Qui chutera le premier ? Alep ou Mossoul ?

Syrie, Irak : La guerre des proxies se poursuit. Alep ou Mossoul : qui tombera le premier ? Difficile à dire tant les enjeux & les moyens sont énormes. En tout cas, les deux grands ne s’y font pas de cadeaux. Sans compter quelques autres joueurs & non des moindres…

| Q. Où en est-on dans les relations entre Moscou et Washington ?

Jacques Borde. Toujours pareil. Les Américains accablent les Russes de reproches et d’accusations et, au bout du bout, les Russes finissent pas céder quelque-chose.

| Q. Donc pas de changement dans le discours US vis-à-vis de la Russie ?

Jacques Borde. Pourquoi voulez-vous changer une équipe qui gagne et des méthodes qui portent plutôt leurs fruits ?

Quant à la méthode, c’est assez simple : mauvaise foi et matraquage médiatique. Un simple exemple : le 7 octobre 2017, le US Secretary of State, John F. Kerry, affirmait que la « … Russie et le régime doivent au monde plus qu’une explication sur les raisons pour lesquelles ils ne cessent de frapper des hôpitaux, des infrastructures médicales, des enfants et des femmes ». Et de demander « une enquête adéquate (pour) crimes de guerre ».

Sur ce sujet, Patrick O. Cockburn (spécialiste du Proche-Orient pour The Independent et la London Review of Books tout de même) de noter que si cette intervention russe en Syrie était qualifiée de « crimes de guerre et de sauvagerie », en parallèle à celle de « celle de Grozny en Tchétchénie il y a seize ans ». « Mais, curieusement », soulignait Patrick Cockburn, « aucune analogie n’est faite pour Ramadi, une ville de 350.000 habitants sur l’Euphrate en Irak, qui a été détruite à 80% par les frappes aériennes de la coalition menée par les États-Unis en 2015 »1.

Et quitte à parler d’enquête, on pourrai aussi citer celle de 2006 publiée par la revue médicale britannique The Lancet, où il est indiqué que l’aventurisme étasunien en Irak se sera soldé par la mort de 655.000 Irakiens. Deux fois plus que les crimes de Saddam Hussein en 24 ans de pouvoir. Chiffres ne reprenant d’ailleurs pas les victimes du blocus génocidaire imposé à ce même pays : 1.500.000 morts, dont près de 500.000 enfants.

Last but not least, des esprits chagrins comme le mien regretteront également qu’à Washington on soit si oublieux d’Hiroshima et Nagasaki (pour ne pas parler du Viêt-Nam, de l’Afghanistan ou de l’Irak), mais ça marche !

| Q. Jusqu’à quel point ?

Jacques Borde. Jusqu’au point, pour Poutine, de refuser la requête de la Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)2 de reprendre les frappes sur Alep, alors même que les miliciens takfirî y lancent offensive sur offensive. « Le président considère qu’il est à l’heure actuelle inopportun de relancer des frappes aériennes sur Alep », a expliqué le secrétaire de presse de Vladimir V. Poutine, Dmitri Peskov.

| Q. Comment expliquez-vous l’attitude russe ?

Jacques Borde. Le problèmes des Russes est, qu’au niveau du discours, ils sont toujours beaucoup trop sur la défensive. À essayer de justifier le plus petit de leur geste et de se disculper des accusations des Américains.

À meilleure, preuve, que vient encore de dire le président russe, Vladimir V. Poutine ?

Que « Les États-Unis sont entrés dans une espèce d’hystérie à propos de la prétendue menace russe, quand bien même ils connaissent d’autres problèmes au niveau domestique : la dette abyssale de l’État, la hausse des violences avec arme à feu et les bavures policières. L’élite américaine n’a visiblement rien à dire pour rassurer la société. C’est pourquoi il est plus facile de détourner l’attention sur les soi-disant hackers, espions et autres agents d’influence russes. Est-ce que quelqu’un pense vraiment que la Russie peut influencer le résultat du choix du peuple américain ? Est-ce que les États-Unis sont une république bananière ? Les États-Unis sont un État puissant. Une grande puissance. Si je me trompe, corrigez-moi, s’il vous plaît ».

| Q. Et c’est vraiment un problème ?

Jacques Borde. Oui, évidemment. Ce genre déclaration est interprété à l’Ouest comme un signe de faiblesse. Là, le ton manque, même s’il est teinté d’humour, résolument de fermeté. Et, surtout, Poutine refuse d’accorder à ses pilotes ce qu’ils estiment fondamental : la reprise des bombardements. Exactement, ce qu’attendent les sponsors de DA’ECH & co. ! Ce alors que, de l’extérieur de la ville côté ouest, « Les affrontements se poursuivent à la périphérie ouest d’Alep, là où les rebelles ont pu réaliser des avancées » indiquait, de son côté l’OSDH. Au total, ce sont plus de 5.000 combattants venus des provinces d’Alep et d’Idleb qui sont passés à l’attaque contre les quartiers tenus par l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)3 sur un front de 15 kilomètres.

En fait, selon le Shu’bat al-Mukhabarat al-‘Askariyya4, en quelques jours de pause humanitaire, les terroristes ont pu transférer plus de 8.000 combattants dans la zone de Khan Tuman (sud d’Alep) et à Kafr Hamrah (nord d’Alep). Les Kamiz brunes takfirî tentent de briser l’encerclement de l’Est d’Alep, où un nombre important de leurs effectifs restent bloqués.

L’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS) et les forces paramilitaires syriennes et pro-syriennes ont d’abord repoussé une attaque dans le sud-ouest d’Alep puis ont éliminé 500 terroristes, un millier de nazislamistes ont également été blessés.

C’est, aussi, pour ces deux raisons que certains Occidentaux tiennent autant à leurs fichues trêves : permettre aux groupes terroristes takfirî d’évacuer un maximum de combattants récupérables. Or, selon Al-Mayadeen, citant des sources sûres, les Contras takfirî ont subi de fortes pertes lors de la première partie de l’offensive commencée le 28 octobre 2016 au matin dans le quartier d’al-Assad.

| Q. Un effet de la trêve cette offensive  djihâdiste ?

Jacques Borde. De toute évidence, oui. Comme les fois précédentes, les terroristes takfirî ont mis à profit la pause humanitaire pour de déplacer et, ensuite, passer à l’offensive notamment dans le quartier d’al-Zahra. L’AAS et ses alliés ont réussi à repousser l’attaque. Cependant, dans le quartier d’al-Assad, où se trouve l’académie militaire, de violents combats se poursuivent. À noter que lors de ces offensives, les terroristes takfirî utilisent des voitures piégées et des kamikazes.

| Q. Et, du point de vue russe, qu’avait donné la dernière trêve en date ?

Jacques Borde. Peu ou prou ce qu’en espéraient ses initiateurs. Damas et Moscou en avaient même accepté la prolongation : le but étant d’évacuer un maximum de combattants armés pour progresser.

À noter toutefois qu’Al-Jayš al-Fateh (Armée de la conquête)5 en avait limité la portée menaçant les habitants de la partie est d’Alep de les abattre s’ils empruntaient les couloirs humanitaires. Ce qui, n’aura, semble-t-il, guère ému du côté de Paris, de Bruxelles ou de Washington.

Pas plus, d’ailleurs, que les dommages collatéraux (comprendre des civils innocents morts sous les bombes) infligés par les appareils de la coalition occidentale depuis le début de la campagne de Mossoul ou les victimes civiles au Yémen, sous des bombes séoudiennes majoritairement made in USA…

| Q. Mais les Russes marquent des points sur le terrain ?

Jacques Borde. Oui, assurément. Mais pour tout recommencer à chaque fois. À chaque trêve (sic) en fait.

| Q. Une Bataille d’Alep qui va encore durer ?

Jacques Borde. Oui, sans aucun doute. Même si, à en croire le commandement militaire russe en Syrie, les frappes russes auraient détruit « l’essentiel » des armes et munitions livrées récemment aux groupes nazislamistes, qu’il s’agisse aussi bien d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)6 que de Al-Jayš al-Fateh (Armée de la conquête), que ce soit dans les provinces de Raqqa, Hama, Idlib, Lattaquié et Alep.

Autre donnée essentielle : les combattants qui tombent sur le terrain ne sont pas russes mais ceux de l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS) et de ses alliés iraniens et pro-iraniens. La guerre russe en Syrie est largement une guerre par procuration. Sauf sur un point, semble-t-il.

| Q. Lequel ?

Jacques Borde. Les Russes auraient (enfin) activé leurs systèmes de défense anti-aérienne S-300 et S-4007. À en croire le quotidien turc Hürriyet, les appareils de la Türk Hava Kuvvetleri (THK)8 n’auraient participé à aucune opération depuis la mise en service des systèmes de défense syriens et russes dans une partie de la zone concernée par l’opération Fırat Kalkanı Harekâtı9.

« L’absence d’une couverture aérienne a visiblement ralenti la progression des éléments de l’Armée syrienne libre vers la ville d’Al-Bab, à 30 kilomètres de la frontière turque. Ils se sont déplacés de 5 kilomètres seulement en 3 jours » a confirmé la source citée par Hürriyet, qui a également indiqué que les avions de la coalition auraient, eux aussi, réduit leurs sorties.

| Q. Mais pourquoi les Américains sont-ils si acharnés à contrer les efforts des Russes ?

Jacques Borde. C’est ce que j’appelle la course à l’échalote entre Moscou et Washington.

Comme l’a écrit Hadrien Desuin, « Barack Obama n’a pas caché son souhait de reprendre Mossoul avant son départ de la Maison-Blanche. Sa priorité est la chute de DA’ECH et il sait qu’il doit compter malgré tout sur Moscou pour atteindre son but. La course contre-la-montre est engagée. Tout doit être terminé pour l’hiver ».

Et, plus précisément, Vu de l’Oval Room, Mossoul doit tomber avant Alep. Du coup, comme tout indique que la Bataille de Mossoul sera longue, tout est fait pour ralentir les Russes à Alep !

La lice entre les deux grands est à ce prix.

Notes

1 The Independent (21 octobre 2106) ;
2 Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale.
3 Armée arabe syrienne.
4 Ou Direction de l’Intelligence militaire (DIM), les SR militaires syriens.
5 Coalition articulée autour d’an-Nusrah li-Ahl ach-Chām (Front Al-Nosra), le bras armé d’Al-Qaïda en Syrie. Se compose, pour être complet, de : Ahrār ach-Chām (Mouvement islamique des hommes libres du Cham), Jund al-Aqsa (Les soldats de Jérusalem), Liwāʾ al-Haqq, Jayš al-Sunna, Ajnad ach-Chām et de la  Légion de Cham.
6 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.

7 Les S-300 livrés à Damas, resteraient pour le moment encore opérés par des personnels russes.Richard Milhous Nixon, né le 9 janvier 1913 à Yorba Linda et mort le 22 avril 1994 à New York, est un homme d’État américain, 37e président des États-Unis, en poste du 20 janvier 1969 au 9 août 1974.
8 Armée de l’air turque.
9 Bouclier de l’Euphrate.

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