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Marseille : «Une nouvelle délinquance de survie liée à la pauvreté»
Article mis en ligne par la Rédaction |
Intérieur
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Onze personnes tuées par balles depuis le début de l'année. A Marseille, l'entrée dans l'année 2016 se fait un rythme des règlements de comptes.
Des meurtres souvent liés au trafic de drogue qui sévit dans la ville, notamment dans les quartiers nord.
Philippe Pujol a côtoyé ces quartiers pendant près de 10 ans pour son travail de journaliste au quotidien local «La Marseillaise». L'une de ses séries de reportages a été primée en 2014 du prix Albert Londres, récompensant le meilleur reporter de presse écrite. Si ses articles portaient le trafic de drogue, il a voulu dans son livre «La fabrique du monstre» raconter le système d'une «République malade».
Marseille souffre-t-elle toujours des mêmes maux ?
Philippe Pujol. Rien n’a vraiment bougé depuis longtemps. Ça a commencé dans les années 30, Simon Pierre Sabiani (ndlr : socialiste marseillais qui a fini par rejoindre le Parti populaire français) et ses hommes ont mis en place le clientélisme au Panier. C’est dans l’histoire même de Marseille, la ville fonctionne sur du clientélisme. Il y en a eu plusieurs, le clientélisme locatif quand il a fallu loger ceux qui revenaient d’Algérie, puis le clientélisme à l’emploi avec la crise du pétrole et aujourd’hui on est dans du clientélisme associatif et immobilier. La situation est figée, mais à la fois dynamique puisque cela s’adapte.
La violence n'est-elle pas plus forte aujourd'hui ?
Pas du tout, la violence existe à Marseille par vagues. On en a eu une au cœur des années 80, on a eu la tuerie du bar du Téléphone (ndlr : dix personnes tuées dans un bar, les coupables n’ont pas été retrouvés)…. Parler d’un banditisme d’antan qui serait plus beau, plus propre c’est du racisme post-colonial. On n’était pas autant focalisé là-dessus à l’époque parce que les classes populaires travaillaient et que les bandits avaient fait un choix de carrière. Maintenant on est plus inquiet parce que c’est des Arabes, mais le problème n’est pas ethnique, il est social. Aujourd’hui c’est de la délinquance de survie liée à la pauvreté…
Le préfet de police explique que les règlements de comptes en série sont liés aux démantèlements des réseaux…
C’est un ensemble. Depuis 2012 et l’arrivée de Jean-Paul Bonnetain il y a eu des progrès, même s'il a eu les moyens pour y arriver. Si tout n’est pas parfait, ça travaille mieux et des réseaux sont démantelés. En plus de cette pression, les clients ont tendance à fuir les cités, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a plus, et beaucoup de monde est en prison ou mort. On est dans une période de tension liée à une forte concurrence. Ces règlements de comptes ne sont pas une problématique policière, mais politique, il faut réussir donner d'autres vocations à ces dealers pour qu'ils n'aient plus envie de faire carrière dans le banditisme.
Comment en est-on arrivé à une telle situation dans ces quartiers ?
Par un clientélisme qui s’accroît. Plus les gens sont pauvres, plus c’est facile de les acheter. Les ghettos sont faciles à prendre par des élus qui veulent avoir une action dans ces quartiers, mais surtout se maintenir à leur poste. Résultat, les personnes des quartiers populaires n'ont pas d'espoir de s'en sortir et ne voient aucun avenir qui peut s'offrir à eux. Mais ce clientélisme touche toute la ville, y compris dans les quartiers sud où il est appliqué dans l’immobilier. Ça empêche la mixité. Tous les clientélismes ont leur zone et ils ne se concurrencent pas. Il faut les remplacer par de la justice sociale.
On a l’impression que c’est vendu comme faisant partie du «folklore marseillais»
Le slogan de dire « Marseille c'est pas pareil » permet de ne rien faire. Mais les personnes qui y ont des intérêts sont hyperactives pour que rien ne bouge. Si Marseille n’est pas une ville comme les autres, ce type de slogan permet de faire passer la pilule. Et sur ce point, je trouve les Marseillais un peu dupe.
Clientélisme, trafic de drogue, manque d’espoir… quelle est la recette pour inverser la tendance ?
Ce sont des problèmes qui touchent plus généralement la France. D’un point de vue politique, il faudrait en finir avec le métier de politique qui est un métier de lobbying. Il faudrait également encourager la citoyenneté. Quant à la législation du cannabis, il fait également penser au manque à gagner pour ces quartiers qui vivent du trafic. Il existera toujours de la contrefaçon. Et mettre de l’argent n’est pas une bonne option, il sera détourné. Mais je suis optimiste, seulement 5% des délinquants sont multirécidivistes. S'ils estiment ne pas pouvoir sortir de leur quartier, je pense qu'ils ont tort.
Pour reprendre l’expression du ministre de la Ville Patrick Kanner, est-ce que Marseille a ses « Moolenbenk » ?
C’est une labélisation que je n’aime pas, parce que chaque quartier à ses histoires et qui n’est pas sympa pour les gens de Moolenbenk qui sont sûrement des personnes qui galèrent. Pour Marseille, oui il y a du communautarisme, oui il y a du salafisme. Même si ce n’est pas mon domaine de compétence, je n’ai pas l’impression que les jeunes sont attirés par le djihad, ils aimeraient surtout avoir une existence au sein de la société. Et si ça passe par Allah, alors ils y vont. Bien sûr qu’il peut y en avoir un qui va déraper et être enrôlé, mais comme partout.
Les choses peuvent changer ?
Jean-Claude Gaudin est en fin de règne, le PS n’existe presque plus et le FN ne pourra pas, je pense, aller plus haut. C’est peut-être le moment que la société civile prenne le relais. Après l’exposition de la problématique des écoles, un collectif issu de la cité La Castellane a réussi à réunir tous les collectifs de la ville, ce qui n’était pas possible avant. On retrouve cette conscience commune avec la « Nuit Debout » qui se passe actuellement. Il y a de quoi faire, Marseille part de tellement bas.
Propos recueillis par Rémi Baldy |
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