui font 99,99% du boulot.

| Q. Dites-moi, la ligne rouge de Macron ne semble pas non plus impressionner grand-monde ?

Jacques Borde. Assez peu effectivement. Voir la virée guère réussie du chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, à Téhéran…

Comme l’avait écrit excellemment Alain Rodier : « Sur le plan politique, cela ne changera rien car le régime de Bachar el-Assad considère la France comme un pays ‘ennemi’ et Paris pense la même chose du régime syrien »3.

Donc, à Damas, on s’est fait une raison…

Le seul problème ira-t-on au bout de cette logique. Mais les lignes rouges sont aussi faites pour ne jamais être franchies.

Et comme l’écrit encore Alain Rodier, « … c’est pourquoi personne – Américains, Turcs et Séoudiens compris – n’a officiellement ‘déclaré la guerre’ à la Syrie. La réponse est claire, tout le monde espérait (…) que l’affaire serait réglée en quelques semaines par les rebelles auxquels on acceptait de fournir une aide substantielle. Sept ans après, Assad est toujours présents, les Russes sont installés à demeure, les Iraniens renforcent leur présence et quoiqu’en disent les optimistes, la guerre civile perdure ! »4.

En fait, la résilience de Damas reste sa meilleure carte. Quels que puissent être les mauvaises fées à se pencher sur le berceau, le bébé syrien résiste, résiste et résiste encore.

In fine, assez peu croient, et les Syriens les premiers, que la France puisse être en mesure d’obtenir quoi que ce soit de décisif en Syrie. Et ce ne sont pas les descriptions alarmistes de l’état réel de nos armées, de la part de voix aussi expertes que celles de l’ancien chef d’État-major des armées (CEMA), Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon, et du général de division (CR) Vincent Desportes5, qui risquent de persuader qui que ce soit du contraire.

Et, tant mieux, il ne manquerait plus que nous essuyons des pertes au Levant…

Notes

1 Armée arabe syrienne.
2 L’Observatoire des multinationales .
3 Atlantico .
4 Atlantico .
5 Ex-Commandant du Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF), ancien directeur de l‘École de guerre (ex-Collège interarmées de Défense), Professeur associé à Sciences P.o Paris, diplômé de l’US Army War College (équivalent US du Centre des hautes études militaires de l’Armée de terre).

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