Orages en Espagne ? Gustave Flaubert et notre abrutissement climatique
Texte écrit en 2017.
Je ne les ouvre jamais mais depuis deux semaines les journaux en Espagne parlent très intelligemment de trois choses : la tyrannie de Poutine, qui n’en finira jamais (pauvre occident, que va-t-il faire, heureusement la bombe, heureusement l’OTAN, etc.) ; le changement climatique (il y a du vent et de la pluie, on est en mars…) et la grève féministe, qui permet de combattre enfin le nazisme masculin – en demandant des subventions au gouvernement néocon en ce sens.
On a évoqué le féminisme avec Nietzsche. On le relit :
« Il y a aujourd’hui, presque partout en Europe, une sensibilité et une irritabilité maladives pour la douleur et aussi une intempérance fâcheuse à se plaindre, une efféminisation qui voudrait se parer de religion et de fatras philosophique, pour se donner plus d’éclat — il y a un véritable culte de la douleur. »
Cette irritabilité se reflète-t-elle dans notre obsession pour les conditions météo ?
Sur le changement climatique je me demandais depuis combien de temps on s’abrutit ainsi ; car aucun classique ne nous emmerdait avec. Tout apparaît semble-t-il au milieu du dix-neuvième siècle : la guerre de Crimée crée la science météorologique, et Baudelaire se plaint de son ciel bas et lourd qui baisse comme un couvercle…
On connaît mon goût pour la cuisinière (une femme géniale, qui ne connaît ni Louis-Philippe, ni république, ni Badinguet) et la correspondance de Flaubert. Je recommande sa jeunesse, les années 1850, son ton prodigieux (voyez ses lettres à Victor Hugo). Sur un énième incident météorologique, voici ce qu’il écrit notre analyse littéraire de la femme moderne :
12 juillet 1853
« Tu auras appris par les journaux, sans doute, la soignée grêle qui est tombée sur Rouen et alentours samedi dernier.
Désastre général, récoltes manquées, tous les carreaux des bourgeois cassés ; il y en a ici pour une centaine de francs au moins, et les vitriers de Rouen ont de suite profité de l’occasion (on se les arrache, les vitriers) pour hausser leur marchandise de 30 p 100. Ô humanité ! C’était très drôle comme ça tombait, et ce qu’il y a eu de lamentations et de gueulades était fort aussi. Ç’a été une symphonie de jérémiades, pendant deux jours, à rendre sec comme un caillou le cœur le plus sensible ! On a cru à Rouen à la fin du monde (textuel). Il y a eu des scènes d’un grotesque démesuré, et l’autorité mêlée là-dedans !
M le préfet, etc. »
Oui, l’administration française avec ses préfets et notre inféodation a certainement joué dans cette formation du caractère geignard et assisté – plus de lois et de taxes, et d’amendes et de menaces, pour le féminisme et la lutte contre le racisme et pour le socialisme, et tout le reste…
Flaubert poursuit, coquin, comme Howard Kunstler ou Dimitri Orlov aujourd’hui :
« Ce n’est pas sans un certain plaisir que j’ai contemplé mes espaliers détruits, toutes mes fleurs hachées en morceaux, le potager sens dessus dessous.
En contemplant tous ces petits arrangements factices de l’homme que cinq minutes de la nature ont suffi pour bousculer, j’admirais le vrai ordre se rétablissant dans le faux ordre. Ces choses tourmentées par nous, arbres taillés, fleurs qui poussent où elles ne veulent (pas), légumes d’autres pays, ont eu dans cette rebuffade atmosphérique une sorte de revanche… »
Et il est content (Philippe Muray était euphorique au moment de la tempête du siècle en l’an 2000 qui leur avait momentanément rabattu le caquet) :
« Ah ! ah ! cette nature sur le dos de laquelle on monte et qu’on exploite si impitoyablement, qu’on enlaidit avec tant d’aplomb, que l’on méprise par de si beaux discours, à quelles fantaisies peu utilitaires elle s’abandonne quand la tentation lui en prend ! Cela est bon. On croit un peu trop généralement que le soleil n’a d’autre but ici−bas que de faire pousser les choux.
Il faut replacer de temps à autres le bon Dieu sur son piédestal. Aussi se charge−t−il de nous le rappeler en nous envoyant par−ci par−là quelque peste, choléra, bouleversement inattendu et autres manifestations de la Règle, à savoir le Mal − contingent qui n’est peut−être pas le Bien − nécessaire, mais qui est l’être enfin : chose que les – hommes voués au néant comprennent peu. »
Sources
Nicolas Bonnal – Chroniques sur la fin de l’histoire
Flaubert – Correspondance, 1850-1854 (ebookslib.com)
Nietzsche – Par-delà le bien et le mal