En enlevant la préface d’Alain de Benoist et la postface de Philippe Lamarque, l’ouvrage comprend une quarantaine de pages riches en citations. Par sa forme, il entre facilement dans la poche d’un blouson ou d’un pantalon; il est donc parfait pour les jeunes générations pour qui lire un essai volumineux relève du supplice.
À croire les plumitifs stipendiés du Régime, le nationalisme et sa déclinaison pitoyable, le souverainisme, connaîtraient un certain regain en France, sur le continent européen et ailleurs dans le monde. Arnaud Guyot-Jeannin profite de ce contexte pour signer un bref essai, véritable charge contre le nationalisme hexagonal, un cas bien paradigmatique quand on y pense. Sa Critique du nationalisme n’est pas universaliste ou cosmopolite. L’auteur, quinquagénaire, appartient depuis sa jeune à une droite traditionnelle qui récuse avec force l’idéologie nationaliste et ses différentes manifestations. Dommage qu’il n’insiste pas assez qu’à l’instar du libéralisme, le nationalisme est une idée de gauche qui, sous la pression des événements, s’est déplacé vers la « droite ». Les syntagmes « droite libérale », « droite nationale » et « droite nationale-libérale » sont par conséquent d’indéniables oxymores.
« Si l’on y réfléchit bien, sur bien des points, remarque-t-il, l’État national peut être considéré comme la phase rétractée de l’actuelle uniformisation à l’échelle mondiale. » La IIIe République (1870 – 1940) se consolide à travers le bourrage de crâne scolaire, laïque et obligatoire d’une « Revanche » sur plusieurs générations successives et l’éradication concertée des cultures vernaculaires qui faisaient l’incroyable chatoiement linguistique, paysagère et patrimoniale de la France. L’interdiction de parler occitan, breton, catalan, corse, arpitan, etc., dans la cour de récréation au nom d’un dogme politique « unitariste » conduit aux crimes de masse de la Grande Guerre fratricide. Arnaud Guyot-Jeannin explique que « la standardisation l’emporte sur la différenciation, l’homogénéité sur l’hétérogénéité, l’uniformité existentielle sur l’altérité réelle ». Ainsi déconstruit-il avec raison le mythe nationaliste impolitique.
Dans les années 1960, Jacques Ploncard d’Assac avait publié le livre de chevet de toute une jeunesse activiste : Doctrines du nationalisme. Dans sa conclusion, il opposait le nationalisme défini sur des bases maurrassiennes et catholiques traditionalistes au nationalitarisme qu’il réprouvait et dont il observait les méfaits durant la Décolonisation et les « guerres de libération nationale » (Algérie, Vietnam, Mozambique). En se référant sur Les deux patries de Jean de Viguerie, Arnaud Guyot-Jeannin estime que « le nationalisme peut défendre les identités. Mais il peut aussi les détruire. Il ne constitue pas, en tout cas, en soi, le paradigme qui permet de poser la notion d’appartenance en terme général ».
Son féroce réquisitoire s’accompagne d’un vibrant « plaidoyer pour l’enracinement et l’identité des peuples », éclairant le sous-titre de l’opuscule. Outre le catholicisme de tradition et un plaisant non-conformisme paneuropéen, Arnaud Guyot-Jeannin considère que la vraie Droite ne peut être que populaire, identitaire et communautaire. Regrettant que « le nationalisme [soit] d’abord une instrumentalisation politique de l’identité collective qui se réduit à la nation », il prône son dépassement par le haut, vers la patrie civilisationnelle continentale, et par le bas, vers les patries charnelles et les communautés d’existence (appartenance aux pays et aux métiers).
L’auteur ébauche une « troisième voie » entre un « nationalisme » laïque, républicain et assimilationniste, et un « néo-nationalisme » « populiste, ethniciste et exclusionnaire ». Il signale que « le nationalisme s’affirme par négation. Or, pour faire coïncider unité et diversité, on se doit d’appliquer une règle exemplaire qui précède la seule critique : la défense de la différence entre les peuples ». Comment peut-il ensuite justifier l’approche grande-européenne ? Par le concept même d’Empire compris comme une unité spirituelle et politique qui assure toujours d’une façon agonistique (et non polémique !) la nécessaire coordination de la diversité ethno-culturelle des indigènes européens.
La vision anti-nationaliste d’Arnaud Guyot-Jeannin n’est pas une nouveauté. On oublie que l’indianiste Alain Daniélou (1907 – 1994), converti à l’hindouisme, s’éleva avec une rare virulence contre les nationalistes indiens du BJP (Parti du peuple hindou) et de leur matrice idéologique, le RSS (Organisation volontaire nationale). Pratiquant une politique économique libérale et assez libre-échangiste, les actuels nationalistes indiens veulent la suppression des castes alors que Daniélou est pour leur réaffirmation existentielle. Par cette prise de position osée et courageuse, Arnaud Guyot-Jeannin se range parmi les lointains héritiers de la Ligue catholique pendant les Guerres de Religion. Dans son ouvrage majeur consacré à la « faction » catholique du duc de Guise, Jean-Marie Constant souligne que les Ligueurs se retrouvaient avec certains Huguenots dans leur méfiance commune à l’égard d’une monarchie pré-absolutiste et dans leur volonté de renouer avec un néo-féodalisme rural pour les premiers et de favoriser des républiques urbaines pour les seconds. Des Ligueurs vont même plus loin dans leur cohérence « anti-nationaliste » en ignorant une loi salique pas encore adoptée, en écartant un principe de « nationalité » anachronique et en encourageant la candidature au trône de France Isabelle de Habsbourg, fille de Philippe II d’Espagne et d’Élisabeth de France, sœur des souverains François II, Charles IX et Henri III. Cet état d’esprit qui se détache d’un nationalisme rétrograde et étriqué perdure encore au sein de certaines franges du royalisme hexagonal avec les légitimistes, les parmistes et les survivantistes.
Sans réaliser une œuvre exceptionnelle, l’auteur lance un pavé dans la mare convenue des certitudes militantes. Il invite à penser hors des sentiers battus. Il rappelle finalement que la bourgeoisie aime instrumentaliser les milieux nationalistes pour effectuer ses basses besognes. Anti-bourgeoises, les subtiles réflexions d’Arnaud Guyot-Jeannin ne sont pas anodines en ces temps de confusion politique.
• Arnaud Guyot-Jeannin, Critique du nationalisme. Plaidoyer pour l’enracinement et l’identité, Via Romana, 2021, 98 p., 11 €.