Astana. Les puissances aiment donner un vernis géopolitique à leur action sur le terrain. Le US Secretary of State, John F. Kerry, nous avait fait Genève à répétition. Les présidents turc, Reccep Tayyip Erdoğan, russe, Vladimir V. Poutine, & iranien, Hassan Rohani, nous la jouent Astana. Pour quels résultats ? Peu de chose qui ressemble à la paix, en tout cas… 1ère partie.
« Le 1er mai 2003, sur le pont du porte-avions Abraham Lincoln et sur fond de bannière ‘Mission accomplie’, le président Bush annonçait la fin des combats en Irak. En réalité, ce n’était que le début de l’enlisement de l’ ‘hyperpuissance’ dans un conflit qui marque sans doute le début d’une nouvelle ère dans l’art de la guerre »1. Michel Goya
Vous me disiez ne pas être enchanté par les pourparlers de paix à Astana ?
Jacques Borde. Non, effectivement, je suis assez dubitatif quant à ce type de négociations qui réunissent des gens qui, au fond, sont eux tout autant des tenants du nazislamisme takfirî que les groupes qui ont été exclus par les parties organisatrices du happening d’Astana…
Mais, il faut bien négocier avec quelqu’un au bout du compte ?
Jacques Borde. Tiens donc. Et pourquoi ? A-t-on négocié avec les Hitlériens en 1945 ? Alors, pourquoi tenons-nous tant que cela à nous asseoir à une table de négociations avec des génocidaires takfirî ? Car, à ce petit jeu, à un moment donné, il faudra bien leur donner quelque chose !
Que va-t-on leur accorder pour qu’ils se tiennent tranquilles ? Un bout du Kurdistan ? Les Chrétiens d’Orient ?
Que faut-il faire, alors ?
Jacques Borde. Les liquider jusqu’au dernier. Ni plus, ni moins. Une amie Internaute sur Facebook a trouvé cette formule, que je répète souvent, car elle convient parfaitement à la situation qui prévaut au Levant : « Ni oubli, ni pardon, ni reconnaissance diplomatique, ni négociations. Destruction du pseudo-État islamique. Totale. Partout. Maintenant ».
Pour vous, il reste beaucoup à faire ?
Jacques Borde. Oui, évidemment. Voyez vous-même : Alep a fini par retourner à sa mère patrie syrienne, mais les nazislamistes reprennent du poil de la bête à Deir Ez-Zor. Sans parler de Palmyre…
Je suis désolé de le dire à tous ceux qui s’extasient sur les récentes victoires de l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)2 et des Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)3. Elles sont réelles et indéniables, mais rien n’est encore réglé. Alors, je le répète à quoi riment les contorsions d’Astana – ou je l’ai déjà écris, le président turc, Reccep Tayyip Erdoğan, joue un jeu trouble et inquiétant – ?
Vous réduisez à peu de choses les efforts de guerre de Moscou et ses alliés tout de même ?
Jacques Borde. Non, pas du tout. Je les prends pour ce qu’ils sont : des victoire sur le long chemin d’une guerre. Décisives peut-être. Mais pas autant qu’on le croit. Or, Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)4, et ses petits camarades sont encore bien vivants.
Les chiffres donnés, très objectivement d’ailleurs, par les Russes le montrent bien : la puissance militaire takfirî – quel que soit le nom qu’on lui donne – a de beaux restes et saura s’en servir…
Qu’ont détruit les Russes alors ?
Jacques Borde. Le ministre russe de la Défense, Sergueï K. Choïgou5, l’a dit lui-même : « Depuis le début des opérations, l’armée de l’air russe a effectué 18.800 sorties et réalisé 71.000 frappes contre les infrastructures terroristes. Elle a liquidé 725 camps d’entraînement, 405 usines de munitions et ateliers, 1.500 pièces d’équipement militaire et 35.000 combattants, dont 204 commandants sur le terrain ».
C’est bien. Très bien même. Beaucoup mieux que la coalition occidentale. Mais, désolé de me répéter, mais ni DA’ECH ni Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām6, au stade où nous en sommes, ne sont éradiqués. Alors, pour la 3ème fois : à quoi riment nos négociations avec le nazislamisme ?
Que faut-il faire ?
Jacques Borde. Bâtir une véritable coalition destinée à éradiquer le nazislamisme sous toutes ses formes : DA’ECH, an-Nusrah, Al-Jayš al-Fateh (Armée de la conquête)7, l’ALS, etc. ! Le reste, désolé, c’est du bavardage.
Finalement, c’est ce qu’a très exactement suggéré le nouveau porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, lors de sa première conférence de presse lorsqu’il a dit que « S’il y a une possibilité de combattre l’État islamique avec n’importe quel pays, que ce soit la Russie ou un autre, et que nous partageons un intérêt national sur la question, bien sûr, nous sommes preneurs ».
Alors, oui, soyons preneurs de ça, seulement de ça et rien d’autre. Et surtout pas de ces incessants pourparlers qui, à chaque fois, permettent aux différentes composantes de la terreur takfirî de souffler et de reprendre des forces…
Que pensez-de l’idée, débattue à l’initiative de la Tribune qui, à partir d’Astana, voudrait que les Occidentaux sont désormais « exclus de la solution en Syrie » ?
Jacques Borde. Le sujet est, effectivement intéressant. Mais, cela me semble aller un peu vite en besogne que de croire que « les Occidentaux sont exclus de la solution »8 en Syrie. En effet :
1- Les pourparlers d’Astana, à moins de nous concocter une suite, n’ont pas débouché sur la paix, ou même une forme de paix, me semble mettre la charrue avant les bœufs.
2- Avant de parler de « solution en Syrie », attendons de voir. Qui nous dit que la solution qui sortira du processus d’Astana, car c’est de cela qu’il s’agit, sera nécessairement la paix ? Avec autour de la table quelqu’un comme le président turc, Reccep Tayyip Erdoğan, qui a déchiré tous les engagements pris avec ses voisins à un moment ou à un autre, j’ai du mal à associer son nom à celui d’une paix véritable.
3- Comme l’a noté la Tribune, « Ces discussions sont marquées par l’absence flagrante des pays occidentaux » avec une Russie qui « assoit sa nouvelle place d’arbitre dans la région »9. Mais, une paix véritable est-elle durablement possible, concernant un guerre au Levant, en excluant ainsi le premier des Occidentaux qu’est l’hegemon étasunien ? Sans parler de la 1ère puissance militaire de la sous-région : Israël ?
4- Quid d’une paix négociée en comité restreint ? Comme l’a d’ailleurs noté la Tribune, si « 14 groupes combattant en Syrie sont donc conviés autour de la table des négociations pour trouver une sortie de crise », c’est sans les takfirî d’Ahrār ach-Chām alors et « certains modérés ont refusé l’invitation »10.
Tout cela me semble un peu court pour parler de paix…
Donc pour vous Astana était parti pour échouer ?
Jacques Borde. Le mot es dur. Mais, quelque part, oui : la montagne a accouché d’une souris. Ou plutôt d’un communiqué final. De toute manière, les absents d’Astana ont parfaitement les moyens de continuer la guerre ! Nous parlons quand même de :
1- Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH).
2- Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām.
3- Ahrār ach-Chām.
Astana, c’est un peu comme si, en 1945, les Alliés avaient négocié l’arrêt des hostilités, à l’exclusion des Allemands et des Japonais ! Et, de toute façon, j’en reviens à mon idée première : une partie de nos interlocuteurs, à Astana, sont des adeptes de la terreur takfirî.
On ne discute pas avec les nazislamistes.
Notes
1 Irak, Les armées du chaos, 2e éd., Stratégies & doctrines, 320 pp., ISBN 978-2-7178-5698-9.
2 Armée arabe syrienne.
3 Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale.
4 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
5 Depuis le 6 novembre 2012.
6 Ou Front pour la victoire du peuple du Levant, ou de manière abrégée Front al-Nosra.
7 Coalition articulée autour d’an-Nusrah li-Ahl ach-Chām (Front Al-Nosra), le bras armé d’Al-Qaïda en Syrie. Se compose, pour être complet, de : Ahrār ach-Chām (Mouvement islamique des hommes libres du Cham), Jund al-Aqsa (Les soldats de Jérusalem), Liwāʾ al-Haqq, Jayš al-Sunna, Ajnad ach-Chām et de la Légion de Cham.
8 La Tribune.
9 La Tribune.
10 La Tribune.