L’hégémonie

L’hégémonie, une notion souvent floue et mal interprété, prend assise sur la puissance, à la fois matérielle et immatérielle.

Mais, clairement, elle se distingue du pouvoir de coercition, de la force et de l’injonction.

Elle est une domination indirecte,«douce», supportable et acceptée.

Elle procède de trois sources principales:

  1. le pouvoir d’influence et d’attraction (soft power de Nye). Reposant sur la séduction des valeurs de la société dominante (américaine au vingtième siècle), cette modalité de l’hégémonie est comme mécanique.
    Le prestige de la puissance dominante encourage, en effet,le mimétisme (Gilpin).
    Ce phénomène est à l’origine de l’«américanisation» de la civilisation occidentale.
  2. le pouvoir structurel (Nye, Cox, Gill, Strange) passe par l’instrumentalisation des Organisations Internationales Gouvernementales (OIG) créées à l’initiative de la puissance hégémonique (américaine), par le contrôle des marchés internationaux, par la fixation des règles du jeu international (les «régimes internationaux»), par la détention de la monnaie internationale (le Dollar). Cette forme du pouvoir a l’avantage de limiter les engagements extérieurs de l’hégémon et d’économiser ses ressources. Son acceptation par les autres dure tant qu’il profite à tous les partenaires (c’est en cela que l’on parle d’hégémon bienveillant au sujet des Etats-Unis pendant la période de prospérité du Vingtième siècle)ou tant qu’ils sont obligés de s’y résigner.
  3. le pouvoir d’inculcation ou d’endoctrinement (Lukes) consiste, par le biais du contrôle de l’information, des médias, ou des processus de socialisation école),à «gagner le cœur et l’esprit» des autres. Il use de la propagande et plus subtilement de toutes les«machineries conceptuelles» (Berger et Luckmann) destinées à légitimer un ordre, à dénoncer les «hérétiques» et à inhiber les concurrents ou les adversaires potentiels. En somme, il y a hégémonie quand une puissance (ou un acteur interne) est en mesure d’imposer sa volonté aux autres, de les entraîner là où elle veut, grâce à son pouvoir de persuasion et de séduction plutôt que de coercition.

Cette définition synthétique de l’hégémonie permet de mettre en exergue deux enjeux contemporains essentiels.

Le premier enjeu est celui de la lutte pour l’hégémonie communicationnelle qui caractérise toutes les sociétés occidentales où le pouvoir médiatique est devenu presque prépondérant. Elle oppose de plus en plus ouvertement les grands médias officiels, quelques fois entre eux, aux réseaux sociaux profondément divisés. Car dans ces sociétés où la connaissance, quoiqu’on en dise, recule, l’objectif des différents acteurs est d’imposer leurs propres versions des faits sociaux, ou des normes sociales (en particulier quand il s’agit de minorités), et leurs interprétations de ce que l’on appelle l’information.

Le second enjeu se situe au niveau international. En effet, depuis la montée en puissance de la Chine, et de l’Asie en général, et depuis la réaffirmation de l’Islam comme force politique incarnée par des mouvements transnationaux ou par des Etats postulants à son leadership, l’Occident n’est plus hégémonique comme il l’a été.

Au-delà des différends territoriaux et des compétitions économiques toujours présents, la vie internationale est caractérisée désormais par la lutte pour l’hégémonie entre trois pôles civilisationnels, entre des puissances porteuses de conceptions différentes ou opposées du monde et de la société, avec chacune ses intérêts bien spécifiques.

• Sur les auteurs référencés ici, voir G. Dussouy, Traité de relations internationales. Tomes 2 et3, L’Harmattan, Paris, 2007 et 2009.

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