Les Palestiniens, le Monde arabe & la Crise syrienne [2]
Un aspect de ce qu’on appelle de manière générique, la cause palestinienne est systématiquement ignorée par les media mainstream : leur implication, participation, voire leur intérêt pour des causes autres que la leur. D’où cette question qu’en est-il des Palestiniens & de la crise syrienne ? 2ème Partie.
« La donne est en train de changer au Moyen-Orient. Peut-être qu’une paix est possible en traitant ce conflit, qui est en fait bien plus que ça, autrement et en incluant l’Égypte et la Jordanie. C’est une nouvelle approche qui peut donner des résultats probants, en un mot apporter une paix durable si les Arabes jouent le jeu. On en est loin mais, en tous cas, ce qu’on voit se profiler incite beaucoup plus à l’optimisme que par le passé. Rien n’est joué et il ne faut certainement pas se bercer d’illusions, cette région est volatile ».
Eber Addad.
Et maintenant, où en est cette cause palestinienne ?
Jacques Borde. Maintenant, ça serait plutôt le ressac. La disparition progressive de ses dirigeants historiques Arafat, Habache, Hawatmeh (qui, eux-mêmes et leurs entourages, n’étaient pas parfaits), etc. a fait que le sort des Palestiniens repose désormais entièrement sur des nomenklatura prévaricatrices vivant, pour ainsi dire et faute de mieux, sur la bête.
Vous parlez de l’Autorité palestinienne ?
Jacques Borde. Non, pourquoi elle seule ? Que cela soit à Ramallâh ou à Gaza, les administrations se valent. Et, je dirais même (s’il fallait établir une échelle dans la corruption et l’infréquentabilité) que le Harakat al-Muqâwama al-‘islâmiya (Hamas)1 l’emporte largement face à l’As-Solta al-Wataniya al-Filastiniya (ANP)2 dans ces domaines.
À parler du Hamas, quid des Guerres de Gaza ?
Jacques Borde. J’ai toujours ressenti un curieux sentiment vis-à-vis de ces confrontations toujours recherchées par le Hamas, tout en sachant qu’il allait, militairement, les perdre, tant les disproportions entre les deux appareils militaires étaient flagrantes et impossibles à gommer. L’ANP a, au moins, compris les limites de ses forces et la nécessité d’épargner les populations civiles…
Pour quels enjeux alors, je suppose que vous avez bien une idée de ce qui pousse le Hamas à vouloir affronter si souvent un adversaire face auquel il n’a aucune chance de l’emporter ?
Jacques Borde. Je suis persuadé que le Hamas, un des pouvoirs les plus corrompus de la planète, se contrefiche du sort de ses administrés. C’est un pouvoir entièrement basé sur la prévarication, le détournement et la gestion d’un chaos ordinaire qui a besoin de la destruction comme d’autres ont besoin de la prospérité. Que lui importe l’économie, au sens classique du terme, Gaza vit des aides internationales. Et le Hamas ne fait rien d’autre que vampiriser les Palestiniens sous sa coupe.
Et, quelque part, c’est ce chaos lui-même qui est la meilleure garantie de sa pérennité ! Et quoi de mieux que cette via factis incessante pour y rester ?
Mais, c’est une survie. Pas une vie…
Jacques Borde. Bien sûr, mais les maîtres de Gaza s’en fichent comme de leur premier keffieh. Souvenez-vous des images de ces pontes du Hamas qui – au beau milieu de frappes israéliennes – étaient filmés goguenards, à… Dubaï avec à leurs côtés de jolies femmes, la jupe ras les fesses (photos à disposition, si nécessaire…). C’est sûr que ceux-là ont toujours de quoi prendre la vie du bon côté. Même si, parfois, le Mossad les ramène à une autre réalité.
Et le sentiment de porter des coups à l’ennemi ?
Jacques Borde. Oui, mais là encore quels coups ? Il faut voir les choses en face, enfin ! Tout le monde sait que les zones généralement atteintes par les missiles artisanaux du Hamas – ou des engins qui le sont moins, mais restent à courte portée – sont, la plupart du temps, des zones dortoirs où vivent des Israéliens (et des Arabes-Israéliens) peu aisés, voire pauvres ! Je me souviens, un jour, lors de la 2ème Guerre de Gaza, où interrogé par une chaîne locale sur sa résilience, un habitant de Sdérot avait répondu, d’un haussement d’épaules : « Où voulez-vous qu’on aille ? ».
Quelque part : des pauvres tuant d’autres pauvres ! Ou est l’intérêt stratégique ?
Quant aux pertes endurées par Tsahal, le Katā’ib Izz al-Din al-Qassam3 peut aligner autant communiqués de victoire (sic) qu’il le voudra : elles sont les plus faibles de toutes les guerres israélo-arabes ! Quant aux pertes civiles, jamais un ennemi d’Israël ne lui a causé aussi peu de dégâts humains et matériels de toute son Histoire ! Et, je veux dire par là que les coups portées par le Hamas ne conduiront jamais à aucun résultat géopolitique. On ne mène pas une guerre pour, simplement, tuer des ennemis. Il faut que les objectifs géostratégiques aient un sens. Quel est-il pour les Guerres de Gaza, si ce n’est d’assurer la mainmise du Hamas sur sa propre population…
Tester la machine de guerre israélienne ? L’amoindrir ?
Jacques Borde. Oui, mais là, désolé, ça a encore moins de sens…
Comment ça ?
Jacques Borde. Pour que cela soit admissible, il faudrait que les résultats de ces guerres soient plus équilibrés et mènent à quelque-chose. Or, il n’en est rien bien au contraire. Les pertes au combat de Tsahal n’affectent même pas la routine des unités déployées. Seules sont affectées les familles des soldats tués ou blessés. Mais en quoi cela a-t-il un impact géopolitique ou géostratégique sur Israël en tant qu’État et que première puissance militaire au Levant ? Une guerre, ce sont des buts de guerre.
En revanche, à chaque fois, les pertes essuyées par les Katā’ib Izz al-Din al-Qassam sont colossales. Entre les morts, les infirmes et les les blessés : plusieurs milliers de personnes à la vie brisée définitivement. Côté israélien : quelques dizaines au plus. Tuer pour tuer ! Quel intérêt ? Mais, ça n’est pas tout.
Vous savez, je suppose, qu’en Israël, le service militaire est de trois ans4. Les Guerre de Gaza, espacées de moins de quatre ans, auront, compte tenu du turn over des appelés, surtout permis à l’encadrement militaire de Tsahal, ses officiers et sous-officiers5, de garder une forte expertise du terrain. L’entraînement, c’est bien, indispensable même mais le combat, c’est mieux. Surtout si vous ne perdez pas une bataille !
Bien sûr, quand je parle des Guerres de Gaza, je veux dire, dans l’ordre, les campagnes militaires suivantes :
– 2008-2009 : Oferet Yetsukah, Opération Plomb durci (nom tiré d’une chanson pour Hanoucca) ;
– 2012 : ʿAmúd ʿAn’An, ou Opération Pilier de défense, Colonne de nuée, ou Colonne de nuages ;
– 2014 : Mivtza’ Tzuk Eitan, littéralement Opération Roc inébranlable, on y fait plus généralement référence sous le nom de Bordure protectrice.
Comparez avec la Guerre des 34 jours ! Celle face au Hezbollah. Combien d’officiers avaient encore une connaissance et de l’ennemi et du terrain libanais ?
En fait, les Guerres de Gaza n’affaiblissent nullement Tsahal, elles maintiennent et pérennisent sa maîtrise d’un terrain particulièrement difficile. Elles sont donc aberrantes, voire contre-productives, du point de vue des intérêts géostratégiques des Palestiniens que le Hamas prétend tellement avoir à cœur.
Vous ne parlez pas des pertes civiles ? Vous ne vous en souciez pas ?
Jacques Borde. Parce que vous croyez que la direction du Hamas, s’en soucie, peut-être ?
À quoi sont-elles dues selon vous ?
Jacques Borde. Oh, à deux facteurs essentiellement.
Primo. Le peu de cas qu’en fait le Hamas lui-même. Les civils tués6 sont pour lui un bonus au niveau de son discours : des martyrs. L’étude de plusieurs des batailles livrées par le Hamas a clairement démontré l’absence de toute volonté de mettre ses populations civiles à l’abri des frappes israéliennes. Bien au contraire. Idéologiquement, cela a d’ailleurs un sens, car excusez le terme, ça permet au Hamas de faire tourner sa boutique entre chacune de ces guerres.
Secundo. Une des grandes forces de Jérusalem est son expertise à conduire et à gagner des guerres courtes. Des guerres courtes mais extrêmement denses. Pourquoi ? L’ossature de son armée, c’est sa réserve mobilisable à tout moment. Mais des civils sous les drapeaux, c’est autant d’hommes et de femmes qui cessent de contribuer à l’économie du pays. Israël, si vous voulez, militairement c’est un peu Sparte dans la Silicon Valley ! De bons combattants, évoluant dans des matériels roulants optimisés pour la protection des personnels, dont le temps et le sang sont trop précieux pour être gaspillés dans des guerres longues comme celles d’Afghanistan et d’Irak.
Tsahal mène des guerres courtes et brutales, oui. Parce que :
1- c’est ce qu’elle sait le mieux faire. Comme on a la politique de ses moyens, Tsahal a les guerres de ses moyens militaires.
2- elle n’a guère le choix. La hiérarchie militaire israélienne qui, souvent, choisit de faire carrière politique est, de ce fait la moins coupées des réalités de la société civile7. Elle sait que des opérations s’éternisant seraient, par la force des choses, impopulaires et catastrophiques pour le pays.
3- cela lui réussit plutôt bien. On ne change pas un modus operandi qui a fait ses preuves.
Et, même lorsque cela ne se passe pas comme prévu initialement, on sait y parer. En 2005, Jérusalem a, soupesant le pour et le contre, choisi d’arrêter les frais avec le Hezbollah qui, de son côté, n’avait pas plus d’intérêt à prolonger la lice. Il faut toujours savoir arrêter une guerre. À comparer avec les engagements occidentaux…
Le Hamas, lui, n’a que l’intelligence de sa gestion du pire. Si l’on peut dire.
À vous entendre, le Hamas affaiblit la cause palestinienne plus qu’il ne la sert…
Jacques Borde. Pour conclure : Oui. Mais, vous savez, dans l’Orient compliqué, rien n’est fixé dans le marbre. Le Hamas a un nouveau boss à Gaza, Yahya Sinwar. Un dur qui est passé par les geôles de l’État hébreu.
Plutôt inquiétant, c’est ce que vous voulez dire ?
Jacques Borde. Justement, non. Souvent, ce sont les anciens radicaux qui sont les plus réalistes et les plus à même à imposer aux autres la voix de la paix.
C’est ce que semble croire notre confrère Avi Issacharoff lorsqu’il écrit qu’ « Il est pourtant possible que la considérable influence exercée par Yahya Sinwar, le nouveau chef du Hamas à Gaza, permette au groupe de revenir sur ces menaces sans être entraîné dans un conflit armé »8.
Alors, qui sait, la prochaines Guerre de Gaza ne sera peut-être pas pour tout de suite…
Notes
1 Ou Mouvement de résistance islamique, en français. L’acronyme signifie également zèle en arabe.
2 Autorité nationale palestinienne, et non seulement Autorité palestinienne, (AP) comme l’écrivent de manière systématiquement erronée la plupart des media.
3 Brigades Ezzedine Al-Qassam. Anciennement Al-Moujahidoun al-Philistiniyoun, les combattants palestiniens.
4 Deux ans pour les filles. Avec assouplissement pour certaines filières universitaires et les mères de familles.
5 La plupart des appelés sortent des drapeaux sous-officiers. Ce sont eux qui assureront, largement, la formations des levées montantes.
6 Fréquemment utilisés comme boucliers humains. Tactique copiée par les groupes armée takfirî : DA’ECH & co.
7 Tsahal dispose même d’une station radio, Galei Tsahal (surnommée Galatz). Un des plus écoutées du pays.
8 Times of Israel.