Voxnr – Emprise

Qui peut faire quoi au Levant ? Trump Vs la Vieille Europe en quelque sorte

Même si, à n’en pas douter la lutte contre la terreur takfirî est loin d’être terminée, les acteurs du Grand jeu au Levant se projettent déjà dans l’après-Guerre de Syrie. Certains avec lucidité & réalisme, avançant leurs pions sur l’échiquier régional, d’autres en prenant leurs fantasmes pour des réalités.

« La raison d’être du gouvernement, c’est qu’il gouverne, c’est qu’il prend des responsabilités. C’est qu’il fait des choix clairs. C’est qu’il est cohérent. C’est qu’il obéit à l’intérêt national, et non à la dernière pression qu’il a subie, à la dernière mode qui court dans les journaux. C’est qu’il n’est pas du sable entre les doigts ».
Charles de Gaulle.

Que pensez-vous de la volonté des Occidentaux de participer à la reconstruction de la Syrie ?

Jacques Borde. (Soupir) Classique. Mais c’est un peu le coup du pyromane qui propose qu’on le paye pour aider à rebâtir la maison à laquelle il a mis le feu et dont les cendres sont encore chaudes ! Bien tenté, mais je ne crois pas que cela soit très crédible.

Pourquoi dîtes-vous ça ?

Jacques Borde. Parce que cette prétention va se heurter à certaines réalités. La première étant que les Occidentaux – et tout particulièrement les Français qui, soit dit en passant, trahissent la Syrie depuis les années 30 – ne sont plus en odeur de sainteté à Damas. Or pour dégager la route aux corporate européens…

Pourquoi parler des Européens et eux seuls ?

Jacques Borde. Pour les raisons qui suivent :

Primo. Les Américains par leur position dominante au Levant arriveront toujours à se frayer une place au festin.
Secundo. l’OTAN n’est pas un acteur économique motu proprio.
Tertio. Otaniens ou pas, les Européens sont tenus à Damas pour des carpettes sur lesquelles les pétromonarchies takfirî du Golfe s’essuient les pieds.
Quarto. L’OTAN et les groupes terroristes takfirî ont échoué dans leurs plans à faire sauter  Bachar el-Assad. Or sur ce point, le président syrien se montre inflexible quant au rôle des uns et des autres dans ce qui sortira de la Guerre de Syrie.

À un journaliste belge qui lui demandait si l’UE et l’OTAN pouvaient contribuer à la reconstruction de la Syrie, Bachar el-Assad répondait au début février 2017 que « La vérité, c’est qu’ils soutiennent les groupes terroristes An-Nusrah et DA’ECH depuis le début, et ceux-ci ont toujours été extrémistes. L’UE et l’OTAN ne peuvent pas détruire et reconstruire en même temps. D’abord et avant tout, ils doivent préciser leur position envers la souveraineté de la Syrie et arrêter de soutenir les terroristes. À cette condition, le peuple syrien pourrait envisager la participation de ces organismes dans la reconstruction de leur pays ».

Et, à écouter tout ce qui se dit sur la Syrie sous les ors européens, nous sommes bien loin de ce compte-là !

Et pourquoi les Français seraient-ils particulièrement mal placés ?

Jacques Borde. La mémoire, d’abord ! Souvenons-nous du Sandjak d’Alexandrette arraché par la mala fides française à sa mère-patrie syrienne pour être donné au voisin turc. Nos hommes politiques ont complètement oublié cette page noire et indigne des relations franco-syriennes. Pas les Syriens !

Ensuite, il va bien falloir que nous payons un jour la facture de nos erreurs plus récentes au Levant, non ? L’administration Hollande a systématiquement fait le jeu des adversaires géopolitiques de la Syrie. Et n’ayant rien compris à rien, continue de le faire.

Qui a oublié Fabius soulignant combien le groupe nazislamiste Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām1 faisait « du bon travail ». Épisode encore rappelé2 par Marine Le Pen lors du débat sur la présidentielle du 20 mars 2017 !

Ah, si évidemment, Bachar était tombé ! Mais, raté ! Donc contrairement aux lubies qui animent Emmanuel Macron, j’ai bien peur que nous soyons out en Syrie. Et pour un bon petit moment…

Pourquoi parlez-vous de lubies ?

Jacques Borde. Parce qu’à l’évidence, Macron n’a pas plus compris ce qui se passait au Levant que Fabius, Hollande, Valls et consorts. Au lieu de tenter de réparer les dégâts de l’administration Hollande vis-à-vis du peuple syrien, il enfonce le clou fabiusien, si je puis dire ainsi, au plus profond des blessures de ce peuple, prétendant que « Ce qui s’est passé à Alep c’est évidemment une formidable défaite, je vous le dis très franchement, pour la France et pour l’Europe ».

Aveu qui vaut son pesant de baril de pétrole wahhabî ! Rappelons en effet à Macron l’étourdi que ceux qui ont perdu à Alep ce sont les hordes nazislamistes de An-Nusrah, DA’ECH et Al-Jayš al-Fateh (Armée de la conquête)3. De bien grands démocrates en vérité. Mais, Asinus asinum fricat : on a les amis qu’on se choisit…

Quant à affirmer que « Le fait qu’aujourd’hui la crise syrienne se gère avec essentiellement la Russie et l’Iran autour de la table n’est pas acceptable », le candidat du mouvement En Marche fait bien peu de cas des réalités géostratégiques du moment. Personne ne lui demande d’accepter (ou pas) ce qui se passe, d’ailleurs. Il n’existe tout simplement pas dans le grand jeu au Levant. En fait, tout le monde se contrefiche de la logorrhée ectoplasmique qui prévaut du Quai Conti au Quai d’Orsay. Paris, Hollandia regnante est devenu un non-acteur dans cette partie du monde. Comme l’a (entre autres) démontré sa psychédélique conférence sur la paix au Proche-Orient. Sans Israéliens ni Palestiniens !

Le candidat Macron, chargé de sauver du désastre la maison Hollande, avant de s’épancher ainsi sur la Syrie, aurait du relire de Gaulle qui disait que « La raison d’être du gouvernement, c’est qu’il gouverne, c’est qu’il prend des responsabilités. C’est qu’il fait des choix clairs. C’est qu’il est cohérent. C’est qu’il obéit à l’intérêt national, et non à la dernière pression qu’il a subie, à la dernière mode qui court dans les journaux. C’est qu’il n’est pas du sable entre les doigts ».

Mais vous pensez vraiment que les Américains sont toujours aussi incontournables dans la région ?

Jacques Borde. Oui, rien n’a vraiment changé. Sauf dans un sens qui conforte les États-Unis. Prenez, par exemple, les relations entre Le Caire et Washington, elles redémarrent comme jamais. Car, comme l’a indiqué Walid Kozaha, professeur de Sciences politiques à l’Université américaine au Caire, c’est bien la realpolitik qui dominera les relations égypto-américaines. « On est face à un nouveau chapitre qui s’ouvre dans les relations égypto-américaines privilégiant les intérêts communs aux désaccords politiques. Et par conséquent, la force des relations bilatérales dépendra proportionnellement des intérêts mutuels », estime Kozaha.

Dans cette équation, l’Égypte – qui d’ailleurs, ô hasard, est en train de renouer avec Damas – demeure, selon Kozaha, un pivot historique de la stratégie US au Proche-Orient, en raison de son rôle de médiateur dans le processus de paix, mais aussi son rôle incontournable dans la lutte antiterroriste.

Des rôles importants pour les intérêts militaires américains au Moyen-Orient. « En fortifiant le rôle égyptien dans la région, les États-Unis évitent une intervention américaine directe dans les zones de conflit dans la région arabe. Affaire qui arrange certes le président Trump qui veut se distancier des conflits régionaux », affirme Kozaha. Mais sans trop mette les mains dans le cambouis.

Donc Trump, lui, ne met pas tous ses œufs dans le même panier ?

Jacques Borde. La Syrie et/ou Israël ? Absolument pas. En clair, Américains et Égyptiens sont en train de remettre sur les rails leur coordination sur les questions militaires, politiques et diplomatiques. C’est dans ce contexte que l’administration Trump – a contrario de celle de B. Hussein Obama qui misait sur le pouvoir Morsi marionnette du controversé Jamiat al-Ikhwan al-Muslimin4 – veut ramener les relations égypto-américaines au niveau de celles qui prévalaient sous Moubarak.

Plus généralement, « Les États-Unis ont des constances qui ne changeront jamais. A titre d’exemple, tout en fournissant l’aide militaire à l’Égypte, ils ne lui permettront pas d’avoir la haute main sur la région au détriment d’Israël. De plus, les dons économiques seront limités sous l’Administration Trump », rappelle encore Kozaha.

Washington – profitant au passage des aléas du tête-à-tête russo-turc en Syrie – encore et toujours à la manœuvre au Levant. Compte tenu des nains géopolitiques européens s’agitant dans leur marigot méditerranéen, dépassés qu’ils sont par la crise migratoire instrumentalisée par Ankara et DA’ECH, le challenge est moins extraordinaire qu’il n’y paraît. Mais, en dépit de la trop courte parenthèse gaulliste, c’est comme ça depuis 1945

Notes

1 Ou Front pour la victoire du peuple du Levant, ou de manière abrégée Front al-Nosra.
2 Au grand dam du candidat officiel du PS, Hamon…
3 Coalition articulée autour d’an-Nusrah li-Ahl ach-Chām (Front Al-Nosra), le bras armé d’Al-Qaïda en Syrie. Se compose, pour être complet, de : Ahrār ach-Chām (Mouvement islamique des hommes libres du Cham), Jund al-Aqsa (Les soldats de Jérusalem), Liwāʾ al-Haqq, Jayš al-Sunna, Ajnad ach-Chām et de la Légion de Cham.
4 ou Association de la Confrérie des musulmans, autrement dit les Frères musulmans (FM).