Accueil DÉBATS Invités Primaire à droite: comment Pécresse a choisi Juppé

Primaire à droite: comment Pécresse a choisi Juppé

En 2015, Valérie Pécresse a apporté à la droite la plus grande région de France.

La présidente de la région Ile-de-France a apporté son soutien au favori des sondages. Le maire de Bordeaux a eu la bonne idée de citer cette ex-filloniste ambitieuse parmi ses Premiers ministres possibles…

Claude Bartolone ne servait donc que de zakouski, lui qui a fait de sa défaite tout un plat. En décembre 2015, Valérie Pécresse bat le président socialiste de l’Assemblée nationale et est élue présidente de la région Ile-de-France. Dix mois seulement ont passé, et voilà que son nom est cité pour Matignon. L’appétit vient en mangeant. A table, Valérie Pécresse est généralement la première, aussitôt servie, à s’attaquer à son assiette.

Ce mardi 1er novembre, elle officialise son soutien à Alain Juppé. Le maire de Bordeaux l’a vue – une invitation à déjeuner, forcément, histoire de la rassasier – en juillet. Elle le juge très à l’écoute. Le 10 octobre, il se rend discrètement à la présidence de la région. Juste avant le rendez-vous, dûment renseigné sur l’état d’esprit de l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur puis du Budget des gouvernements Fillon, il a agité, dans Le Monde du 21 septembre, puis dans Le Journal du dimanche du 2 octobre, l’hypothèse d’en faire sa cheffe du gouvernement. Si elle l’a découvert en lisant le journal, le propos n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Ce jour-là, Juppé n’arrive pas les mains vides: il lui apporte la lettre, annotée de sa main, que Valérie Pécresse a envoyée à tous les candidats de la primaire. Il est le premier à lui répondre, quand Nicolas Sarkozy ne l’a toujours pas fait trois semaines après l’envoi. Plus tard, Jean-François Copé, Nathalie Kosciusko-Morizet et François Fillon – trop tardivement – lui enverront un courrier argumenté.

Les vacances estivales de Pécresse-la-bosseuse-acharnée, passées en Corrèze et à La Baule, n’ont pas été de tout repos. Elle a commencé par penser à son boulot. Elle rentrera à Paris avec l’idée de réclamer un statut spécial pour l’Ile-de-France. Elle demande la fin de la métropole du Grand Paris, c’est entendu – notamment par tous les dirigeants de droite. Voilà qu’elle suggère désormais la création d’un statut spécial pour sa région, qui deviendrait l’équivalent d’un Land allemand. Alors que l’actuel conseil régional compte 209 élus, l’hémicycle construit à Saint-Ouen, où s’installera la région à partir de 2018, comptera quelque 350 places, histoire de rendre possible cette réforme dont elle rêve.

Alain Juppé cherche un chef de gouvernement complémentaire

Elle réfléchit également à ses idées, affinant son concept de « société libérée »: elle prône le « lâcher-prise », en demandant à l’Etat de se concentrer sur le régalien et de laisser l’initiative économique aux PME et aux territoires. Et elle songe au choix de son candidat pour l’Elysée. Elle s’interroge un temps sur la possibilité de soutenir Bruno Le Maire: les efforts du chantre du « renouveau » pour constituer un projet détaillé ne la laissent pas indifférente. En août, elle appelle François Fillon, qu’elle a soutenu dans son combat contre Jean-François Copé pour la présidence de l’UMP, en 2012. Elle le pousse à se faire entendre davantage, lui conseille même de se lancer dans une tournée des pays confrontés au terrorisme. Elle voit aussi, bien sûr, Nicolas Sarkozy, avant comme après les vacances. Elle a lu son livre en une nuit. « Il faut que tu prennes le parti », lui suggère l’ancien président. Cela relève de l’élection, pas du choix d’un homme, lui rétorque-t-elle. Il lui demande la tête de Patrick Stéfanini, le directeur général des services de la région, qui s’occupe également de la campagne de François Fillon. Elle refuse. Ce sera « un casus belli entre nous », la prévient l’ex-chef de l’Etat. Elle ne cède pas. Entre eux, la tension a toujours retenu l’attention: « Il n’arrive pas à comprendre que je prenne mon pied à la région. »

Depuis sa victoire aux régionales, elle se sent l’égale – pour le moins – des plus grands à droite. Il faut l’entendre raconter ses différents entretiens avec les impétrants de la primaire. « Tous les candidats, je les aime bien, mais… » Mais il faut qu’ils soient un peu à la hauteur, à commencer par l’ex-chef de l’Etat. « J’ai dit à Nicolas Sarkozy: ‘On se parle entre professionnels.' » C’était pour mieux débiner ses propositions de réduction d’impôts, dont elle a bien remarqué qu’elles concernaient tout le monde, catégorie par catégorie, mais dont elle ne croit pas un mot. Le souhait de l’ancien président de revenir sur le non-cumul des mandats la fait bondir. Elle ne veut surtout pas que les fonctionnaires repassent aux 37 heures hebdomadaires payées 37. Bref, ça ne colle pas du tout. Fillon? Pas assez combatif. Le Maire? Pas assez créatif. Les 1000 pages programmatiques du député de l’Eure constituent certes un bel effort, mais, elle a beau chercher, elle ne trouve pas la ligne directrice. « A mon modeste niveau [cela s’appelle une litote, figure qui consiste à dire moins pour laisser entendre davantage], je n’ai écrit que neuf pages », complète-t-elle, et elle n’a pas besoin de citer Boileau pour que l’on comprenne ce qu’elle veut dire – ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.

Elle votera donc Juppé. « Si François Fillon avait été à 20 ou à 25%, son choix aurait sans doute été différent, constate un élu qui la connaît bien. Elle est très realpolitik. » Pour sa défense, elle rappelle qu’elle n’est pas une filloniste historique, mais une vraie chiraquienne. Evidemment, évoquer l’hypothèse qu’elle devienne la cheffe de gouvernement d’un Alain Juppé à l’Elysée n’a pas été anodin. L’équipe Juppé a retenu la leçon depuis qu’un autre président de région, Philippe Richert (Grand Est), lui a échappé au bénéfice de Nicolas Sarkozy, peu avare en promesses ­ministérielles. Quand Jean-Pierre Raffarin déclare qu’elle a la « dimension » pour Matignon, il joue même au billard à plusieurs bandes: il adresse également un clin d’oeil à Sébastien Proto, qui fut le directeur de cabinet de la ministre Pécresse, travaille aujourd’hui au côté de Nicolas Sarkozy et pourrait trouver à Matignon un job à la hauteur de ses ambitions. A moins qu’il ne préfère être nommé ministre.

« Concrète et pragmatique »

Il se trouve qu’Alain Juppé cherche un chef de gouvernement complémentaire et qu’elle l’est, par son âge (49 ans), son sexe, son positionnement aussi: elle est sans doute plus à droite que lui. Elle a eu la bonne idée de gagner une région face à la gauche. Elle apprend à gérer un exécutif, elle qui ne s’est pas particulièrement distinguée, jusqu’à présent, par son sens du collectif. Après l’âpre bataille électorale, qui l’a vue dépeinte en bourgeoise versaillaise, elle surprend ses interlocuteurs de gauche par sa « convivialité chiraquienne », selon le socialiste Stéphane Troussel, qui dirige le département de Seine-Saint-Denis. Patron communiste du Val-de-Marne, Christian Favier décrit une Pécresse « concrète et pragmatique » après leur premier rendez-vous.

Dans sa famille, la victoire assoit son autorité. Longtemps toisée par les barons de la droite francilienne, elle gère avec souplesse un « rassemblement des contraires », avec une majorité qui s’étend du Modem jusqu’aux plus musclés des Républicains. Un laboratoire de la droite plurielle très juppéo-compatible. Chaque lundi matin, lors de la réunion de l’exécutif, le très sarkozyste Frédéric Péchenard voisine Jérôme Chartier, première gâchette chez François Fillon. Qu’on lui reproche de nommer à la tête de la commission Famille une anti-mariage gay, et Valérie Pécresse met en avant une centriste, la vice-présidente Farida Adlani, chargée des affaires sociales.

Son action s’inscrit résolument à droite. Son « dispositif anti-ghetto » refuse ainsi de financer les constructions de logements très sociaux dans les zones qui en comptent déjà plus de 30%. A côté d’un ambitieux plan de rénovation des transports en commun, elle investit plus de 200 millions d’euros pour désengorger les axes routiers d’Ile-de-France et part en guerre contre la fermeture des voies sur berge à Paris. Le 3 novembre, elle dévoile son « bouclier sécurité ». « C’est une négociatrice hors pair, d’une mauvaise foi extraordinaire », observe un élu qui en a vu d’autres. Elle assume ses choix, déroule son programme : elle coche ainsi un certain nombre de cases pour un Juppé directeur de casting. On ne dénombre qu’un petit cadavre dans le placard, ce qui, en politique, est assez peu – avec un juppéiste de confiance, le maire du Havre, Edouard Philippe, les relations sont franchement hostiles.

Elle n’a peur de rien, en tout cas de personne

De Matignon elle connaît jusqu’au pavillon de musique, au fond du jardin. C’est là que Manuel Valls l’a invitée, dans le plus grand secret, pour négocier l’accord sur le financement du pass Navigo, qui heurtera les départements, de droite comme de gauche. Les deux s’entretiennent en tête à tête, avant d’être rejoints par deux ­collaborateurs.

Quand elle a lancé sa campagne régionale, en avril 2015, Valérie Pécresse s’est engagée: « Je ne serai pas ministre en 2017. Mon choix, il est clair: […] je choisis l’Ile-de-France à 100%. » Aujourd’hui, forcément, elle nuance. Elle a dit qu’elle ne serait pas ministre, elle n’a pas dit qu’elle refuserait d’être la première des ministres. Vous suivez? Si ce n’est pas le cas, regardez du côté de Jean-Yves Le Drian: il est resté à la tête de la région Bretagne, tout ministre de la Défense qu’il fût. Cela n’a pas échappé à son homologue francilienne.

C’est en faisant de la politique, affirme-t-elle, qu’elle s’est découverte intrépide. De fait, elle n’a peur de rien, en tout cas de personne. Pendant la campagne des régionales, elle ne cale pas devant Nicolas Sarkozy, qui lui demande d’accorder une place éligible à un ami de son fils. Depuis sa victoire, elle se sent pousser des ailes. Au lendemain du premier débat télévisé de la primaire de la droite, elle écrit un tweet, sans prévenir son entourage, pour renvoyer Nicolas Sarkozy et François Fillon à leurs études, confirmant que Jean-François Copé est à l’origine de la loi sur l’interdiction de la burqa.

Peur de personne. Elle se souvient très bien du moment: elle menait campagne pour les régionales de 2010 quand elle a soutenu l’initiative du maire de Meaux. « J’ai été convoquée à l’Elysée par Claude Guéant [secrétaire général de la présidence], accusée de déloyauté et de ‘copéisme’! Et on m’a indiqué que jamais la burqa ne serait interdite dans ce pays, que ce serait suicidaire… »

L’essentiel est de ponctuer les vacheries d’un sourire. Parfois, précise-t-elle, elle s’exprime plutôt avec « l’expérience de quelqu’un qui a tout traversé, la primaire avec un parti hostile, l’élection à la tête de la plus grande région de France, etc. ». Valérie Pécresse n’a pas toujours besoin de recourir à des litotes pour dire ce qu’elle pense.

L’Express

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