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En Allemagne, le parti anti-euro AfD change de cap
Nathalie Versieux |
International
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La crise grecque aurait dû profiter à l’AfD. Ce petit parti anti-euro avait placé la fin de l’euro au cœur de son action politique. Mais miné par les querelles internes, l’AfD s’est donné ce week-end lors d’un congrès extraordinaire à Essen une nouvelle cheffe, Frauke Petry, qui a fait de la lutte contre l’immigration sa priorité.
L’AfD avait démarré sur les chapeaux de roue. Ce petit parti politique est né au printemps 2013 sous l’impulsion de Bernd Lucke. Ce professeur d’économie de l’Université de Hambourg, âgé de 56 ans, est un conservateur bon teint. Déçu de la démocratie-chrétienne depuis qu’Angela Merkel avait qualifié de «alternativlos» (sans alternative) les plans de sauvetage de la Grèce, il multiplie les recours contre la politique européenne de l’Allemagne devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe et prône la création d’un «euro du nord», autour de la République Fédérale, tandis qu’un «euro du sud» regrouperait les pays en crise autour de la France.
Lucke a des soutiens de poids. Il est entouré d’un réseau très actif de représentants des milieux d’affaires, notamment Hans-Olaf Henckel, l’ancien président de la principale fédération patronale allemande, le BDI. Parti de rien, l’AfD – Alternative für Deutschland – a vite des allures d’étoile filante de la vie politique allemande. A l’automne 2013, ses candidats ne ratent que de peu la barre des 5% et l’entrée au Bundestag. Aux européennes de 2014, l’AfD emporte 7% des voix et envoie 7 députés au Parlement européen. Suivent cinq succès aux élections régionales de Saxe (9,7%), du Brandebourg (12,2%), de Thuringe (10,6%), trois régions de l’ex-RDA puis à Brême et à Hambourg.
Paradoxalement, ce sont ses succès électoraux, notamment à l’est du pays, qui vont mener l’AfD à la crise actuelle. La tête de liste de Saxe, Frauke Petry, est devenue incontournable depuis qu’elle est devenue la première élue du parti en République fédérale, à la faveur des régionales. 40 ans, chimiste, femme de pasteur, mère de 4 enfants, créatrice d’une entreprise en faillite, elle a d’autres priorités que la lutte contre l’euro. Frauke Petry se bat contre l’avortement, pour la défense des familles, pour l’obligation de procéder à un référendum avant toute construction d’une mosquée, et «contre l’immigration sauvage».
Lorsque le mouvement anti-islam Pegida déferle sur sa région fin 2014, Frauke Petry est favorable au dialogue avec les figures de proue du mouvement. Elle se présente comme proche des préoccupations de la base, ne boudant pas une alliance avec l’extrême droite. Une attitude incompatible avec le positionnement bourgeois de Bernd Lucke, qui rêve d’une alliance avec la CDU et considère que les entreprises allemandes ont besoin de l’immigration.
«Lucke veut presque exclusivement se concentrer sur la critique de l’euro, mais ça ne suffit pas pour survivre politiquement, souligne dans le Spiegel Alexander Gauland, président de l’AfD dans le Brandebourg et favorable à Frauke Petry. Il veut exclure tous les thèmes qui nous ont conduits au succès lors des élections régionales, c’est-à-dire les craintes de beaucoup de gens face au nombre grandissant de réfugiés, la criminalité frontalière, la société multiculturelle.»
Frauke Petry critique la volonté de Bernd Lucke de rester focalisé sur la politique économique européenne de l’Allemagne, comme aux premières heures. Au bord de l’implosion, l’AfD n’avait d’autre choix que de trancher cette querelle des chefs suicidaires. Le parti, focalisé par ses tensions internes, a été incapable d’occuper le terrain lors des derniers rebondissements de la crise grecque. Au congrès extraordinaire d’Essen ce week-end, les militants ont confirmé la voie Petry, élue par 60% des délégués à la tête de l’Afd; contre 38% seulement pour Bernd Lucke.
Dans un sondage réalisé pendant le congrès, «l’immigration incontrôlée» était la première préoccupation des militants (29,2%) tandis que «la crise de l’euro» n’arrivait qu’en troisième position avec 20,3%. Ce virage à droite de l’AfD montre les limites de la démarche centriste imposée à la CDU par Angela Merkel, notamment en ex-RDA, où des mouvements comme l’AfD ou Pegida connaissent leurs plus grands succès.
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