Va-t-on vers plus qu’une joute verbale entre le président turc, Reccep Tayyip Erdoğan, & son homologue français, Emmanuel Macron ? Depuis quelques semaines, les prétentions du régime de Paris (sic) à se dresser en donneur de leçons à l’endroit du régime d’Ankara (sic) montent en gamme. Bientôt il ne restera plus comme choix pour l’un des deux locuteurs de cette lice géostratégique qu’à franchir le pas de la via factis ou à se coucher devant l’autre & à rentrer au bercail la queue entre les jambes. Lequel ? En attendant, on rappellera à nos deux coqs dressés sur les ergots que : 1- ni l’un ni l’autre, c’est important de le dire, n’est chez lui en Syrie ; 2- d’autres maîtres dans l’art de la guerre pourraient tirer profit de cette joute irresponsable. À bon entendeur… 1ère Partie..
| Q. Dites-moi, on n’entend plus, ou presque, parler de la Ghouta orientale ?
Jacques Borde. Effectivement. Deux raisons principales à cela :
Primo, la bataille militaire de la Ghouta étant terminée, la cause en est perdue pour le camp occidental.
Le commandement général d’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)1 a fait savoir que les forces syriennes ont réussi à libérer du terrorisme takfirî toutes les localités de la Ghouta orientale. Le Commandement a précisé que les villes et localités sécurisées dans la Ghouta orientale sont : Hazrama, Nachabiya, Salhiya, Jessrine, Tell Farzat, Hoch Kharabo, Beit Nayem, Mohammadya, Hoch Qubyat, Hoch Barouda, Hoch Ach’ari, Ardh Bacha, Hoch Zawahera, Afratis, Chifoniya, Ardh Al’eb, Rihane, Hoch Mubaraka, Ardh Aberchya, Ardh Zawiya, Ardh Safsafa, Beit Sawa, Madyara, Hammourya, Messraba, Hazzé, Saqba, Ain Tarma, Jobar, Zamalka, Irbine, Harasta et Kafr Batna.
Secundo, la bataille médiatique de la Ghouta n’a plus de raison d’être et la réalité de cette région et des médiamensonges qui l’ont environné apparaît de plus en plus. Donc, du seul point de vue occidentalocentré, on préfères se faire oublier…
| Q. Pourquoi au juste ?
Jacques Borde. Pendant des semaines, on nous a asséné que la Ghouta orientale abritait près de 400.000 civils assiégés par la très vilaines Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī.
Or, alors que 90% du territoire de la Ghouta orientale est aujourd’hui libéré, mais du terrorisme takfirî, les vrais chiffres de la population de cette partie de la Syrie sont tout autres :
– 105.000 civils normaux (sic), libérés du joug des terroristes takfirî.
– 7.000 autres personnes, de manière évidente des proxies takfirî, majoritairement non-syriens et leurs familles, sont partis sous escorte à Idleb, dont environ 1.500 avec leurs armes légères.
Soit à ce jour, un total de 113.000 habitants. On est très loin des 400.000 pauvres bougres évoqués par les Occidentaux au Conseil de sécurité des Nations-unies.
| Q. La Ghouta, c’est bien fini ?
Jacques Borde. Le temps des combats frontaux avec les terroristes takfirî, oui. Il y aura probablement une forme de résilience du nazislamisme sous la forme d’attentats, mais au-delà, je n’y crois guère.
Un double signe vient d’ailleurs confirmer indirectement l’annonce de l’AAS :
1- l’administration Trump vient d’ordonner le gel de plus de 200 millions de dollars de fonds officiellement destinés à la reconstruction en Syrie (sic), indiquait le titre phare de la presse financière étasunienne2.
2- de son côté, au cours d’un discours dans l’Ohio, Donald J. Trump, a affirmé que les Américains allaient partir « très vite » de Syrie, la défaite d’Al-Dawla al-Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (ISIS/DA’ECH)3, étant consommée…
| Q. Pourquoi une décision aussi rapide ?
Jacques Borde. L’annonce, en tout cas, en est rapide. Trois raisons essentielles à cela :
Primo, Trump est, personnellement, opposé à l’idée que les États-Unis maintiennent un engagement à long ou même à moyen terme dans l’est de la Syrie. C’est le versant géostratégique de son America First, comme lorsqu’il se dit prêt à faire la paix avec son homologue de la Chosŏn Minjujuŭi Inmin Konghwaguk4, Kim Jong-un.
Secundo, si les propos de Trump semblent en contradiction avec ce que disait, à la mi-janvier 2018, son ex-US Secretary of State, Rex W. Tillerson, ce dernier a été viré comme le malpropre (géopolitiquement parlant) qu’il était et remplacé par Michael Richard Mike Pompeo, le directeur de la CIA.
De facto, J. Trump, qui multiplie les annonces de politique étrangère, semble vouloir s’affranchir de la tutelle des militaires de haut rang qui l’entourent. J’ai nommé :
1- le US Secretary of Defense, le général (Ret) James Mad Dog Mattis5.
2- le National Security Adviser, le lieutenant-général Herbert Raymond McMaster, dit dit H. R. McMaster6.
3- et le 28ème White House Chief of Staff7, le général John Francis Kelly8.
D’où ces derniers propos visant à rappeler que les États-Unis avaient dépensé « 7.000 milliards de dollars au Proche-Orient ». « Et vous savez ce qu’on en a retiré ? Rien », a habilement souligné Trump, qui a promis à son auditoire de financer désormais en priorité la création d’emplois et les infrastructures sur le territoire national.
Tertio, l’administration US aurait, possiblement, trouvé quelqu’un pour aller tirer les marrons du feu au Levant ad usum Occidentali : le Français Emmanuel Macron ! Alors pourquoi faire du zèle quand quelqu’un est disposé à assurer les basses besognes de l’Occident au Levant à votre place ?
| Q. Là, vous êtes en train de me dire que le foyer de tensions, ça serait plutôt désormais entre Paris et Ankara ?
Jacques Borde. D’abord, gardons la tête froide, l’hypothèse de déploiement(s) de militaires français en soutien des proxies kurdes de l’Occident ne relève que de bruits de couloir et autres annonces non-confirmées de source sûre. Avec à la clé, un démenti sibyllin de l’Élysée, repris par l’AFP et nous disant que « La France ne prévoit pas de nouvelle opération militaire sur le terrain dans le nord de la Syrie en dehors de la coalition internationale anti-DA’ECH ».
Ensuite, tels deux coq se disputant la glèbe d’un poulailler, le président turc, Reccep Tayyip Erdoğan, et le président français, Emmanuel Macron, se toisent, s’invectivent et s’avertissent à tour de rôle.
Oublieux qu’ils sont d’une, pourtant, incontournable réalité…
| Q. Laquelle ?
Jacques Borde. Le fait que Paris et Ankara ne sont pas chez eux en Syrie. Que personne, à commencer par les autorité légales et légitimes de ce pays (sises à Damas rappelons-le), ne les a convié à faire de cette partie de la Syrie le champ clos de leurs ambitions.
Coloniales pour le premier et impériales pour le second.
| Q. Pourquoi parler de colonialisme à propos de Paris ?
Jacques Borde. Pour plusieurs raisons en fait :
1- Paris est bien l’ancienne puissance mandataire et… coloniale qui imposait sa loi en Syrie.
2- parce que le président français, Emmanuel Macron, en partie parce qu’il a gardé à ses côté (sa pire erreur géopolitique, selon moi) le Hollandiste Jean-Yves Le Drian comme chef de sa diplomatie, se fourvoie lourdement dans sa lice en Syrie. Nous n’y avons pas les moyens de nos ambitions. Et aucune autorité, morale ou autre, pour y agir.
3- que la France a bien la sale habitude de régler ses comptes avec autrui en Syrie.
4- que la politique étrangère de la France suit, depuis trop longtemps, les ornières maculées de sang du colonial-socialisme français du siècle dernier. Dépassé et criminel.
| Q. Colonial-socialisme, vous y aller un peu fort ?
Jacques Borde. Pas du tout. Et l’histoire est là pour nous le rappeler tous les jours.
Primo, c’est bien la France qui a dépecé la Syrie d’une partie de ses terres. Le Hatay turc (sic) n’est jamais que le Sandjak d’Alexandrette volé au peuple syrien.
Secundo, c’est bien la gauche vichyste qui se cramponnera bec et ongles en Syrie, obligeant les Alliés (dont un certain Moshé Dayan, combattant du côté des Britanniques) et la France libre de l’en déloger de vive force.
Tertio, c’est encore la gauche qui, du temps de Mitterrand, fera siennes les ambitions démesurées du Rojava9, faisant alors de la France l’un des acteurs controversés du grand jeu occidental face au Bismarck de Damas, feu le président Hafez el-Assad et à ses ambitions de restauration de la mère-patrie syrienne dans son entier.
| Q. À vous entendre, la France n’est plus la puissance protectrice du Levant ?
Jacques Borde. (Soupir) Non. Et depuis longtemps déjà.
Revenons, ici, sur l’épisode honteux de l’ancien Sandjak d’Alexandrette – volé à sa mère-patrie syrienne et livré à la Turquie – grâce aux entourloupes de… Paris. Il y a donc un bout de temps que nous avons pris cette habitude de trahir, pour des livres turques10, à défaut de deniers, nos rares et vrais amis dans cette partie de l’Orient compliqué.
À ce sujet, le livre de Lucien Bitterlin : Alexandrette, le Munich de l’Orient ou Quand la France capitulait, même s’il remonte à 1999, me semble une lecture indispensable pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire.
| Q. Mais Chirac fut bien un grand ami de l’Orient ? Du Liban en tout cas ?
Jacques Borde. (Éclat de rire) Finissons-en avec cette légende urbaine si vous le voulez bien !
Chirac ne fut pas l’ami du Liban, mais du clan Hariri, alors au fait de sa gloire. Ce qui n’est pas la même chose. Il est plus que temps d’apprécier la portée de l’ubuesque politique libanaise de Jacques Chirac au fait que Chirac et les siens furent remerciés à la hauteur de leurs engagements (sic) par leur hébergement dans un des quartiers les plus chics de Paris, sur les quais de Seine, dans un bien de la famille Hariri.
Après viendront nos amitiés (sic) libyennes, qataries et séoudiennes. Toutes aussi désintéressées évidemment !!!!!
Et, aujourd’hui, notre match de boxe avec le nouveau maître de la Sublime porte : l’irascible Erdoğan.
| Q. Vous parlez de Lucien Bitterlin, peu de personnes le citent désormais…
Jacques Borde. Hélas, peu de personnes le lisent surtout. Or, les ouvrages de Lucien Bitterlin11, qu’on partage ou pas ses idées, sont indispensables pour comprendre la réalité du Levant arabe et tout particulièrement le Levant conçu par la Syrie. Et sur lequel Lucien Bitterlin, aujourd’hui disparu, fut longtemps là pour nous offrir ses sommes et son éclairage.
[à suivre]Notes
1 Armée arabe syrienne.
2 Wall Street Journal (30 mars 2018).
3 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
4 Ou République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord).
5 Contrairement aux fantasmes colportés par les Démocrates et leurs relais divers et variés, Mattis est considéré comme un intellectuel par ses pairs, notamment en raison de sa bibliothèque personnelle comptant plus de 7.000 volumes. Il a toujours avec lui, lors de ses déploiements, un exemplaire des Pensées pour moi-même de Marc Aurèle. Le major-général Robert H. Scales le décrit comme « … l’ un des hommes les plus courtois et polis que je connaisse ».
6 Director of the Army Capabilities Integration Center et Deputy Commanding General, Futures du US Army Training & Doctrine Command. Avait précédemment dirigé le Fort Benning Maneuver Center of Excellence et la Combined Joint Interagency Task Force-Shafafiyat de l’ISAF en Afghanistan. Très impliqué dans les Opérations Enduring Freedom et Iraqi Freedom, McMaster est l’auteur de Dereliction of Duty (1997), un des plus vives critique du haut-commandement US lors de la Guerre du Viêt-Nam.
7 Chef de cabinet de la Maison-Blanche.
8 Ancien patron du US Southern Command (USSOUTHCOM). Soit le 3ème général de l’administration Trump.
9 Ou Rojavayê Kurdistanê ou Kurdistan occidental en français.
10 Ou Türk lirası, ou lira. Bien qu’en ce temps, la trahison se négociait plutôt en or.
11 Hafez el-Assad. Le Parcours d’un Combattant, Lucien Bitterlin, Les Éd. du Jaguar, 1996 & Alexandrette : le Munich de l’Orient, où quand la France capitulait, Lucien Bitterlin, Éd. Jean Picollec (1999).