De sérieuses études en Israël se sont penchées ces derniers mois sur le recours au double passeport, en particulier européen. Dont celle de l’université Bar-Ilan qui établit que, déjà près de 100 000 Israéliens possèdent un passeport allemand, auxquels s’ajoutent, chaque année, 7 000 nouveaux candidats.

Même constat pour la Pologne où plus de 10 000 passeports ont été fabriqués depuis 2004 dans l’unique région de Varsovie à destination de citoyens israéliens. Le consulat français de Jérusalem confirme aussi une intense production de passeports et les locaux étroits peinent souvent à contenir le flot de candidats. À tel point que certains
avocats israéliens ont choisi de faire de ce besoin leur spécialisation juridique.

À l’image d’Amichai Zilberberg qui concentre son activité de conseil sur l’acquisition de passeports polonais : « Rien que cette année, plusieurs centaines de personnes sont venues me consulter. C’est un vrai phénomène », explique-t-il.

Comment expliquer cet intérêt ? Faciliter les voyages à l’étranger (plus limités lorsqu’on possède un passeport israélien), saisir des opportunités professionnelles ou académiques… Mais il révèle aussi une forme de crainte existentielle, un sentiment central de la psychologie israélienne. Le phénomène du double passeport n’est pas complètement nouveau. Il remonte aux temps de la seconde Intifada, véritable «
tournant psychologique », selon le professeur Oudi Lebel, spécialiste de la société israélienne au centre universitaire d’Ariel en Cisjordanie.

Mais le message envoyé par l’acquisition d’un second passeport a radicalement changé en dix ans. « Dans les années 2000, lors des premières vagues d’attentats-suicides, la ruée vers une seconde citoyenneté était une manière d’interpeller le gouvernement, analyse
Oudi Lebel. Le message était le suivant : “ Vous n’assurez plus ma sécurité. Voyez ce que vous m’obligez à faire : je vais devoir revenir en Europe, dans le pays que mes parents ont quitté – comme l’Allemagne ou la Pologne – où justement ils ne se sentaient plus en sécurité. Et je reviens aujourd’hui au même point”. »

L’avertissement est sévère puisque, dans la psychologie israélienne, Israël n’est pas seulement perçu comme un État, mais aussi comme un refuge, le remède, justement, aux craintes existentielles du peuple juif.