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Le mal autrichien
Dalia Marin |
International
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L'Autriche souffre. Elle a été à deux doigts d'élire un président issu d'un parti xénophobe. Si l'immigration est peut-être une cause de la montée de l'extrême-droite autrichienne, elle peut également être une solution pour que le pays guérisse.
En mai dernier, l'Autriche a évité de justesse l'élection d'un président issu d'un parti xénophobe, le FPÖ (Parti de la liberté d'Autriche), qui conteste par ailleurs le résultat du scrutin . Etant donné le caractère inquiétant de cette contestation, ses conséquences en ce qui concerne l'Europe et le traitement de la crise des réfugiés, il faut identifier ce dont souffre l'Autriche, pour que le remède ne soit pas pire que le mal.
Il fut une période où on considérait l'Autriche comme l'un des pays européens au taux de croissance le plus élevé, le voisin le plus prospère de l'Allemagne. Mais depuis 2012 son économie montre des signes d'essoufflement. L'année dernière le taux de croissance de son PIB était de seulement 0,7%, devançant seulement la Grèce et la Finlande, tandis que son taux de chômage a fait un bond, passant de 5% en 2010 à 10% aujourd'hui.
Cette situation tient à la politique de l'Autriche à l'égard de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est après la chute du communisme. Au début elle a bénéficié de l'élargissement de l'Union européenne (UE) vers l'Est. Le commerce international s'est intensifié, les entreprises autrichiennes ont énormément investi dans les pays de la région, les banques autrichiennes y ont ouvert des succursales, ce qui a financé leur modernisation. Tout cela était bon pour les affaires, aussi l'économie autrichienne a-t-elle eu une croissance rapide.
Faible main d'oeuvre qualifiée
Mais une dynamique cachée y a mis un terme. Le revenu par habitant des pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est était faible, mais on y trouvait une main d'oeuvre qualifiée. Inversement, l'Autriche qui était plus riche ne disposait pas d'une main d'oeuvre aussi qualifiée. En 1998, 16% des habitants d'Europe centrale et d'Europe de l'Est (Russie et Ukraine incluses) avaient un diplôme universitaire, contre seulement 7% des Autrichiens.
Aussi, quand les entreprises autrichiennes ont investi en Europe de l'Est, ce n'était pas seulement pour bénéficier d'une main d'oeuvre non qualifiée bon marché, car elles y ont délocalisées les segments de la chaîne de valeur qui exigeaient une main d'oeuvre spécialisée et une recherche de qualité.
Entre 1990 et 2001, les filiales des entreprises autrichiennes en Europe de l'Est comptaient cinq fois plus de travailleurs diplômés de l'enseignement supérieur que leur maison-mère en Autriche et elles employaient 25% de chercheurs en plus dans leurs laboratoires.
La délocalisation de la recherche a affecté la croissance en Autriche et l'a dopée en Europe de l'Est. Or la recherche bénéficie au reste de l'économie, les nouvelles connaissances se diffusant dans le secteur commercial. C'est en partie grâce à l'exploitation du savoir des filiales autrichiennes installées chez eux que les économies d'Europe de l'Est ont eu une croissance rapide.
Aujourd'hui, à Bratislava, Prague et Varsovie - où se trouvent la plupart des filiales autrichiennes - le revenu par habitant est supérieur à ce qu'il est à Vienne, et ce depuis 2008 en terme de parité de pouvoir d'achat selon l'économiste hongrois Zsolt Darvas. C'est là une évolution remarquable, car durant des siècles Vienne a servi de référence à ces capitales.
Les raisons pour lesquelles la croissance de l'Allemagne n'a pas été aussi affectée :
1/ Après la chute du communisme, l'Autriche a réorienté ses investissements directs étrangers presque exclusivement vers l'Europe de l'Est, à hauteur de 90% - contre seulement 4% pour l'Allemagne dans les années 1990, et 30% au début des années 2000. L'Autriche s'est donc ainsi bien plus intégrée à l'Europe de l'Est.
2/ La main d'oeuvre qualifiée était plus nombreuse en Allemagne qu'en Autriche. En 1998, 15% des Allemands étaient diplômés de l'enseignement supérieur, plus du double du taux des Autrichiens. Les entreprises allemandes ont délocalisé à l'Est leur main d'oeuvre hautement qualifiée, mais moins que les entreprises autrichiennes. Les filiales allemandes installées en Europe de l'Est employaient seulement trois fois plus de travailleurs qualifiés et 11% de chercheurs en plus que leur maison-mère en Allemagne.
3/ Enfin, beaucoup de maisons-mères autrichiennes étaient elles-mêmes des succursales de firmes étrangères, alors que les sociétés allemandes étaient des multinationales qui transféraient leur culture d'entreprise à leurs filiales d'Europe centrale et d'Europe de l'Est. Elles employaient davantage de dirigeants allemands que de dirigeants locaux, ce qui leur assurait un meilleur contrôle de l'innovation. Par ailleurs, la plupart des investissements allemands étaient basés sur le transfert d'une technologie solidement établie ; seuls 8% des investissements directs étrangers dans la région incluaient des recherches de pointe.
Choisir une politique d'immigration sélective
De leur coté, les entreprises autrichiennes adaptaient leur activité au contexte régional et nommaient davantage de dirigeants locaux que de dirigeants autrichiens à la tête de leurs filiales. Aucun mécanisme ne garantissait que le savoir créé dans ces filiales parviendrait à leur maison-mère.
Si l'Autriche veut retrouver sa croissance passée, il lui faudra devenir un centre d'innovation attractif. Pour cela, les entreprises autrichiennes doivent recruter davantage de travailleurs hautement qualifiés dans ses laboratoires de recherche.
Dalia Marin est Directrice du département d'économie internationale à l'Université de Munich
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