Accueil FOCUS Analyses Astana VS Raqqa : Le choix du… Kremlin qui pourrait sceller le sort de la Syrie Une & Indivisible !

Astana VS Raqqa : Le choix du… Kremlin qui pourrait sceller le sort de la Syrie Une & Indivisible !

Alors que, côté russe, on s’enlise dans les discussions d’Astana avec de pseudos modérés (pourparlers qui, en toute objectivité, ne servent à rien); les Américains, en bon joueurs de poker, mettent (avec leurs alliés kurdes) le paquet à… Raqqa. But de ce gambit : prendre suffisamment de gages sur le terrain pour amputer la Syrie d’une partie de son territoire & faire de Bachar el-Assad, le président d’une Syrie a minima. Un jeu à multiples bandes qui, s’il pourrait marginaliser durablement les rêves néo-ottomans de Reccep Tayyip Erdoğan, risque aussi de favoriser la résiliences des groupes takfirî qui, rappelons-le, n’ont toujours pas face à eux le rouleau compresseur d’une seule et unique coalition. Seul outil à même de nous en débarrasser à jamais.

| Q. Les choses semblent aller vite du côté de Raqqa ? Faut-il s’en surprendre ?

Jacques Borde. À votre première question : Oui, tout à fait, les choses s’accélèrent. En fait, comme l’a écrit notre consœur, Leila Mazboudi, « La Coalition et ses alliés se préparent à conquérir la ville de Tabaqa, située à 55 km à l’ouest de la ville de Raqqa ».

Selon le porte-parole des Hêzên Sûriya Demokratîk (HSD)1, qui regroupent essentiellement les Kurdes du Yekîneyên Parastina Gel (YPG)2 mais aussi les Chrétiens du Mawtbo Fulhoyo Suryoyo3 et les Arabes de Jayš al-Thuwar4, l’opération « sera lancée dans quelques jours » et débutera par « la prise de l’aéroport militaire de cette ville qui sera réaménagée afin d’accueillir les troupes des FDS et les avions de la coalition ».

On le voit un engagement et des objectifs assez ambitieux, mais, semble-t-il, tout à fait à la portée désormais des milices acquises à Washington. Et, qui sait, réalisé pour l’essentiel à la parution de cet entretien.

À noter que tout ceci arrive juste après la poussée des forces spéciales US dans la province ouest de cette ville…

| Q. Mais que recherchent les Américains ?

Jacques Borde. Deux choses. Qui sont les deux revers d’une même médaille, en fait.

Primo. L’objectif est assurément militaire. De toute évidence, la manœuvre est destinée à couper net l’avancée vers Raqqa des troupes de l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)5 qui devaient entrer dans la province, à partir de l’ouest, après la prise du dernier fief de Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH), dans la province-est d’Alep, Deir Hafer – assiégée des quatre côtés depuis le 23 mars 2017 – puis de Masqanah.

Or, avant la progression des forces spéciales US la plupart des opérations menées par la coalition et ses alliés des FDS était plutôt localisées dans le nord et l’est de la province de Raqqa.

Secundo. L’objectif est tout aussi géopolitique. Ce transfert de la bataille vers l’ouest montre bien qu’il s’agit d’un message adressé au gouvernement syrien. À rappeler qu’un premier message avait déjà été envoyé à la fin du mois de février 2017, lorsque les Américains avaient bombardé (par erreur…) l’aéroport de Tabaqa et celui de Jarrah, situé lui dans la province est d’Alep.

« C’était comme si les Américains étaient en train de dessiner avec le feu les limites à ne pas franchir par les forces gouvernementales syriennes », a commenté, un brin désabusé, Al-Akhbar6.

On peut aussi y ajouter que l’objectif est, finalement, basiquement politique.

L’administration Trump qui vient d’encaisser deux revers en politique intérieure : la 2ème version du Terrorist Ban et le Trumpcare destiné à remplacer l’Obamacare. Se requinquer sur les questions de politique étrangère est une vieille recette que connaissent tous les hommes politiques. Souvenez-vous de l’aura de Margaret Thatcher à l’issue de la Guerre des Malouines.

| Q. Vous n’avez pas l’impression que les Américains alimentaient le doute sur leurs intentions en Syrie ?

Jacques Borde. Oui. Tout à fait. Mais pourquoi agiraient-ils autrement ? Où avez-vous vu qu’il est de bonne stratégie d’informer les autres parties à un conflit ou à une crise de la totalité de ses intentions ?

| Q.Mais, ne devait-il pas y avoir un rapprochement entre Russes et Américains sur ces questions ?

Jacques Borde. Si, justement. Ne confondons pas tout. Les Américains, en bon joueurs de poker, mettent (avec leurs alliés kurdes) le paquet à Raqqa. But de ce gambit assez audacieux il est vrai : prendre suffisamment de gages sur le terrain pour amputer la Syrie d’une partie de son territoire et faire de Bachar el-Assad, le président d’une Syrie a minima. Tout ceci n’empêchant pas, après coup de faire ami-ami avec des Russes affaiblis. Bien au contraire…

| Q. Et ça n’est pas un peu hasardeux comme stratégie ?

Jacques Borde. Si bien sur. Ce jeu à multiples bandes, assez classique d’ailleurs, n’est pas sans risque.

En effet, s’il peut fort bien marginaliser durablement Reccep Tayyip Erdoğan et ses rêves néo-ottomans, la manœuvre risque aussi de favoriser la résiliences des groupes takfirî qui, rappelons-le, n’ont toujours pas face à eux le rouleau compresseur d’une seule et unique coalition. Seul outil à même de nous en débarrasser à jamais.

Pour l’instant, à la fois l’administration Trump et les militaires – rappelons que Trump a, semble-t-il, décidé de laisser le US Secretary of Defense, le général (Ret) James Mad Dog Mattis7, gérer les questions militaires avec un certaine liberté de manœuvre – avancent leurs pions tout en brouillant les pistes.

À cette fin, le 22 mars 2017, le US Secretary of State, Rex W. Tillerson8 a mis l’accent sur la formation des zones sécurisées en Syrie. De son côté, un des porte-paroles du Pentagone, le colonel Joseph E. Scrocca, noyait le poisson, jurant ses grands dieux que l’armée américaine « n’avait reçu aucun ordre direct » en vue de « créer des zones sécurisées » en Syrie.

| Q. Tout ceci n’est pas un peu contradictoire tout de même ?

Jacques Borde. Oui, bien sûr. Mais c’est aussi le but recherché. À la lumière de l’accélération des derniers jours, cette contradiction dans les positions des uns et des autre sert bien évidemment d’écran de fumée. Il s’agit de gagner du temps. Quelque part aussi celui que les Russes perdent à négocier en pure perte avec l’opposition modérée (sic) à Astana. Alors que ce qui compte réellement se joue à Raqqa.

Pas seulement Raqqa d’ailleurs…

| Q. Que voulez-vous dire ?

Jacques Borde. Que la prise de Tabaqa par les Américains ne concerne pas seulement la province de Raqqa mais aussi celle de Deir Ez-Zor, frontalière avec le voisin irakien. Washington semble vouloir interdire à Damas de la reconquérir et, surtout, de reprendre le contrôle des frontières avec l’Irak. Une manière de mettre à mal la continuité de l’Arc chî’îte mis en place de Téhéran. Ce qui rejoint les positions qu’ont en commun le président américain, Donald J. Trump, et le Premier ministre israélien, Binyamin Nétanyahu.

| Q. Et tout ceci donne quoi ?

Jacques Borde. À l’heure actuelle, une partie de la frontière avec ce pays, celle du nord est entre les mains des kurdes, les proxies de Washington en quelque sorte. L’autre celle du sud, est entre les mains de milices soutenues par leurs Renseignements (depuis le passage de Tanef jusqu’à la province de Souweïda au sud de la Syrie). Alors que la partie centrale est toujours entre les mains d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH).

Si les milices kurdes pro-US conquièrent cette dernière, ce serait un coup dur, fatal peut-être, pour l’unité de la Syrie.

Et pendant ce temps-là, l’administration Poutine continue à enfiler des perles avec l’opposition (dite) modérée à Astana…

| Q. Les choses avancent aussi du côté de Mossoul ?

Jacques Borde. Oui, tout à fait. En neutralisant les attaques de DA’ECH dans la vieille ville de Mossoul, les forces irakiennes ont réussi à libérer 75% de l’ouest de la ville.

Le haut-commandement a d’ailleurs salué aussi le rôle des Hachd al-Chaabi (PMU)9 dans la Bataille de Mossoul.

Le numéro 2 des Hachd al-Chaabi, Abu Mahdi al-Muhandis, a également confirmé que la totalité des axes que contrôlait DA’ECH reliant Mossoul aux frontières syriennes avait été coupée.

Al-Muhandis a également indiqué que les Hachd al-Chaabi avaient fourni une aide non négligeable aux Irakiens déplacés ainsi qu’une aide en logistique, en soins médicaux et en génie aux forces armées irakiennes.

| Q. Et, ces avancées du côté de Mossoul, qui favorisent-elles géopolitiquement et géostratégiquement ?

Jacques Borde. Ah, les arcanes de l’Orient compliqué. En fait, personne et tout le monde à la fois. Sauf les Russes. Et encore…

| Q. Pas très clair, ce que vous nous dites ?

Jacques Borde. Parce ce que cela ne l’est pas. La libération de Mossoul relève d’un inextricable patchwork géopolitique ou pratiquement tout le monde a des pions : Irakiens, Iraniens, Américains. Donc, d’une certaine manière, tous ont des raisons de se réjouir des avancées obtenues sur le front de Mossoul.

| Q. Sauf les Russes ?

Jacques Borde. A priori, sauf les Russes. Sauf que l’Orient compliqué… En fait, même si Moscou n’a que peu d’éléments pour jouer sur le Front de Mossoul, le fait que les Hachd al-Chaabi (PMU) aient définitivement coupé les axes permettant à des éléments de DA’ECH de passer en Irak est un facteur-clé pour les Russes. Et pour Damas évidemment.

| Q. Et les Américains ?

Jacques Borde. C’est simple, si Mossoul tombe avant les derniers points forts de Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH), Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām10 et Al-Jayš al-Fateh (Armée de la conquête)11 en Syrie, la victoire géopolitique sera du côté de Washington et de Trump. C’est aussi simple que cela.

| Q. Et nous en prenons le chemin ?

Jacques Borde. Oui, Raqqa, Idlib, etc., sont toujours aux mains des terroristes takfirî et l’administration Poutine toujours englué à Astana à y poursuivre d’étranges chimères…

Vous connaissez, je suppose, la phrase de John Fitzgerald Kennedy : « La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline »12.

Notes

1 Ou Forces démocratiques syriennes (FDS) en français.
2 Unités de protection du peuple.
3 Conseil militaire syriaque.
4 Armée des révolutionnaires.
5 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
6 Journal libanais proche du Hezbollah.
7 Contrairement aux fantasmes colportés par les Démocrates et leurs relais divers et variés, Mattis est considéré comme un intellectuel par ses pairs, notamment en raison de sa bibliothèque personnelle comptant plus de 7.000 volumes. Il a toujours avec lui, lors de ses déploiements, un exemplaire des Pensées pour moi-même de Marc Aurèle. Le major-général Robert H. Scales le décrit comme « … l’ un des hommes les plus courtois et polis que je connaisse ».
8 Pdg du géant pétrolier ExxonMobil.
9 Ou Popular Mobilisation Unit/Unité de mobilisation populaire.
10 Ou Front pour la victoire du peuple du Levant, ou de manière abrégée Front al-Nosra.
11 Coalition articulée autour d’an-Nusrah li-Ahl ach-Chām (Front Al-Nosra), le bras armé d’Al-Qaïda en Syrie. Se compose, pour être complet, de : Ahrār ach-Chām (Mouvement islamique des hommes libres du Cham), Jund al-Aqsa (Les soldats de Jérusalem), Liwāʾ al-Haqq, Jayš al-Sunna, Ajnad ach-Chām et de la Légion de Cham.
12 Extrait de sa Conférence de presse du 21 avril 1961.

 

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