Syrie : La Logistique de la terreur
L’histoire nous montre que, sans une aide extérieure, une insurrection ne peut l’emporter ni même durer. La Guerre de Syrie n’a pas échappé à cette règle…
Il en fut ainsi lors de la Guerre d’Espagne où les deux camps furent largement soutenus par des pays étrangers, ce fut aussi le cas lors de la Guerre d’Indochine où le Viêt Minh bénéficia à partir de 1949 de l’aide de la Chine. Par contre, l’insurrection communiste en Malaisie, isolée finit par être écrasée.
Quant à la guerre civile grecque, les communistes de l’ELAS reçurent d’abord le soutien de la Yougoslavie de Tito, mais cela cessa en 1948 et l’insurrection fut vaincue dés l’année suivante.
La Guerre en Syrie a commencé en 2012 et 4 ans après, elle dure encore. Le démarrage de cette guerre et sa poursuite n’auraient pas été possibles sans une intervention étrangère massive.
La communication, arme de guerre
« Le nouvel objectif est de capturer les perceptions des populations, non de se saisir du terrain. Sur nos champs de bataille, les opérations doivent être planifiées pour dominer la bataille de l’information et conduites pour façonner l’opinion de l’adversaire, de la population locale, de notre propre population et de l’opinion globale » (RUSI Land Warfare Conference, Londres 23 juin 2009)
Cette approche n’est pas nouvelle, elle avait déjà été mise en œuvre contre l’Irak, la Serbie.Elle a aussi été mise en application contre la Syrie .
Le 13 décembre 2006, dans un télégramme révélé par Wikileaks1, William Roebuck, chargé d’affaires à l’ambassade américaine de Damas, énumérait diverses actions pour affaiblir le gouvernement syrien : jouer sur la peur des sunnites face à l’Iran, nourrir les tensions entre sunnites et chî’îtes, encourager les rumeurs et les signes de complot extérieur, montrer que les réformes économiques sont un échec, décourager les IDE (Investissements Directs Étrangers), souligner le mécontentement des Kurdes, souligner que le gouvernement syrien est incapable de lutter contre le terrorisme.
À la même époque les États-Unis commencèrent à financer des groupes de l’opposition syrienne comme le Mouvement pour la justice & le développement (6 M$US), l’Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient (12 M$US), en 2009, Barada TV fut installée à Londres.
Lorsque les premières manifestations se produisirent, la machine médiatique se mit en marche : des manifestants pacifiques et désarmés se faisaient tirer dessus par les forces de sécurité. Or, le bilan pour l’année 2011 est de 5.000 morts dont 478 policiers et 2.091 militaires. Pour justifier ce niveau élevé de pertes militaires, on nous expliqua qu’il s’agissait de… déserteurs exécutés par les forces du « régime ».
Ce terme de « régime » repris par tous les media pour désigner le gouvernement syrien sous entend qu’il s’agit d’un gouvernement illégitime, son utilisation généralisée par les media officiels est l’un des signes de la communication comme arme de guerre.
Un adversaire illégitime, qui tire sur des civils désarmés et à partir du moment où la guerre éclata, l’aviation syrienne, puis à partir de 2015 l’aviation russe, passent leur temps à bombarder des écoles et des hôpitaux. Dès que les djihâdistes sont en difficulté, on voit, comme par hasard, apparaître dans les media occidentaux des « informations » sur le bombardement des écoles, des hôpitaux, la mort de civils dont de nombreux enfants. Si on fait les comptes pour Alep Est, ce ne sont pas moins de 90 hôpitaux qui ont été détruits ! Avant la guerre la Syrie comptait 77 hôpitaux,12 CHU et 7 hôpitaux militaires, tous les soins médicaux étaient gratuits d’ailleurs.
Les Occidentaux se sont empressés de venir en aide au peuple syrien « martyrisé » par le régime : le gouvernement britannique a fourni 100 M£ d’aide non humanitaire en mettant en place, à partir de la Turquie des opérations médiatiques au profit de l’opposition modérée à travers la firme InCoStrat qui travaille avec des groupes « modérés » comme Jayš al-Islam !!!
Fournissant aussi 15 M£ aux fameux Casques blancs créés par James Le Mesurier, un ancien des Services secrets britanniques2, ces Casques blancs ont aussi reçu 23 M$US de l’USAid et 4,5 millions $ du gouvernement néerlandais, les media occidentaux nous montrent à l’envie l’action de ces Casques blancs, se montrant plus discrets lorsqu’ils emmènent dans la foulée le cadavre d’un syrien assassiné d’une balle dans la tête par un djihâdiste où lorsqu’ils jettent dans une décharge publique les cadavres de soldats syriens.
Il y a bien sûr l’aide humanitaire pour venir en aide aux réfugiés à l’extérieur mais aussi dans les zones contrôlées par les djihâdistes, une partie de cette aide est destinée à « soutenir une future transition politique et à renforcer l’opposition modérée »3.
Cette guerre de l’information est aussi passée par l’intermédiaire de la création d’un Conseil National Syrien (CNS), qui en 2012 reçut plus de 40 M$ de différents donateurs dont la Libye, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, très vite il fut dominé par le Jamiat al-Ikhwan al-Muslimin4, les Occidentaux espéraient avoir ainsi un contrepoids face au gouvernement syrien, mais, en dépit de toute l’agitation qui a été faite autour de cet organisme, il n’en est rien sorti.
Cela n’empêche pas la propagande médiatique de se poursuivre, il suffit de comparer le traitement accordé aux combats pour Mossoul et à ceux pour Alep : dans le premier cas, une nuée de correspondants des media occidentaux s’est abattue comme un nuage de sauterelles sur l’Irak évoquant le combat de la Division d’or pour reprendre la ville, on nous parle de centaines de voitures piégées qui se ruent sur les combattants irakiens, sans aucun effet à en croire les correspondants, par contre, à Alep, il n’y a pas de journalistes occidentaux, il n’est pas opportun, en effet qu’ils aillent dans une zone contrôlée par le « régime », et les bombardements russes et syriens ne tuent que des civils et surtout des enfants. On n’évoquera jamais non plus, la politique de réconciliation mise en œuvre car cela irait à l’encontre de l’image du « régime sanguinaire » et de celle de « Bachar, boucher de son peuple ».
Nourrir la guerre
Napoléon disait : « Une armée marche avec son estomac », les djihâdistes ne vivent pas seulement de la lecture du Coran, les programmes humanitaires étrangers leur assurent la nourriture ainsi que tout ce qui concerne les soins aux blessés, sur place où à l’étranger, que ce soit en Turquie, en Jordanie ou en Israël.
Ce ne sont pas non plus des combattants bénévoles et les bailleurs de fonds étrangers leur assurent une solde mensuelle de 200 à 400 $US par mois, plus pour les spécialistes des missiles antichars et les divers commandants. L’accès à ce financement étranger étant parfois l’occasion de luttes sanglantes entre les divers groupes djihadistes.
Il faut aussi assurer le recrutement de nouveaux djihâdistes, ce qui se fait dans les camps de réfugiés et aussi hors de la région, pour assurer ces recrutements, il est nécessaire de fournir une aide financière aux familles, de payer une assurance décès, de payer les invalides, tout cela se montant à plusieurs centaines millions de dollars chaque année.
Lorsque la guerre a éclaté et s’est très vite répandu dans la plus grande partie du pays, l’ Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)5 a été prise au dépourvu et les djihâdistes ont été en mesure de s’emparer de grandes quantités d’armes et de munitions. Selon certaines estimations, en 2012-2013, 35% des blindés syriens seraient tombés aux mains des djihadistes, ainsi que 42.000 tonnes de munitions d’infanterie et de munitions anti-chars, 11.000 tonnes de munitions de 12,7 à 23 mm.
Prenons deux exemples qui pourraient être multipliés :
Lorsque Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)6 prend la petite ville de Khanasir dans le gouvernorat d’Alep, il met la main sur 1 T-72, 1 BMP-1, 6 technicals, 3 bulldozers, 1 canon de 130 mm, 2 obusiers de 122 mm, 1 obusiers de 152 mm, 19.000 munitions de 7,62 x 39 mm, 2.000 de 23 mm, 98 roquettes de RPG.
En mai 2016, à l’occasion de la prise du champ gazier de Shaer, ce sont plusieurs T-55 et T-62, des obusiers de 122 mm qui sont pris ainsi que 12 technicals et 4 camions, 25.000 munitions de 7,62×39, 14.000 de 7,62×54 et aussi de nombreuses caisses de munitions de 12,7 mm et 14,5 mm.
Toutefois, l’utilisation de munitions de récupération n’est pas sans poser, parfois quelques problèmes car certaines de ces munitions sont piégées : on a retrouvé des munitions de 7,62×39 dans lesquelles la poudre avait remplacée par une substance explosive, il y a aussi des roquettes de RPG piégées.
Cependant, en dépit de leur importance, les prises de guerre auraient été insuffisantes pour tenir dans la durée surtout quand l’on voit avec quelle libéralité sont utilisées les munitions : on vide des chargeurs en tenant l’arme à bout de bras, les missiles antichars ne sont pas seulement utilisés contre les chars, mais aussi contre des 4×4 ou de simples positions fortifiées et même de simples snipers.
Dès 2011, des armes ont été fournies aux groupes djihâdistes, des envois ont d’abord été réalisés à partir de la Libye dès la fin de 2011 : environ 400 tonnes d’armes et de munitions. Mais à partir de 2012, c’est un flux continu d’armes et de munitions qui leur parvient : en juillet 2012, la Confédération helvétique a décidé d’arrêter les ventes d’armes aux Émirats Arabes Unis car on avait retrouvé aux mains des djihâdistes syriens des grenades fabriquées en Suisse et provenant d’un lot (225.162 exemplaires) vendus aux EAU. De décembre 2012 à février 2013, 36 vols d’IL-76 (charge utile plus de 40 tonnes) affrétés par la firme Jordan International Air Cargo transportent des armes croates en Jordanie.
L’aviation du Qatar met aussi en place une navette entre la base aérienne d’Udeid, base logistique de l’armée américaine au Moyen Orient et la Turquie, c’est aussi le cas de l’aviation séoudienne (on a retrouvé en Syrie des munitions de 7,62×39 fabriquées par Lugansk Cartridge Works en Ukraine, vendues à l’Arabie Séoudite en février 2010 par la firme kirgize Dastan Engeenering (qui possède des bureaux au 46 avenue de Stalingrad à Kiev).
En ce qui concerne la France, le régime de Hollande outre l’envoi de membres des forces spéciales en Jordanie, a fourni, dès 2012, du matériel de communications, des gilets pare-balles, des appareils de visée nocturne, mais aussi des mitrailleuses lourdes, des lance-roquettes antichar et des missiles antichars Milan.
Il ne faut pas oublier les milliers de 4×4 qui ont été fournis aux djihâdistes sous la rubrique matériel non-létal, l’USAid a fourni des bulldozers qui sont utilisés pour bâtir des fortifications de campagne
De leur côté, les États-Unis lancent l’opération Timber Sycamore pour entraîner et armer les djihâdistes syriens ; deux centres de commandement (Military Operation Center) ont été créé, l’un à Amman en Jordanie, l’autre sur la base aérienne d’Incirlik en Turquie.
Ce programme d’entraînement des « rebelles modérés » a connu bien des déconvenues car à peine arrivés en Syrie, ceux-ci se sont empressés de revendre leurs armes aux djihâdistes quant ils ne les ont pas purement et simplement rejoint.
Quant à la « modération » de ces « rebelles », il suffit de citer l’un des bénéficiaires des livraisons de missiles antichars TOW, le groupe Harakat Nour al-Din al Zenki qui a décapité un enfant palestinien de 12 ans en juillet 2016.
Bien que l’on nous affirme que les crédits américains ont été réduits, il faut souligner que lorsqu’il s’agit d’action communes, la CIA n’a pas de comptes à rendre, ce qui a été les cas de l’opération conjointe CIA/MI6 qui a permis de transporter des dizaines tonnes d’armes de Libye en Syrie par bateau ou par des C-17 qataris.
En 2013, l’Arabie Séoudite a acheté aux États-Unis 13.795 missiles antichars TOW et on les a très vite retrouvé entre les mains des djihâdistes.
En décembre 2015, les États-Unis ont acheté 3.000 t d’armes en Bulgarie à destination de la Syrie dont 134 tonnes de munitions de 7,62×39 (8 millions de munitions), 67 tonnes de 7,62×54 (3 millions de munitions) etc7…, les Séoudiens ont aussi réalisé d’importants achats en Serbie : 10.000 AK-47/M-70, 2.000 mitrailleuses RPK, 4.000 mitrailleuses PRT et PRM, des lance-roquettes antichars (2000 RPG-7,1000 RPG-29 Vampir, 3500 M-79 Osa (guêpe),12.000 M-80 Zolja et aussi des lance-roquettes multiples ( 50 BM-21 Grad, 50 VBR M-63 Plamen), pour compléter des munitions, entre autres 200 millions de 7,62×39, 100 millions de 7,62×548. Des achats conséquents qui permettent aux Séoudiens de soutenir deux guerres, l’une en Syrie, l’autre au Yémen.
Une grande partie de ces armes sont donc achetées dans les pays d’ Europe de l’Est qui de 2012 à 2016 en auraient vendu pour 1,5 Md$US au Moyen-Orient9.
Un rapport du Congrès américain du 28 septembre 2016 nous montre que pour l’année 2017 le président Obama a réclamé 238,5 M$US pour la Syrie, à cela s’ajoutent les fonds de la Défense : 250 M$US. Toutefois, le Congrès, comme les années précédentes, a spécifié que ces fonds ne pourraient être utilisés pour la fourniture de missiles sol/air portatifs.
À ce propos, il semble que même les sponsors les plus actifs des djihâdistes syriens n’aient qu’une confiance toute relative dans leurs poulains, car on n’a pas vu apparaître massivement sur le théâtre syrien de missiles de ce type, quelques de douzaines de FN-6 chinois10 sont apparus qui ont abattus 2 hélicoptères Mi-8/17 syriens : l’un prés de Deir ez -Zor, l’autre le 6 mars 2013 près de la base aérienne de Menagh au Nord-Est d’Alep11. Il semble que ces missiles aient fait partie d’une cargaison d’armes chinoises vendues au Soudan puis achetés par le Qatar avant d’être envoyés en Syrie, selon les djihâdistes, plusieurs de ces missiles ont explosé au moment du tir, tuant au moins 6 d’entre eux.
Les djihâdistes ont aussi récupéré dans les stocks de Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS) de nombreux missiles sol/air portables de type 9K32/M Strela-2/2M, 9K310/m Igla-1/1M, 9K338 Igla, mais ceux-ci sont parfois très anciens (30 ou 40 ans) et leur état de fonctionnement est des plus aléatoire : 50 9K32 ont été capturés par les djihâdistes dans la Base 46 près d’Alep et quasiment aucun ne fonctionnait . Les charges propulsives voient leur capacité réduite avec l’âge, les batteries non plus ne sont pas éternelles, tout cela réduisant d’autant les capacités de nuisance de ce type de matériel.
Depuis 2011, les sponsors de la guerre en Syrie ont dépensé des milliards de dollars pour renverser un gouvernement qui leur déplaisait, ils sont directement responsables de la destruction de ce pays et des souffrances de sa population. En soutenant les djihâdistes, ils n’ont pas seulement déstabilisé le Moyen-Orient mais encore mis en danger les peuples européens comme l’ont montré les attentats takfirî sanglants qui ont touché l’Europe.
Notes
1 Wikileaks.
2 UK Goverment.
3 UK Goverment.
4 ou Association de la Confrérie des musulmans, autrement dit les Frères musulmans (FM),
5 Armée arabe syrienne.
6 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
7 Janes.com.
8 Birn.
9 Balknan Insight.
10 Fei Nu-6 (arbalète volante).
11 Youtu.be,.