Au beau milieu des batailles d’Alep, Mossoul & Raqqa & de leurs colonnes de 4×4 takfirî se déplaçant entre ces villes au bon gré des aussweiss (sic) de la coalition occidentalo-centrée, on pourrait s’interroger de manière plus approfondie sur qui fait quoi dans les nébuleuses tafkirîstes en lice au Levant. Ça tombe bien : le sieur bou al-Ezz, cadre militaire de Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām1, a accordé un court mais intéressant entretien à notre confrère du Kölner Stadtanzeiger, Jürgen Todenhöfer. Extraits.
Kölner Stadtanzeiger. Quel est l’état de vos relations avec les États-Unis ? Les USA soutiennent-ils les rebelles ?
Abou al-Ezz. Oui, les USA soutiennent l’opposition, mais pas directement. Ils soutiennent les pays qui nous soutiennent. Mais nous ne sommes pas encore satisfaits de ce soutien. Ils devraient nous soutenir en nous fournissant des armes ultra perfectionnées. Nous avons remporté des batailles grâce à des missiles TOW. Nous sommes parvenus à un équilibre des forces avec le régime grâce à ces missiles. Nous avons reçu des chars de la Libye par l’entremise de la Turquie, ainsi que des BM (lance roquettes multiples). Le régime ne nous domine que par ses avions de chasse, ses missiles et ses lance-missiles. Nous avons capturé une partie de ces lance-missiles et en avons reçu pas mal d’ailleurs. Mais ce sont les TOW américains qui nous ont permis d’avoir la situation bien en main dans certaines régions.
Kölner Stadtanzeiger. À qui ces missiles des USA étaient-ils destinés avant qu’on ne vous les apporte ? Ces missiles ont-ils été livrés par les USA à l’Armée syrienne libre (ASL), puis à vous ensuite ?
Abou al-Ezz. Non. Les missiles nous ont été livrés directement. Ils ont été livrés à un certain groupe. Lorsque la « route » était fermée et que nous étions assiégés, il y avait ici présents des agents de la Turquie, du Qatar, de l’Arabie Séoudite, d’Israël et des États-Unis.
Kölner Stadtanzeiger. Que faisaient ces agents ?
Abou al-Ezz. Du travail d’expert ! Des experts dans l’utilisation des satellites, des missiles, des caméras de vidéo surveillance thermiques, du travail de reconnaissance…
Kölner Stadtanzeiger. Est-ce qu’il y avait aussi des experts américains ?
Abou al-Ezz. Oui, des experts de plusieurs pays.
Kölner Stadtanzeiger. Y compris des Américains ?
Abou al-Ezz. Oui. Les Américains sont à nos côtés, mais pas autant qu’ils le devraient. Par exemple, on nous disait : nous devons capturer et conquérir le Bataillon 47. L’Arabie Séoudite nous a remis 500 millions de livres syriennes. Pour prendre l’école d’infanterie al-Muslimiya, il y a plusieurs années de cela, nous avons reçu du Koweït 1,5 million de dinars koweïtis et 5 millions de dollars US de l’Arabie Séoudite.
Kölner Stadtanzeiger. Des gouvernements ou de particuliers ?
Abou al-Ezz. Des gouvernements.
Kölner Stadtanzeiger. La lutte est difficile, le régime est fort et il a le soutien de la Russie… ?
Abou al-Ezz. Nous allons combattre jusqu’à la chute du régime. Nous allons combattre la Russie et l’Occident, parce que l’Occident ne se tient pas vraiment à nos côtés. L’Occident ne fait que nous envoyer des moudjahiddin, il facilite l’entrée de ces combattants. Pourquoi l’Occident ne nous soutient-il pas convenablement ? Nous avons beaucoup de combattants de l’Allemagne, de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de tous les pays occidentaux.
Kölner Stadtanzeiger. Le Front al-Nosra compte-t-il dans ses rangs beaucoup de combattants européens à Alep ?
Abou al-Ezz. Beaucoup, beaucoup, beaucoup !
Kölner Stadtanzeiger. Combien ?
Abou al-Ezz. Beaucoup.
Kölner Stadtanzeiger. Que pensez-vous du cessez-le-feu ?
Abou al-Ezz. Nous ne reconnaissons pas le cessez-le-feu. Nous allons repositionner nos groupes. Nous allons lancer dans les prochains jours une attaque massive contre le régime. Nous avons redéployé nos forces armées dans toutes les provinces, à Homs, Alep, Idlib et Hama.
Kölner Stadtanzeiger. Vous ne voulez pas que les 40 camions remplis de matériel humanitaire parviennent dans la partie est d’Alep ?
Abou al-Ezz. Nous avons des conditions. Tant que le régime est positionné le long du chemin Castillo, à al-Malah et dans le secteur nord, nous ne laisserons pas ces camions passer. Le régime doit se retirer de tous ces secteurs avant que ces camions ne puissent passer. Si un camion passe malgré tout, le conducteur sera arrêté.
Kölner Stadtanzeiger. Pourquoi une partie de vos groupes s’est-elle repliée à un kilomètre ou à 500 mètres du chemin Castillo ?
Abou al-Ezz. Le régime a utilisé des armes très perfectionnées contre nous, ce qui a causé un vif émoi. C’est pourquoi nous nous sommes repliés silencieusement, le temps de récupérer et de reprendre l’attaque contre le régime. Mais cette attaque doit entraîner la chute du régime.
Kölner Stadtanzeiger. C’était donc une astuce ? Une tactique militaire ?
Abou al-Ezz. Oui, c’était une tactique militaire.
Kölner Stadtanzeiger. Est-ce que le but de cette tactique était de recevoir des aliments ou le redéploiement des combattants ?
Abou al-Ezz. Nous n’étions pas d’accord avec le cessez-le-feu.
Kölner Stadtanzeiger. Cela s’applique-t-il seulement au Front al-Nosra ou à tous les autres groupes, le reste de vos alliés ?
Abou al-Ezz. Cela s’applique à tous les groupes intégrés à nous, qui sont nos alliés.
Kölner Stadtanzeiger. Le Front islamique ? L’Armée de l’islam ?
Abou al-Ezz. Ils sont tous avec nous. Nous formons tous le Front al-Nosra. Un groupe se crée et prend le nom d’Armée de l’islam ou de Fateh al-Chām. Chaque groupe a son propre nom, mais la croyance est homogène. Le nom global est Front al-Nosra. Une personne a, disons, 2 000 combattants. Elle forme alors un nouveau groupe et l’appelle Ahrar al-Chām. La croyance, les pensées et les buts de ces frères sont identiques à ceux du Front al-Nosra.
Kölner Stadtanzeiger. Est-ce votre opinion personnelle ou l’opinion du haut commandement aussi ?
Abou al-Ezz. C’est l’opinion générale. Si quelqu’un vient vous voir, fait de vous un « rebelle modéré » et vous offre à boire et à manger, allez-vous accepter son offre ou non ?
Kölner Stadtanzeiger. Cette guerre a tué 450.000 personnes. Je suis allé à Alep et à Homs. Bien des parties sont détruites. Si la guerre se poursuit, tout le pays sera détruit. Des millions vont mourir… En Allemagne, nous avons déjà eu la Guerre de Trente Ans…
Abou al-Ezz. Nous n’en sommes qu’à notre cinquième année de guerre, c’est court en comparaison !
Kölner Stadtanzeiger. Accepteriez-vous la présence d’un représentant du régime d’Assad dans un gouvernement de transition ?
Abou al-Ezz. Nous n’acceptons personne du régime d’Assad ou de l’Armée syrienne libre (ASL), qu’on appelle les modérés. Notre but est la chute du régime et la création d’un État islamique fondé sur les règles de la charia islamique.
Kölner Stadtanzeiger. Les gens d’Allouche, qui se sont déplacés à Genève pour les négociations, ont accepté l’idée d’un gouvernement de transition…
Abou al-Ezz. Ce sont des mercenaires syriens. Allouche combattait avec le Front al-Nosra. Les groupes qu’abrite la Turquie à l’origine de la création de l’Armée syrienne libre ont déjà été aux côtés du Front al-Nosra. Ce sont des gens faibles, qui ont reçu beaucoup d’argent, qui se sont vendus. Ils doivent suivre les ordres de leurs commanditaires.
Kölner Stadtanzeiger. Le Front islamique et l’Armée de l’islam négocient à Genève…
Abou al-Ezz. Parce que leurs dirigeants ont été formés en Occident. Ils sont conseillés et payés par les Services secrets occidentaux et les Services secrets des pays du Golfe pour atteindre les objectifs de ces pays.
Nous sommes ici au point d’observation le plus avancé du secteur de Sheik Saïd. Ce secteur est sous notre contrôle. Derrière ces maisons et al-Majbal, se trouvent les soldats du régime. Nos forces armées sont à 200 mètres d’ici.
© Kölner Stadtanzeiger (26 septembre 2016).