Voxnr – Emprise

Un Levant sans l’omniprésent ami américain est-il possible ?

Annonce après annonce, le président américain, Donald J. Trump, marque sa volonté de ne plus gendarmer le monde comme ses prédécesseurs le faisaient. Excellente perspective, si elle se vérifiait. De toute évidence, une déflation des tensions pourrait permettre un début d’apaisement en cet Orient compliqué dont nous parlait le général. À condition que quelques idiots utiles, du côté d’Ankara & de Paris notamment, cessent de s’invectiver & de jeter de l’huile sur le feu. Ce qui, je vous l’accorde, n’est pas gagné !…

| Q. Quid de cette Française qui va être rejugée comme terroriste en Irak ?

Jacques Borde. Une excellente nouvelle. Ce d’autant qu’elle risque la pendaison, ce me semble.

Quant au fond, en partant combattre au sein d’une organisation terroriste takfirî ennemie de la France, cette femme a fait le choix de de renier son appartenance à la nation. À elle donc d’en assumer les conséquences devant la justice irakienne, plus que compétente en ces matières.

| Q. Et l’aide de la France ?

Jacques Borde. Appliquons-lui le minimum syndical (sic) !

| Q. Pardon ?

Jacques Borde. Un simple avocat débutant commis d’office suffira. Ne gaspillons pas les deniers de l’État. C’est nous qui payons…

| Q. En cas de clash entre Français et Turcs en Syrie, quid de la présence de la Turquie au sein de l’OTAN ?

Jacques Borde. Vous voulez dire en raison des menaces directes de l’administration Erdoğan à l’égard de la France, autre membre de l’OTAN ?

Oui, ça pose problème. Mais pas plus que les prétentions de Paris à se mêler des affaires de la Turquie et de la Syrie au Levant. Les Turcs, eux, ont au moins l’excuse (un peu facile mais réelle) d’être très directement concernés par la geste d’un double terrorisme takfirî et kurde en armes à leur porte. Ce qui n’est pas le cas de la France. Que je sache nous n’avons pas de frontières communes avec la Syrie, le Liban ou l’Irak…

| Q. Vous mettez sur le même plan Takfirî et Kurdes ?

Jacques Borde. Ça n’est pas moi qui a traité le Partiya Karkerên Kurdistan (PKK)1 de terroriste, mais Emmanuel Macron lui-même, je vous le rappelle.

Propos malheureusement lourds de sens dans la mesure où ils apportent de l’eau au moulin de l’administration Erdoğan en la matière.

Sinon, je le répète, Paris n’a pas plus le droit qu’Ankara de mener des aventures militaires sur le sol de l’État membre des Nations-unies qu’est la République arabe syrienne. Alors : Un partout et balle au centre !…

| Q. Passons aux Américains : partagez-vous l’analyse de Ivan Danilovqui qui écrit que « Trump capitule en Syrie »2 ?

Jacques Borde. En toute franchise, je trouve la thèse osée. Trump a tout simplement un autre agenda qu’Obama. S’engager durablement en Syrie sans ennemi clairement identifié, une fois la disparition de DA’ECH actée, ne l’intéresse pas.

Entre nous, c’est plutôt bon signe.

| Q. Que s’est-il passé ?

Jacques Borde. Oh, c’est assez simple. Comme avec la Corée du Nord dont il s’apprête à rencontrer le président, au lieu de l’escalade, Donald J. Trump a choisi la voie d’une certaine distanciation et affirmé, à l’infinie surprise de toute les élites politiques (sic) occidentales, que « l’heure était venue pour les USA de quitter la Syrie (…). Que d’autres s’en occupent, a déclaré le Président des USA. Très bientôt nous quitterons ce pays. Nous reviendrons dans notre pays, là (…) où nous voulons être ».

« En ce qui concerne la Syrie, notre première mission était de nous débarrasser d’ISIS/DA’ECH. Nous y sommes presque parvenus. Et nous prendrons une décision très rapidement en coordination avec d’autres dans la région sur ce que nous allons faire (…) Je veux ramener nos troupes à la maison. Je veux commencer à reconstruire notre nation. Il est temps. Nous avons largement réussi face à DA’ECH. Nous réussirons face à n’importe qui militairement. Mais parfois, il est temps de rentrer à la maison. Et nous pensons à ça très sérieusement », a expliqué Trump qui s’exprimait en marge d’une rencontre avec des dirigeants des pays baltes.

Le président américain a précisé qu’il se déciderait « dans un futur très proche » en consultation avec les alliés des États-Unis.

| Q. C’est donc acquis ?

Charlotte Sawyer. Oui et non.

Oui, car cela cadre point pour point avec le dogme trumpien de l’America First et que, généralement, quand Teflon Trump prend une décision, il s’y tient.

Non, dans la mesure où ses opposants politiques y ont réagi très durement. Et ne vont pas en rester là.

Or, comme l’a écrit Danilov, « Certains experts pointent à juste titre un certain risque que les faucons de l’administration Trump insistent pour tenter malgré tout de renverser le Président syrien Bachar el-Assad avec l’armée américaine puisqu’il a été impossible de le faire par le biais de DA’ECH »3.

Au sein de la cohorte de nos Faucons souvent mouillés, le Sénateur républicain Lindsey O. Graham, qui prétend que le retrait des forces américaines de Syrie « entraînerait le rétablissement des positions de DA’ECH et renforcerait l’influence de l’Iran sur le gouvernement syrien à Damas ». Dans une interview à Fox News, Graham a également soutenu que « ce serait la pire des décisions à prendre par le président ».

| Q. Qu’entendez-vous par Faucons mouillés ?

Charlotte Sawyer. Oh, ce néologisme n’est pas de moi. C’est une sorte de pléonasme fondant en un seul concept celui de Faucon et celui de Poule mouillée. En fait, nos Faucons mouillés sont, la plupart, des matamores d’estrade, de pitoyables Don Quichotte prêchant la mort et la guerre, à la condition expresse de s’en tenir le plus éloignés possible. Leur ligne directrice, ça serait plutôt votre Armons-nous et… partez ! Qui est également la vulgate de nos gauches interventionnistes des deux côtés de l’Atlantique, composée de lecteurs de prompteurs4 et de philosophes (enfin en théorie, parce que côté diplômes, ça serait plutôt le Désert des Tartares) de cour. À noter que Graham, lui, contrairement à beaucoup de ses petits camarades, à un passé militaire5.

Aux États-Unis, le camp des fauteurs de guerre est surtout occupé par des politiciens et des lobbyistes qui ne sauraient même pas par quel bout tenir un fusil…

L’un des plus actifs prêcheur de haine du cloaca maxima democratica, le belliciste Washington Post, s’est fendu d’un article intitulé : Nous avons pris le pétrole de Syrie, et maintenant Trump veut le donner à l’Iran !

Il est, au passage, intéressant de se voir confirmer que les États-Unis ont « pris le pétrole de Syrie ». Ce qui n’est pas sans poser de questions…

| Q. Lesquelles ?

Jacques Borde. Une assez simple : les pétroliers étasuniens n’achetant pas directement de pétrole à la République arabe syrienne, par quel tour de magie des Américains ont-ils « pris le pétrole de Syrie » ? Il n’existe, en l’espèce, qu’une seule explication plausible : des firmes US ont été les clients d’Al-Dawla al-Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (ISIS/DA’ECH)6 qui a vendu illégalement du pétrole syrien et… irakien.

| Q. Trump contre tous les autres, pétroliers y compris, alors ?

Charlotte Sawyer. Non, pas du tout. Au contraire, son électorat a réagi très positivement à ses déclarations sur la Syrie. Des réactions essentiellement basées sur deux thèses très simples.

Primo, une fois de plus « l’Amérique a vaincu tout le monde et c’est super: bien joué Trump »7.

Secundo, l’Amérique l’ayant emporté pourquoi continuer à de dépenser de l’argent pour le Moyen-Orient ? Autant le dépenser aux USA pour « rendre l’Amérique grande à nouveau ».

| Q. Poutine, lui aussi, a évoqué la « défaite militaire » de DA’ECH ?

Jacques Borde. Mais Vladimir V. Poutine a surtout précisé deux choses :

Primo, que « malgré sa défaite militaire, ce groupe terroriste conservait un potentiel destructeur important, la capacité de changer rapidement de tactique et d’opérer des sorties dans divers pays et régions du monde », et que « d’autres structures extrémistes étaient également très dangereuses ».

Secundo, que « Dans ces conditions, il est nécessaire de réfléchir ensemble à de nouvelles formes de coopération multilatérale qui permettraient de consolider les succès réalisés dans la lutte contre le terrorisme ainsi que de prévenir la propagation de cette menace ».

Je trouve ces propos, associés à ceux de Donald J. Trump sur le départ des forces US de Syrie, extrêmement importants.

Ils signifient qu’au plan international et au plan régional (le Levant) une déflation des tensions pourrait permettre un début d’apaisement. À condition que quelques idiots utiles, du côté d’Ankara et de Paris notamment, cessent de s’invectiver et de jeter de l’huile sur le feu.

Bon, à l’impossible, nul n’est tenu !…

Notes

1 Parti des travailleurs du Kurdistan.
2 Sputnik .
3 Sputnik .
4 Terme usité au siècle dernier : journaliste !…
5 De 1982 à 1988, Graham sert dans l‘US Air Force avant de rejoindre, en tant que réserviste, l’Air National Guard (ANG) de Caroline du Sud. Ayant atteint la limite d’âge, il quitte ce corps mi-2015.
6 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
7 Sputnik .