Voxnr – Emprise

Taine et le bilan eschatologique de Napoléon

On parle de déboulonner les statues… Et si on déboulonnait enfin la sienne ? Le plan bidasse et cocardier nous a coûté assez cher en deux siècles non ?

Bonaparte marque ou suscite la construction européenne, le nationalisme allemand, l’avènement du déclin français, notre effondrement démographique (fin du droit d’aînesse), notre chute civilisationnelle, la fonctionnarisation du catholicisme, notre entrée en fonction publique et en médiocrité. L’avènement des échoppes triomphantes, comme dit Chateaubriand dans les Mémoires, qui produisit une fatale subversion. Gendarmes pour tout le reste… Il faudra un jour le remettre à sa place ; peut-être pour son bicentenaire en 2021.

On laisse parler Taine qui décrit en cent pages extraordinaires son caractère proprement satanique qui a effaré les russes et l’orthodoxie qui en fit le 666 (Gogol dans les âmes mortes ; Tolstoï dans Guerre et paix). Comme Hitler il fut obsédé par la Russie qui le remit à sa place, comme elle remet à leur place les Anglo-saxons. On lit un peu de Taine (encore merci à La Hyre), qui rappelle que le fou voulait partir à la conquête de l’Asie en réécrivant le Coran :

« Il dit violemment à Metternich : « Vous n’êtes pas soldat, et vous ne savez pas ce qui se passe dans l’âme d’un soldat. J’ai grandi sur les champs de bataille, et un homme comme moi se f… de la vie d’un million d’hommes. » Sa chimère impériale en a dévoré bien davantage : entre 1804 et 1815, il a fait tuer plus de 1 700 000 Français nés dans les limites de l’ancienne France, auxquels il faut ajouter probablement 2 millions d’hommes nés hors de ces limites et tués pour lui, à titre d’alliés, ou tués par lui, à titre d’ennemis. – Ce que les pauvres Gaulois, enthousiastes et crédules, ont gagné à lui confier deux fois leur chose publique, c’est une double invasion ; ce qu’il leur lègue, pour prix de leur dévouement, après cette prodigieuse effusion de leur sang et du sang d’autrui, c’est une France amputée des quinze départements acquis par la République, privée de la Savoie, de la rive gauche du Rhin, et de la Belgique, dépouillée du grand angle du Nord-Est par lequel elle s’achevait, fortifiait son point le plus vulnérable, et, selon le mot de Vauban, complétait « son pré carré », séparée des quatre millions de nouveaux Français qu’elle s’était presque assimilés par vingt ans de vie commune, bien pis, resserrée en deçà des frontières de 1789, seule plus petite au milieu de ses voisins tous agrandis, suspecte à l’Europe, enveloppée à demeure par un cercle menaçant de défiances et de rancunes. »

Taine fait de vrais bilans, il ne pérore pas lui (voyez Léon Bloy et sa criminelle, sa démentielle même Ame de Napoléon).

Et sur la construction européenne :

« Telle est l’œuvre politique de Napoléon, œuvre de l’égoïsme servi par le génie : dans sa bâtisse européenne comme dans sa bâtisse française, l’égoïsme souverain a introduit un vice de construction. Dès les premiers jours, ce vice fondamental est manifeste dans l’édifice européen, et il y produit, au bout de quinze ans, l’effondrement brusque… »

Sur la France, Taine évoque des effets graduels et lents, sacrément pernicieux.

Et comme je citais Chateaubriand :

« …La confédération du Rhin est un grand ouvrage inachevé, qui demandait beaucoup de temps, une connaissance spéciale des droits et des intérêts des peuples ; il dégénéra subitement dans l’esprit de celui qui l’avait conçu : d’une combinaison profonde, il ne resta qu’une machine fiscale et militaire. »

Cela donna Bismarck et les deux Sedan. Pour le reste :

« Bonaparte, sa première visée de génie passée, n’apercevait plus que de l’argent et des soldats ; l’exacteur et le recruteur prenait la place du grand homme. Michel−Ange de la politique et de la guerre, il a laissé des cartons remplis d’immenses ébauches. »

Sources