Accueil FOCUS Analyses Toutankhamon Vs ISIS ! & le Vainqueur des Présidentielles est…

Toutankhamon Vs ISIS ! & le Vainqueur des Présidentielles est…

En attendant que les élections italiennes & allemandes ne viennent clore le cycle de renouvellement des dream team du monde (dit) libre, que penser de celle qui vient de porter le très médiatique Emmanuel Macron à l’Élysée ? Entre un flou programmatique certain & une ambiguïté palpable vis-à-vis du fondamentalisme islamique, au mieux Emmanuel Macron chaussera les bottes de son prédécesseur, François Hollande, en matière de lutte contre la terreur takfirî ! C’est-à-dire ni mieux, ni moins bien que Vladimir V. Poutine & Donald J. Trump, qui, ni l’un ni l’autre n’ont jamais su se résoudre à poursuivre au sol l’hydre nazislamiste. Fatalitas & si, ajouté à la déflation continue des moyens (tant russes que français), le grand vainqueur des présidentielles, géostratégiquement parlant, était ISIS (DA’ECH dans son acronyme anglo-saxon) plutôt que le Toutankhamon qui nous a ébloui par son show au pied de la Pyramide du Louvre ?

Q. Dites-moi en matière de Défense, Macron-président se montrera-t-il aussi aussi innovant que le pronostiquait Macron-candidat ?

Jacques Borde. A priori, non, je le crains. Et c’est bien là toute la question !

Et ça n’est pas moi qui le dit, mais Challenges qui écrit notamment le que chef d’État-major des armées, Pierre de Villiers, « pourrait quitter ses fonctions en cas de victoire d’Emmanuel Macron, en raisons de divergences de vues budgétaires »1.

Et, surtout ce très macroniste magazine d’ajouter que « Soucieux de ne pas dépendre » que du ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, qui devrait conserver son poste, Macron« s’appuie aussi sur le général Pierre Mignot, ami de Ségolène Royal et de François Hollande »2.

Ségolène, Hollande et leurs amis dans l’establishment militaire. C’est sûr : tout ça sent bigrement le changement (sic) !

Q. Et en quoi ce choix n’augurerait-il rien de bon ?

Jacques Borde. Il est clair que lorsqu’on nous affirme que de Villiers a des « divergences de vues budgétaires » avec la dream team Macron, il s’agit, évidemment, de positions allant à l’encontre de la doctrine de déflation mise en place par les différentes administrations depuis des lustres. En cela, si Macron colle au plus près de ce que nous a fait Hollande pendant cinq ans, de Villiers est, de facto, plus proche des thèses défendues par le général (2 S) Vincent Desportes3.

Ensuite, entendre dire que Macron pourrait ainsi jouer Mignot contre Le Drian pour que (sans doute) ce dernier ne lui fasse pas trop d’ombre, n’a rien de bien rassurant dans notre pays qui a toujours vu dans la grande muette  (l’armée) sa plus commode variable d’ajustement des dépenses de l’État. L’armée va être ballottée aux milieux des querelles des appareils politiques et des querelles de personnes. Un peu comme Marion Le Pen (qui a fini par jeter l’éponge). Seule différence : la grande muette, elle, n’aura pas de possibilité de prendre du recul(en tant qu’institution). Sauf que passer au privé est, aussi, ce qui a mis à genoux l’armée britannique ! Ses cadres les plus solides (notamment au sein des SAS) ne renouvelant pas leurs contrats et passant massivement dans le privé…

Quant au général (de division, mais à la retraite) Mignot, pour être précis, il fut membre du cabinet de Ségolène Royal, alors ministre déléguée chargée de l’Enseignement scolaire.

Q. Mais, plus globalement, qu’est-ce qui vous inquiète ?

Jacques Borde. Ce que nous dit Desportes, très clairs dans ses avertissements.

Que « Depuis le Livre Blanc de 2013 et sa LPM [Loi de programmation militaire, NdlR], l’équation est la même : des moyens physiques alloués sous-dimensionnés par rapport aux missions théoriques, mais celles-ci très en deçà des menaces et des déploiements réels. Ainsi, malgré les demandes pressantes des hauts responsables, malgré leurs auditions très franches devant la représentation nationale, nos armées, asphyxiées chaque jour davantage, se sont usées en se consommant plus vite qu’elles ne pouvaient se régénérer »4.

Et en matière de bilan, le constat est encore plus terrible : « Certes », assène Vincent Desportes, « les troupes déployées bénéficient encore d’un entraînement performant et de moyens assez adaptés, du moins si l’on ignore la vétusté incroyable de certains équipements et les déficits capacitaires qui réduisent l’efficacité et l’autonomie de nos forces. Mais cette excellence ponctuelle s’obtient en sacrifiant le reste, comme si le fruit se rongeait de l’intérieur pour rester présentable sur l’étal des 14 juillet »5.

Et le général Desportes de conclure :

« Le Maréchal Foch rappelait dans son discours de réception au Palais Mazarin : ‘Un gouvernement ne peut avoir que la politique de son état militaire’. L’évident précepte est ignoré depuis cinq ans. En aval, un héritage désastreux : une spirale mortifère de suractivité, un mur de difficultés à venir sans résultat stratégique probant. Il aura fallu attendre les attentats de 2015 pour que le gouvernement se résolve à faire un geste symbolique, laissant d’ailleurs aux successeurs le soin de payer l’addition. La très insuffisante augmentation du budget 2017 (600 millions) est sans rapport avec les réinvestissements indispensables pour rééquilibrer l’équation moyens/missions. Et si chacun se réjouit de l’accroissement de nos exportations de matériels militaires, impliquant d’ailleurs un lourd accompagnement des armées, il n’a aucune retombée directe sur le redressement de ces dernières »6.

Q. Dites-moi : encore une fois, vous n’êtes tendre avec personne, Russes, Francais, Américains. Mais peut-on mettre les engagements russes et français sur le même plan ?

Jacques Borde. Selon les propres termes du chef d’État-major des armées (CEMA) russe,  le lieutenant-général Sergueï Roudskoï – qui, lors de la 6ème édition de la Conférence internationale sur la Paix sise à Moscou, s’est permis d’annoncer le retrait de la moité des aéronefs stationnés sur la Base de Hmeimim – « le nombre maximal d’aéronefs ayant participé aux frappes en Syrie, en soutien au régime de Damas et contre les djihâdistes, n’a jamais dépassé 35 »7.

Oui, vous avez bien lu : 35 appareils !

Et d’une manière plus générale, le ministère de la Défense russe de rappeler qu’ « il est impossible de combattre le terrorisme seul (…). Pour faire face aux menaces, des actions coordonnées et énergiques de l’ensemble de la communauté internationale sont requises »8.

En un mot comme en cent, dans la supposée guerre contre le terrorisme takfirî, la seule chose qui unisse les différents participants à cette guerre semble être leur art consommé à se renvoyer la balle, au lieu de s’engager massivement dans une Grande guerre patriotique comme celle qui nous unissait tous contre l’hitlérisme…

Q. Et, selon vous, ça n’est pas le cas ?

Jacques Borde. Vous voulez rire ? Je vais vous donner un petit exemple qui va vous éclairer :

S’exprimant à Malte, lors de l’Assemblée parlementaire sur la politique de défense européenne, le député (PS) Joaquim Pueyo9, repris par Nicolas Gros-Verheyde10, n’a pas mâché ses mots sur l’action de l’Union européenne au Sahel – vous savez cet endroit un peu lointain où les pays-membres de l’UE sont censés se donner la main (et nous aider nous Français qui sommes les seuls à réellement engager des troupes au sol) pour lutter contre la terreur takfirî et ses métastases ! –.

Or, Pueyo maîtrise bien sont sujet pour avoir été à Bamako l’année dernière « afin d’évaluer les missions EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali »11 dont l’objectif est la formation de l’armée et des forces de sécurité intérieure maliennes.

Et que nous dit-il ? Que « Même si l’implication de leur personnel doit être saluée, ces deux missions et en particulier EUTM Mali s’exercent dans un contexte juridique qui doit nous interpeller. L’UE ne peut juridiquement financer les dépenses militaires. Elle forme les soldats maliens mais ne peut leur fournir les armes et munitions nécessaires à leur entraînement »12.

Et, « Pire encore, une fois formés, ceux-ci rejoignent une armée malienne sans équipement, l’État malien n’ayant pas les moyens de les acheter. Le Mali mais aussi le Tchad ou le Niger, veulent des armes, des munitions, mais aussi des moyens de transmission, des véhicules blindés, des équipements de vision nocturne, etc. afin de combattre, avec les forces françaises de l’opération Barkhane, les groupes terroristes qui les menacent et nous menacent. Et l’Europe est incapable de les leur fournir »13.

Oui, comme nous le rappelle encore Joaquim Pueyo, « Sans aller jusqu’à fournir des armes et des munitions, il me semble nécessaire que l’Union finance certaines dépenses ayant un objet militaire. Pour ne prendre qu’un exemple édifiant, les trousses de premiers secours fournies aux militaires maliens dans le cadre d’EUTM Mali ont dû être payées par… le Luxembourg ! »14.

Après ça, étonnez-vous de la résilience d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)15, Al-Jayš al-Fateh (Armée de la conquête)16, Boko Haram et tutti quanti  !

Notes

1 Challenges n°520 (4 mai 2017).
2 Challenges n°520 (4 mai 2017).
3 ex-Commandant du Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF), ancien directeur de l’École de guerre (ex-Collège interarmées de Défense), Professeur associé à Sciences Po Paris, diplômé de l’US Army War College (équivalent US du Centre des hautes études militaires de l’Armée de terre).
4 Un désastre militaire, Vincent Desportes.
5 Un désastre militaire, Vincent Desportes.
6 Un désastre militaire, Vincent Desportes.
7 Air & Cosmos n°2546 (5 mai 2017).
8 Air & Cosmos n°2546 (5 mai 2017).
9 Notamment membre de la Commission de la Défense nationale et de la Commission des Affaires européennes, ainsi que président du Groupe d’études sur les prisons & les conditions carcérales.
10 Rédacteur en chef de Bruxelles2. Également correspondant UE/OTAN à Bruxelles pour Sud-Ouest et La Lettre de l’expansion. Auditeur de la 65e Session de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense nationale).
11 B2.
12 B2.
13 B2.
14 B2.
15 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
16 Coalition articulée autour d‘an-Nusrah li-Ahl ach-Chām (Front Al-Nosra), le bras armé d’Al-Qaïda en Syrie. Se compose, pour être complet, de : Ahrār ach-Chām (Mouvement islamique des hommes libres du Cham), Jund al-Aqsa (Les soldats de Jérusalem), Liwāʾ al-Haqq, Jayš al-Sunna, Ajnad ach-Chām et de la Légion de Cham.

 

Attachments

Consulter aussi

Nos ONG sont-elles (entre autres) la composante navale de DA’ECH ? [1]

Aquarius ou Cheval de Troie ? Deux thèses, désormais, s’affrontent quant à la nature de cet …