En écrivant mon livre Céline*, je redécouvre de crus passages. Un des sommets c’est la piscine allemande à la fin de la guerre avec la pharmacienne – pendant l’attentat contre Adolf. C’est au début de Nord.
« En fait, notre demoiselle avait tout fait depuis son arrivée, trois semaines, que tous les mâles de la piscine deviennent intenables… un nouveau maillot tous les jours, de plus en plus provocant… oh, des superbes fesses, j’admets… mais ce qu’elle pouvait faire avec !… de ces déhanchements… appels de reins dès le plongeoir !... et puis en nageant… une manière de crawl qui lui faisait dix croupes à la fois… tapant dans les mousses… sur l’eau, sous l’eau… de quoi bien retourner la piscine… je veux dire les clients... »
Tout le monde commence à loucher vers la belle, alors Céline évoque l’attentat contre Adolf et la montée de la température qui en résulte.
«…coiffeurs, croupiers, garçons de bains… et les désœuvrés de notre hôtel… officiers en convalescence… bien sûr, bien sûr, les nerfs à bout… cet attentat contre Adolf avait fait monter la température… mais en plus elle là, son derrière ! sans Mme von Seckt elle se faisait lyncher… d’un mot le calme est revenu… nous repassons devant cette horde, masseurs, maîtres de bains, cuisiniers, clique bien sournoise, courbettepartout ! »
Eros et Thanatos rois du rire. Mais la demoiselle est une conquérante. Il poursuit :
«… en prenant ses bains, elle avait fait la conquête de toute l’Ambassade d’Allemagne en étape de repli vers Francfort… plus les croupiers de Monte-Carlo qui devaient ouvrir à Stuttgard une autre école, filiale d’ici… puisqu’elle n’avait plus d’officine, plus de maison, plus de grand-mère, plus que des voyous partout autour qui la recherchaient pour la scalper, la demoiselle, pas sotte, s’était rendue plus qu’aimable avec les messieurs des deux bords, croupiers gaullistes, nazis d’ambassades... toutefois peut-être un peu trop de croupe pour des gens jeunes et sur les nerfs… surtout du plongeoir !… la preuve, vous avez entendu cette basse bataille, entre les loufiats de Vichy « résistants occultes » au « Brenner » et les habitants de Baden-Baden, mutilés boches, boscos, tordus, des hôpitaux, qui venaient aussi à la piscine, s’offrir un « strip-tease » à l’œil… »
Les blessés et les mutilés accourent. Et comme un Guitry enfin décoincé, un Guitry en goguette enfin, on a Céline évoquant Monaco, casinos, croupiers, grand Reich, dans une grandiose brasserie verbale onirique-comique :
« Les mêmes croupiers qu’à Monte-Carlo, exactement… tous soi-disant « déportés »… les mèches gominées, les mêmes… nez busqués, les mêmes… smokings, poches cousues… comme à Ostende, Zopott, Enghien… des voix de couperets doux… « faites vos jeux »… en somme une seule nouveauté, rééducation de culs-de-jatte par les spécialistes monégasques… le Grand Reich pensait à tout… on lui trouve maintenant des défauts ! »
– Nicolas Bonnal – La vie est un pamphlet. Rire et transfiguration dans l’œuvre de Céline (AVATAR Editions)