Voxnr – Emprise

Pourquoi Céline célèbre Rabelais et regrette la défaite du français…

 

 

Extraits du Style contre les idées, toujours…

 

Ce qu’il voulait faire, c’était un langage pour tout le monde, un vrai. Il voulait démocratiser la langue, une vraie bataille. La Sorbonne, il était contre, les docteurs et tout ça. Tout ce qui était reçu et établi, le roi, l’Eglise, le style, il était contre.

Non, c’est pas lui qui a gagné. C’est Amyot, le traducteur de Plutarque : il a eu, dans les siècles qui suivirent, beaucoup plus de succès que Rabelais. C’est sur lui, sur sa langue, qu’on vit encore aujourd’hui. Rabelais avait voulu faire passer la langue parlée dans la langue écrite : un échec. Tandis qu’Amyot, les gens maintenant veulent toujours et encore de l’Amyot, du style académique.

 

 

Non, la France peut plus comprendre Rabelais : elle est devenue précieuse. Ce qui est terrible à penser, c’est que ça aurait pu être le contraire, la langue de Rabelais aurait pu devenir la langue française.

Mais il n’y a plus que des larbins, qui sentent le maître et veulent parler comme lui. Vive l’anglais, la retenue plate !

Rabelais, me direz-vous, ça sent bien un peu le système : oui quoi, ce type, il a été traqué par la persécution catholique, il battait en brèche les puissants. Oui, ça sentait le fagot, ce qu’il faisait.

Voilà l’essentiel de ce que je voulais dire. Le reste (imagination, pouvoir de création, comique, etc.) ça ne m’intéresse pas. La langue, rien que la langue. Voilà l’important. Tout ce qu’on peut dire d’autre, ça traîne partout. Dans les manuels de littérature, et puis lisez l’Encyclopédie. Si vous en voulez plus, allez demander à tous ces grands écrivains qui, eux, ont « des idées sur Rabelais ». Ah ! que j’en connais qui se prendraient la tête entre les mains et vous diraient avec sérieux : « Rabelais, quel prodigieux inventeur de mots ! » Ce ne sont que des bavards.

Ferrez-vous en plutôt à ce qui est intéressant chez Rabelais : son intention un peu démagogique d’attirer le public en parlant comme lui, je comprends, moi, Rabelais, était médecin et écrivain, comme moi.

Ça se voit, la crudité juste. C’était un bon anatomiste d’ailleurs et, chose prodigieuse pour l’époque, il opérait déjà. Vi, il a même inventé un appareil chirurgical.

Il ne devait pas croire beaucoup en Dieu, mais il n’osait le dire.

Du reste, il a pas mal fini, il a pas eu de supplice. Ça été après, le supplice, quand on a académisé le français qu’il parlait pour en faire une littérature de bachot et de brevet élémentaire.

Comme dit Robert Poulet, on a fait un français maigre alors qu’il avait un français gras. Pire : squelettique. Même Balzac n’a rien ressuscité. C’est la victoire de la raison.

 

J’ai eu dans ma vie le même vice que Rabelais. J’ai passé moi aussi mon temps à me mettre dans des situations désespérées. Comme lui, je n’ai rien à attendre des autres, comme lui, je ne regrette rien.