Face au Deep State & aux Faucons du Pentagone, que reste-t-il du Trumpisme jacksonien ? [2]
Alors que se multiplient les menaces à peine voilées à l’encontre de Damas & Moscou, & dans la foulée du débarquement dans la capitale russe du US Secretary of State, Rex W. Tillerson, posons-nous la question : Face au Deep State & aux Faucons du Pentagone, que reste-t-il du Trumpisme jacksonien ? En termes de relation internationales, probablement plus grand-chose. Hélas. 2ème Partie.
On dirait que, face à Trump, les Russes ont un peu de mal à suivre ?
Jacques Borde. Oui, effectivement. Mais ils ne sont pas les seuls. Comme l’a noté Spencer Ackerman, du Guardian, en à peine deux semaines, l’administration Trump aura défendu six (6) positions différentes sur la Syrie1 ! De quoi en déboussoler plus d’un. Donc les Russes comme les autres…
Position n°1 – jusqu’au 30 mars 2017, Washington considérait que Bachar el-Assad, élu par ses concitoyens, était légitimement au pouvoir. Position confirmée le 30 mars 2017 par l’ambassadeur US près l’ONU, Nikki Haley, qui indiquait que la priorité des États-Unis n’était plus de renverser le président syrien.
Position n°2 – les 5 et 6 avril 2017, Après l’attaque chimique dans la région d’Idlib, Trump et son Secretary of State, Rex W. Tillerson2, en attribuaient, sans en fournir le début de commencement de preuve, la responsabilité au même Bachar el-Assad estimant qu’il avait « franchi la ligne rouge » et devait partir.
Position n°3 – du 6 au 10 avril 2017, les vrais patrons des questions militaires, le National Security Adviser, le lieutenant-général Herbert Raymond McMaster3, et le US Secretary of Defense, le général (Ret) James Mad Dog Mattis4, ne s’intéressaient plus à savoir si Assad devait rester ou pas, mais se demandaient comment empêcher l’usage d’armes chimiques en Syrie et ailleurs. Compte tenu du fait que l’un des utilisateurs avérés de ces armes chimiques (sans doute du « bon travail », qui sait…) est Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām, je leur suggérerai bien quelques métastases takfirî à éradiquer séance tenante. N’en déplaise à Laurent Fabius et sa jolie médaille en chocolat…
Position n°4 – le 9 avril 2017, lors de diverses interventions, Rex W. Tillerson faisait marche-arrière toute et estimait que la priorité des États-Unis était de détruire Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)5. Le sort d’Assad ne serait envisagé que par la suite et avec la Russie. Point de vue confirmé par H.R. McMaster. Sauf que Nikki Haley déclarait pour sa part que les États-Unis avaient de « multiples priorités » en Syrie et que la paix ne pourrait y voir le jour avec… Assad.
Position n°5 – le 10 avril 2017, d’un côté, le White House Press Secretary6, Sean M. Spicer, indiquait que la décision de bombarder avait été prise à la fois à cause de l’attaque chimique et parce que Damas utilisait des bombes artisanales. De l’autre, James Mad Dog Mattis et le patron du US Central Command (USCENTCOM), le général Joseph L. Joe Votel, reliaient explicitement et exclusivement le bombardement de Chayrat à l’usage d’armes chimiques par Damas.
Position n°6 – le 11 avril 2017, à l’issue d’une réunion avec les ministres des Affaires étrangères du G7, Tillerson affirmait tout de go que la Russie allait devoir choisir son camp : avec Washington ou avec Damas.
Quant à Trump, son Deputy Assisant au National Security Council (NSC), Sebastian Lukács Gorka, d’affirmer que, malgré les apparences, le président « n’a pas changé » de position. Pas évident. Mais il est à noter que Gorka reste un des derniers partisans de la ligne que symbolisait l’éphémère National Security Adviser, le lieutenant-général (Ret) Michael T. Mike Flynn, au sein de l’administration Trump. Là, il prêche un peu pour une paroisse en perte d’influence auprès de Donald J. Trump…
Pas très clair en effet. Et, selon vous qu’en est-il réellement ?
Jacques Borde. Je pense que :
Primo. Un certain flou règne effectivement au sommet de l’administration Trump. Entre le pragmatisme propre à Donald J. Trump, l’effacement progressif de son Assistant to the President et White House Chief Strategist, Stephen Steve Bannon, et les négociations de couloirs entre différentes factions en lice à Washington, l’actuelle administration navigue largement à vue.
Secundo. À tout prendre ans l’actuel flou artistique qui prévaut sur les rives du Potomac, ce manque de clarté n’est pas sans avantage pour Trump et son équipe…
Comment cela ?
Jacques Borde. Si le quidam moyen n’y trouve pas son chemin, les adversaires de Trump pas davantage. Difficile de tenir efficacement tête à quelqu’un dont on n’arrive pas à deviner les intentions.
Et quand je parle des adversaires de Trump, je parle, bien sûr, des adversaires intérieurs comme extérieurs. Donc la diplomatie russe, du moins ce qu’il en reste…
Un peu étonnant et assez peu étonnant de la part du chef d’un État de cette envergure ?
Jacques Borde. Oui et non. Certes Trump a des allures d’OVNI politique avec cette manière d’agir. Mais il n’est pas le premier. Souvenez-vous changements d’humeur de Jacques Chirac sur ses positions proche-orientales et la position de la France sur tel ou tel vote aux Nations-unies.
Et suite au passage de Tillerson à Moscou, qui a marqué des points ?
Jacques Borde. Plutôt difficile à dire. Les deux camps sans doute. Mais, de mon point de vue, avec un avantage plutôt net aux Américains.
Qu’est-ce qui vous permet de dire ça ?
Jacques Borde. Certes, le US Secretary of State n’a pas mis à exécution certaines des menaces que lui prêtaient les media. Notamment sur le choix à faire pour les Russes entre le dégel avec Washington et leur soutien à Assad. Mais Tillerson n’a pas, non plus, fait de concessions aux Russes.
En revanche, Moscou s’est déclaré prêt à revenir à l’application avec les États-Unis du protocole concernant la prévention des incidents en Syrie. Cela sera possible si « l’objectif initial de la coalition internationale dirigée par les États-Unis et des forces aérospatiales russes est clairement confirmé, à savoir la lutte contre » DA’ECH et Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām7.
Ce qui, désolé de le dire, est loin d’être le cas.
Vous avez toujours fait part de vos doutes concernant l’engagement de l’administration Obama à combattre DA’ECH. Quid maintenant de Trump et des siens dont vous avez salué l’arrivée aux affaires ?
Jacques Borde. Par votre question vous levez plusieurs lièvres, si je puis m’exprimer ainsi.
1- Oui, j’ai, comme beaucoup, estimé que l’arrivée aux affaires de Trump pourrait apporter des changements appréciables dans la politique étrangère de l‘hegemon étasunien.
2- Oui, les premières passes échangées sur la scène de internationale avec Damas et Moscou, me laissent plus que sceptiques. A priori, éradiquer Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH), n’est plus la priorité première de la nouvelle administration.
3- Non, à ce stade, je ne vois pas de grands changements entre la via factis interventionniste d’Obama et celle de Trump. Pour l’instant, l’hegemon US reste l’hegemon US avec ses méthodes de brute, pour ne pas dire de voyou. Et un Hidden agenda encore à tirer au clair.
N’y a-t-il pas une forme de posture de la part de Trump dans ce que vous appelez la via factis opérée sur la Syrie ?
Jacques Borde. Forcément, un peu. Mais, à sortir les armes même pour des démonstrations de force, on prend toujours risque de ne pas les remettre au fourreau et de se faire dépasser par les événements.
Et le risque est bien réel ?
Jacques Borde. C’est là tout le problème. Même si, quelque part, ce qui vient de se passer était prévisible…
Qu’entendez-vous par là ?
Jacques Borde. Que Russes et Américains ont, quelque part, fait, ce qu’ils avaient à faire. Comme l’a expliqué le Pr. Hicham Mourad, de l’Université du Caire, « Washington, en prouvant au monde qu’il est toujours la première puissance mondiale, celle qui se positionne en défenseur des droits et des libertés et qui se doit de réagir. Moscou, en montrant aussi qu’il devait réagir, et ce, en annonçant la suspension de l’accord avec Washington sur la prévention des incidents aériens, signé en octobre 2015, et le renforcement des défenses antiaériennes de l’armée syrienne »8.
Donc tout cela ne serait que de la tension dialectique, selon vous ?
Jacques Borde. Oui et non, comme toujours. Certes, en prévenant la Russie de cette attaque, l’Administration Trump s’est livré à une frappe symbolique, à une démonstration de force assez bien cadrée.
Dans quel but ?
Jacques Borde. But du jeu, dans le sens du Grand jeu au Levant évidemment : faire comprendre à l’autre votre propre capacité d’intervenir, en Syrie, comme ailleurs. Et que cela pèsera dans les relations futures.
« Tout compte fait, à moyen et long terme, les États-Unis et la Russie n’entreront pas dans une phase de confrontation, malgré le climat actuel. Tous deux fonctionnent avec la même logique, le même principe selon lequel il n’y a ni ennemis permanents, ni alliés permanents, mais des intérêts qui priment », pronostique le Pr. Mourad. « Voyez ce qui s’est passé entre la Russie et la Turquie lorsque Ankara a abattu un appareil russe : une crise diplomatique aiguë qui s’est dissipée au point qu’ils sont aujourd’hui alliés, tout simplement à cause des intérêts. C’est la même chose entre Washington et Moscou. Vu que le plus important ce sont les intérêts communs, ils finiront par trouver un terrain d’entente d’autant plus qu’ils ont une vision commune pour pas mal de choses, notamment la lutte antiterroriste, une question prioritaire pour Trump, comme pour Poutine »9.
Et vous êtes d’accord avec cette analyse ?
Jacques Borde. J’aimerai la partager à 100%. Mais, ça n’est pas le cas.
Plus important : comment intégrer dans cette perspective d’entente russo-américaine, les tirs de BGM-109 Tomahawk et, en réponse, les interceptions prêtées aux Russes par certains analystes ?
Jacques Borde. (Sourire). Intégrer quoi à quoi au juste ? La seule chose qui soit avérée ce sont les tirs de la Navy. Pour l’instant, quant aux interceptions et brouillages prêtés aux Russes, rien ne permet à ce stade d’en attester la réalité.
Là encore, nous sommes, je le pense, au niveau du discours sous-tendant la tension dialectique entre ces deux-là. Mais, ne vous inquiétez pas, je compte y revenir sans un prochain entretien…
Notes
1 What’s Trump’s plan for Syria? Five different policies in two weeks, The Guardian (11 avril 2017).
2 Pdg du géant pétrolier ExxonMobil.
3 Director of the Army Capabilities Integration Center et Deputy Commanding General, Futures du US Army Training & Doctrine Command. Avait précédemment dirigé le Fort Benning Maneuver Center of Excellence et la Combined Joint Interagency Task Force-Shafafiyat de l’ISAF en Afghanistan. Très impliqué dans les Opérations Enduring Freedom et Iraqi Freedom, McMaster est l’auteur de Dereliction of Duty (1997), un des plus vives critique du haut-commandement US lors de la Guerre du Viêt-Nam.
4 Contrairement aux fantasmes colportés par les Démocrates et leurs relais divers et variés, Mattis est considéré comme un intellectuel par ses pairs, notamment en raison de sa bibliothèque personnelle comptant plus de 7.000 volumes. Il a toujours avec lui, lors de ses déploiements, un exemplaire des Pensées pour moi-même de Marc Aurèle. Le major-général Robert H. Scales le décrit comme « … l’ un des hommes les plus courtois et polis que je connaisse ».
5 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
6 Porte-parole de la Maison-Blanche.
7 Ou Front pour la victoire du peuple du Levant, ou de manière abrégée Front al-Nosra.
8 Al-Ahram Hebdo .
9 Al-Ahram Hebdo .