Visiblement, l’ami américain – qui reste, quoi qu’on en dise, l’hêgêmon thalassocratique étasunien – n’a pas apprécié la défausse de ses partenaires européens, qui ont pratiqué la politique de la chaise vide à Varsovie. Du coup, tant le président des États-Unis, Donald J. Teflon Trump, que son vice-président, Michael Richard Mike Pence, ont fait le choix de nous infliger une leçon de gravures sur nos engagements aux limites si étroites. Vu de Washington, bien sûr.
| Q. Dites-moi, ça chauffe au Sahel, quid des frappes que Paris vient de réaliser ?
Jacques Borde. Rien à redire. Une excellente opération, rondement menée. L’état-major des armées (EMA) a confirmé que l’armée de l’Air avait effectué ces frappes les 5 et 6 février 2019 : « L’action des Mirage 2000, engagés depuis la base de N’Djamena, appuyés par un drone Reaper, a permis au total de mettre hors de combat une vingtaine de pickups ».
Plus précisément, les Mirage qui ont décollé de N’Djamena (sud-ouest du pays), ont largué une douzaine de bombes à guidage laser pour frapper une colonne de l’Union des forces de la résistance (UFR).
| Q. Pas, un chouia, une ingérence dans les affaires intérieures tchadiennes ?
Jacques Borde. Oui. Et après ?
Comme l’a précisé l’EMA : « Le raid de cette colonne armée dans la profondeur du territoire tchadien était de nature à déstabiliser ce pays. Les forces armées tchadiennes sont un partenaire essentiel de la France dans la lutte contre le terrorisme, tant au Mali, au sein de la MINUSMA, qu’au sein de la force conjointe du G5 Sahel qu’au travers de son engagement contre Boko Haram ».
Par ailleurs, l’armée de l’Air a précisé être « intervenue (le 3 février à 18h00 heure de Paris) conjointement avec l’armée tchadienne au Nord du Tchad pour frapper une colonne de 40 pickups d’un groupe armé en provenance de Libye, s’infiltrant profondément en territoire tchadien. Cette intervention en réponse à la demande des autorités tchadiennes a permis d’entraver cette progression hostile et de disperser la colonne ».
Rappelons quatre choses, sur ces frappes :
1- le Tchad, et sa courageuse armée, est notre meilleur allié et partenaire dans la Bande Sahélo-saharienne (BSS).
2- nous répondions à une demande d’aide en bonne et due forme, comme cela se fait entre alliées de premier rang.
3- a contrario, c’est ne pas donner suite à la demande de notre allié tchadien qui eût été de l’ingérence.
4- pour être efficace, ce type de frappe doit être réalisé dans un temps relativement court. Les aviateurs (notamment) appellent ça réduire la Boucle OODA1. C’est exactement ce qui a été fait. Alors, bravo !
| Q. Bon, passons au plat de résistance : la fin de DA’ECH, comme l’affirment Trump et Pence, vous en pensez quoi ?
Jacques Borde. Je pense qu’il est préférable de parler, comme le note très justement le Dr. Amélie-Myriam Chelly2, de la « Fin du DA’ECH territorial, mais en dehors de la continuité idéologique de DA’ECH ».
Toujours le même ennemi, mais une toute autre guerre.
| Q. Et, diriez-vous que ces deux-là, Trump et Pence, prennent leurs désirs pour des réalités ?
Jacques Borde. Non, c’est autre chose.
Tant le président des États-Unis, Donald J. Teflon Trump, que son vice-président US, Michael Richard Mike Pence, ou son US Secretary of State, Michael Richard Mike Pompeo3, articulent un discours posé et cohérent :
1- comme nous le dit le Dr. Chelly, le « DA’ECH territorial » appartient bien au passé.
2- combattre la nébuleuse terroriste takfirî se fera désormais par des méthodes moins massives.
3- ce nouveau modus operandi ne nécessite plus la même présence au sol de l’hêgêmon thalassocratique étasunien. D’où le retrait des troupes US.
4- la poursuite de ce combat doit se faire avec un vrai investissement des Européens que nous sommes. Et non point des palinodies façon Niais d’Orsay, ou, plus crûment, des déballonades berlinoises.
À ce sujet, alors que la position de l’actuel locataire de la Maison-Blanche est connue depuis les premiers jours de sa campagne électorale, oser nous parler, au sujet des propos de Donald J. Teflon Trump, comme de quelque-chose d’« énigmatique », prouve surtout l’ignorance crasse du dossier, qui est celle de l’immense majorité des media mainstream. Rarement, un président US a été aussi clair et persistant sur un dossier géostratégique. Que l’on soit d’accord, ou pas, avec lui est autre chose.
| Q. Mais vous ne trouvez pas que les Américains ont sur-réagi vis-à-vis de leurs alliés européens ?
Jacques Borde. Non, absolument pas.
Une fois encore, à Munich, les Vieux Européens que nous sommes se sont contentés de se regarder le nombril. Surtout l’onaniste Bundeskanzlerin4 Angela D. Merkel. Or peu avant Munich, une soixantaine de pays se sont réunis, les 13 et 14 février 2019, à Varsovie pour une conférence portant, elle, sur la stabilité au Moyen-Orient. Ce rendez-vous était une initiative des Américains qui voulaient, notamment, renforcer la pression sur l’Iran. Le sommet de Varovie, intitulé Conférence ministérielle pour la promotion de la paix & de la sécurité au Moyen-Orient, fut, surtout, marqué par de grandes absences.
Parmi les lâcheurs (sic) les ministres des Affaires étrangères français et allemand, ainsi que la Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères & la politique de sécurité5, Federica Mogherini6, officiellement pour « des raisons d’emploi du temps » (sic).
Autant vous dire que nos amis américains n’ont pas apprécié ces dérobades. D’où le remontage de bretelles du vice-président US, Michael Richard Mike Pence.
| Q. Peut-on parler de fossé qui se creuses ?
Jacques Borde. Un peu, oui. À meilleure preuve lorsque Mike Pence, s’en prend à l’initiative de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni visant à permettre aux entreprises européennes de continuer à opérer en Iran en dépit des sanctions américaines. « C’est une mesure peu judicieuse qui ne fera que renforcer l’Iran, affaiblir l’UE et créer encore plus de distance entre l’Europe et les États-Unis », a, notamment, averti Pence.
Le ciel se couvre. Mais on ne pourra pas dire qu’on n’a pas été prévenu !…
| Q. Bon, et, disons localement, où en est-on ?
Jacques Borde. Je pense que la tension devrait baisser. À terme, moins il y aura de boys sur zone, plus les Américains seront zens.
Même le président turc, Reccep Tayyip Erdoğan, qui a le verbe haut en ces affaires, a plus intérêt à s’entendre avec Moscou, Téhéran et Damas, qu’à leur chercher des poux dans la tête.
Coté syrien, le président syrien, le Dr. Bachar el-Assad, a été on ne peut plus clair, avertissant que « Nous libérerons le moindre recoin du territoire syrien. Tous ceux qui s’y opposeront seront considérés comme des ennemis et des agresseurs. Nous nous battrons, certes, contre toute force d’agression étrangère sur notre territoire ».
| Q. Ce genre de tirade ne vous inquiète pas ?
Jacques Borde. Non, pas tant que ça. Anakara et Damas ont, certes, l’art et la manière de scénariser verbalement leurs positions respectives. Mais jusqu’à présent, ils n’ont pas franchi le Rubicon. On appelle aussi ça de la tension dialectique.
À noter que Bachar el-Assad y est allé de son appel du pied au Hêzên Sûriya Demokratîk (FDS, Forces démocratiques syriennes) formulé en ces termes : « Mais je dis aux groupes qui font confiance aux États-Unis que les Américains ne les soutiendront jamais. Le seul soutien pour vous est celui du gouvernement et de l’armée de la Syrie, tandis que les États-Unis vous considèrent comme une monnaie d’échange. Si vous refusez le soutien que vous offre votre patrie, les Américains vous vendront aux Ottomans. L’armée est la seule institution capable de soutenir certains groupes dans le nord-est de la Syrie que je ne veux pas nommer ici ».
Au fond, que les Yekîneyên Parastina Gel (YPG)7 et les Yekîneyên Parastina Jin (YPJ)8, passent, peu ou prou, sous la tutelle de Damas, ça serait aussi une manière de contenter tout le monde. Et, aussi, de ne pas insulter l’avenir.
| Q. Et, quid de la proposition du Nobel de la paix pour Trump ?
Jacques Borde. J’en ai entendu parler. Il semblerait qu’à l’automne dernier, le Naikaku sōri daijin9, Shinzō Abe, aurait proposé Donald Trump pour le prix Nobel de la paix. Une requête à la demande de…Washington, a affirmé le quotidien japonais Asahi Shimbun.
Si Donald J. Teflon Trump, évacue l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie et pose les bases d’une Péninsule coréenne dénucléarisée et pacifiée, ce ne serait que justice. Ajoutons que certains l’ont eu pour moins que ça.
Notes
1 Pour Observation-orientation-décision-action. Appelée aussi Cycle de Boyd.
2 Universitaire & chercheur, auteur de Sécularisation contre sécularisation : une compréhension du système de la République islamique d’Iran, in Raison publique.fr (14 juin 2015) ; Les dessous du pouvoir iranien : l’influence néo-hojjatieh, in Eurorient n°40-2013 et de Iran, autopsie du chiisme politique, Cerf, coll.Religions, 2017, ISBN 978-2204117753.
3 Ex-directeur de la CIA, élu républicain du Kansas, siégeait à la Commission du Renseignement au Congrès sortant et a participé à la Commission d’enquête sur l’attaque du consulat des États-Unis à Benghazi, en septembre 2012, où l’ambassadeur Christopher Stevens et trois autres Américains ont été tués.
4 Chancelière fédérale.
5 En moins ronflant, chef de la diplomatie européenne.
6 Membre du Parti démocrate (PD, ex-communistes notamment), a été ministre des Affaires étrangères du gouvernement Renzi avec délégation aux Affaires européennes.
7 Unités de protection du peuple.
8 Unités de protection de la femme.
9 Ou Premier ministre japonais.