Teflon Trump, les Mid-terms approchant, aura encore surpris son monde, en annonçant, concomitamment avec son vice-président, Mike Pence, le lancement d’une Space Force, destinée à assurer la suprématie de l’hêgêmon étasunien dans l’espace. Si l’espace nommé comme ultime (?) frontière de la puissance américaine n’est pas l’immense nouveauté que l’on pourrait croire, Ronald Reagan, y ayant déjà posé sa marque, l’annonce de l’exécutif US revêt une importance majeure : les ennemis de l’Amérique, catégorie à laquelle appartiennent aussi les Vieux Européens, que nous sommes, devront, un jour s’attendre à ce que la Death from above1 qui leur tombera (éventuellement) dessus aura des formes de plus en plus variées & inattendues. Quant à ceux qui croient pouvoir, en cette affaire comme dans d’autres, donner du temps au temps, qu’ils cessent de jouer les Belles au bois dormant & se réveillent : pour lancer & financer sa Space Force, Donald J. Teflon Trump, a, lui, les bourses pleines. Nous, non & ça n’est pas prêt de s’arranger ! Épisode 1.
| Q. Diriez-vous que, quelque part, cette Space Force, c’est une usine à gaz de plus dans l’immense arsenal de l’Oncle Sam ?
Jacques Borde. Oui et non. En tout cas, sur ce coup (comme d’autres…) le président américain, Donald J. Teflon Trump, joue sur du velours.
Si quelque part, par sa taille, l’industrie de la Défense étasunienne est bien une usine à gaz, c’est aussi un des plus gros employeurs du pays. Volens nolens, ce sont 100.000 Américains qui se lèvent tous les jours pour travailler pour la Défense au sens large – usines, chantiers navals, subcontractors2, bases en tous genres, agence de Renseignement (dont la plus grosse d’entre elles la (NSA), etc. – donc aussi des électeurs potentiels qui, plus il y a de jobs, sont susceptibles de voter pour Trump. Quant au business plus généralement tiré par la Défense, on approche plus des 4 millions de personnes. Y compris dans les media, où on en compte plus revues, magazines et sommes consacrées à ces questions.
| Q. Mais, ça ne gêne pas les gens de voir autant d’argent partir dans la Défense ?
Jacques Borde. Non, aux États-Unis nous ne sommes pas au pays des Bisounours. Les Américains ont beaucoup plus la perception des menaces que les Français. Et l’espace est aussi perçu comme une menace potentielle et, par là, un domaine où les forces armées US sont actuellement perçues comme insuffisamment présentes. Donc y aller, comme le propose Trump, correspond parfaitement aux engagements pris et aux attentes des citoyens.
Charlotte Sawyer. Et, surtout, aux États-Unis, la perception qu’ont mes compatriotes de leurs forces armées n’a rien à voir avec le mépris à son égard qu’entretient votre intelligentsia post-soixante-huitarde.
Lorsque que des Américains s’aperçoivent qu’ils croisent dans un hall de gare ou d’aéroport de nos boys rentrant d’une OPEX, comme vous les appelez, tout le monde se lève pour leur faire une haie d’honneur et les applaudir. Vous, c’est la racailles tueuse de flics que vos intellectuels de gauche soutiennent, et à qui ils trouvent des excuses…
| Q. Et, pourquoi dites-vous que Donald J. Teflon Trump, joue sur du velours en cette affaire ?
Charlotte Sawyer. Parce que si le projet aboutit, tout le mérite en reviendra à Donald J. Teflon Trump, et à son vice-président, Michael Richard Mike Pence. Or, comme Jacques vous l’a laissé entendre, aux États-Unis, une personne sur cent travaille pour la Défense qui est un secteur clé de notre économie. Ça pèse.
En revanche, en cas de fiasco – n’oubliez-pas que l’espace militarisé voulu par Reagan n’a pas été une franche réussite –, Trump et Pence auront beau jeu de faire porter le chapeau à cette fichue machinerie administrative fédérale. Ce Deep State bon à rien et infoutu de mener à bien les challenges présidentiel. Et, comme toujours, surtout prompt à se remplir les poches.
Mes compatriotes n’aiment pas les perdants, ou ceux qui nous font perdre. Comme disait John Fitzgerald Kennedy : « La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline »3.
Encore plus lorsqu’ils sont perçus comme des saboteurs et des traîtres.
| Q. Mais le projet est populaire ?
Charlotte Sawyer. Tout à fait. L’espace comme ultime frontière, s’inscrit parfaitement dans la perception qu’ont les Américains de leur Destinée manifeste. Et ça ne touche pas que l’électorat de Trump. Nous baignons là-dedans depuis notre petite enfance.
| Q. Est-ce acquis ?
Jacques Borde. Pas encore, le projet la 6ème arme de la Défense doit, tout de même, être approuvé par le Congrès. Mais, comme l’a rappelé Anne Toulouse, douze ans correspondante de RFI pour l’Amérique du Nord, la Défense est « le principal lobby et donneur d’ordres ». Alors, oui, ça devrait passer.
| Q. 6ème arme ?
Charlotte Sawyer. Oui. L’Armée des États-Unis d’Amérique comprend cinq composantes, ou armes :
1- l’US Army, l’armée de terre.
2- l’US Navy, la marine de guerre.
3- l’US Air Force, les forces aériennes.
4- l’US Marine Corps, dont, je vous rappelle qu’il a préexisté, dès 1775, à la naissance même des États-Unis.
5- l’US Coast Guard.
| Q. Et, cette Space force, ça va donner quoi ?
Jacques Borde. En fait, c’est comme pour tous les autres sujets de politique militaire ou internationale, Washington fera comme bon lui plaira.
Concrètement, cela veut dire, le cas échéant, neutraliser une partie du parc des satellites opérationnels dans l’espace. Y compris, si le haut-commandement US le juge opportun, des satellites européens.
| Q. Mais, pourquoi ?
Charlotte Sawyer. Notre hêgêmon étasunien va, tout simplement, poursuivre la guerre économique qu’il a engagé contre le reste du monde. Là, le contexte n’est plus bipolaire, tout le monde pourrait en prendre pour son grade. Car, la Space Force de Trump c’est tout sauf une plaisanterie.
| Q. Cela semble assez dérangeant, mais l’administration Trump se fonde sur quoi géostratégiquement parlant ?
Jacques Borde. Pour éviter de perdre un jour, il importe, polémologiquement, d’assurer sa suprématie, coûte que coûte. Ce sans jamais s’arrêter.
Charlotte Sawyer. Nous sommes en plein dans ce que Graham Allison nomme Le Piège de Thucydide, qui est, en matière de relations internationales, une situation qui voit la puissance dominante entrer en guerre avec une puissance émergente sous la contrainte de la peur – qui peut reposer, ne l’oublions pas, sur des choses bien réelles – que suscite chez la première l’irruption de la seconde.
| Q. Pourquoi Piège de Thucydide ?
Jacques Borde. Là, Graham Allison se réfère à un passage de La Guerre du Péloponnèse, ouvrage dans lequel Thucydide considère comme un casus belli majeur, mais non avoué, de ladite Guerre du Péloponnèse (qui sera l’affrontement entre les ligues politico-militaires de l’un et de l’autre) la crainte que vont concevoir les Lacédémoniens en constatant le rapide développement d’Athènes. À très juste raison selon moi, car si la Macédoine philippique ne s’était pas levée4…
Pour Graham Allison, l’histoire du monde, depuis ce conflit antique, regorge d’affrontements armés déclenchés par, ce qu’il définit (de manière exagérée, selon moi) comme la paranoïa d’un acteur établi et l’hybris de son nouveau rival. Facteurs qui, en l’espèce sont loin d’être les plus rassurants.
Charlotte Sawyer. Et, aujourd’hui, ce ne sont plus Athènes et Sparte qui se font face. Graham Allison estime donc que les États-Unis et la Chine, du fait du développement de cette dernière, sont d’ores et déjà, au début du XXIe siècle, engagés dans une pente, fatale et presque inéluctable, qui les mènera à se mesurer militairement.
Jacques Borde. Comme le note le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Xavier Pasco5, déjà « l’oeil est dans l’espace ». Il va donc s’agir, comme le proposent Trump et Pence, d’en faire quelque-chose de plus létal qu’un simple organe de vision…
| Q. Et lorsque Pascal Boniface semble croire à quelque-chose de plus fantasmé que réel ?
Jacques Borde. (Soupir) Sacré Pascal Boniface, il prend ses désirs pour des réalités. Bien sûr que Trump et ses généraux savent ce qu’ils font et où ils vont.
| Q. Et les Chinois vis-à-vis de l’espace ?
Jacques Borde. Eux aussi semblent y voir leur nouvelle frontière. À voir l’engouement des Chinois pour leurs taïkonautes, n’en doutons guère. Il n’y a pas que le projet de Longue Marche 5, qui est la réponse chinoise à Ariane 6, ou les projets lunaires annoncés par Pékin.
| Q. Et, en quoi, l’espace est-il un enjeu si militaire que ça ?
Jacques Borde. C’est simple : hors le Japon et le Brésil, toutes les puissances majeures dans l’espace sont des puissances nucléaires.
| Q. Mais la future Space Force sera-t-elle à même de neutraliser les satellites ?
Charlotte Sawyer. Oui. La plupart des puissances aérospatiales, et pas nécessairement les plus grosses, sont à même de le faire. Et ce dès maintenant.
Petit détail pour vous, la France ne dispose que de 11 satellites militaires. Or appelons que le président américain, Donald J. Teflon Trump, a clairement identifié l’Europe comme unfriendly !…
| Q. Pourrions-nous être plus particulièrement visés ?
Jacques Borde. Pourquoi pas ? Nous sommes aussi, rappelons-le, une authentique puissance nucléaire, a contrario des autres Européens. Les Britanniques, totalement cintrés par l’ami américain, ne sont qu’une puissance nucléaires a minima.
| Q. Que vous inspirent les réflexions, généralement amusées, de ce côté de l’Atlantique, quant à la décision de créer une Space Force, une force spatiale ?
Jacques Borde. Elles nous confirment, si besoin était, l’abyssale stupidité de la plupart de ceux qui s’expriment, ou plutôt sévissent, en tant que spécialistes (sic) sur les questions géostratégiques.
Bien évidemment, la décision que vient de prendre le président américain, Donald J. Trump, de constituer une sixième branche (ou arme) dans le panel des outils de la Défense étasunienne, est importante, fondamentale même.
| Q. Une réelle nouveauté, en tout cas ?
Jacques Borde. Pas tant que ça, en fait. Je vous rappelle que les Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS) – qui sont, ne l’oubliez pas, les Forces aérospatiales russes – ont l’antériorité. Elles ont, en effet, été créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale).
Le problème c’est, bien sûr, combien vous injectez de moyens dans la chose. Et, là, l’hêgêmon étasunien va, n’en doutons guère, mettre le paquet.
| Q. On parle de 5 à 8 Md$US, c’est assez peu ?
Jacques Borde. Oui. Mais, ça, c’est la mise de départ. Je vous rappelle que le budget consacré outre-Atlantique aux questions de la Défense, c’est 717 Md$US. Les Russes, 60 Md$US.
| Q. Qui va pouvoir suivre ?
Jacques Borde. Les Chinois – l’hypothèse du Piège de Thucydide, évoquée par Allison n’est évidemment pas qu’un fantasme – qui, plagions Emmanuel Macron ont « un pognon de dingue », vont pouvoir mettre de l’huile dans les rouages et du yuan dans les budgets. Les autres, c’est à voir…
| Q. Mais pourquoi une Space Force, l’espace est déjà sous hêgêmon US ? Voir Internet ?
Jacques Borde. (Sourire) Grosse erreur, mon cher ! Lisez donc le remarquable article Géopolitique des câbles sous-marins de Jean-Yves Bouffet6, dans la revue Conflits. Il nous explique bien combien « L’internet et de le monde numérique sont associés à un mythe de la ‘dématérialisation’, alors que tout repose sur ses objets concrets. En effet, lorsqu’on envoie un e-mail d’un ordinateur à un autre, les quelques kilooctets de données auront probablement transités par un réseau de câbles et de serveurs, qui font partie de la face matérielle du monde virtuel. Ils constituent un véritable talon d’Achille du Web »7.
En fait, précise Jean-Yves Bouffet, « Lorsqu’on se place à l’échelle mondiale, ces sont les câbles sous-marins qui ont une importance cruciale puisque 99% des télécommunications intercontinentales et 10.000 milliards de dollars d’opérations financières quotidiennes utiliseraient cette voie »8.
Donc, il existe un gros vide, militairement parlant. Ajoutons que les satellites qui sont la forme la plus aboutie de la présence armée dans l’espace, sont d’une extrême vulnérabilité.
Notes
1 La Mort vous tombant du dessus. Un des allégories dont usent les forces aéroportées. Notamment, les équipages des AC-130U Spooky du 4th Special Operations Squadron de l’US Air Force. Aussi le surnom des Marines de l’espace du film Starship Troopers.
2 Sous-traitants.
3 Extrait de sa Conférence de presse du 21 avril 1961.
4 À considérer, bien sûr, comme l’auteur que l’épisode de la domination de Thèbes ne pouvait être que passager..
5 Auteur de La politique spatiale des États-Unis, 1958-1997, Technologie, Intérêt national & débat public (L’Harmattan, 300 p., 1997), A European Approach to Space Security (American Academy of Arts & Science), co-auteur (en collaboration avec François Heisbourg) de Espace Militaire, l’Europe entre en coopération & souveraineté (Éditions Choiseul).
6 Spécialiste en géopolitique des Transports, titulaire d’un Mastère en Droit maritime (Université de Nantes) & de Sécurité internationale (Université de Grenoble).
7 Conflits n°17, page 31 (avril, mai juin 2018).
8 Conflits n°17, page 31 (avril, mai juin 2018).