En France, dans la panique causée par la pandémie, des observateurs mal avertis ou mauvais connaisseurs de l’histoire, empressés à comparer le présent au passé, n’ont pas manqué d’assimiler la période que l’on vit à la Première guerre mondiale. Ce qui n’a bien sûr aucun sens et ce qui démontre même un manque de respect envers tous ceux qui ont été, ou se sont volontairement, sacrifiés en 14-18.
Mais si l’on veut faire image à tout prix, c’est avec la déroute militaire de 1940 que l’analogie fonctionne le mieux : même imprévision, même impréparation, même incompétence et même débandade. En effet, si l’on assimile le virus à l’ennemi de l’époque, il est évident que l’on ne l’a pas vu ou pas voulu le voir venir, qu’on l’a sous-estimé, que l’on a lamentablement subi son assaut, et que pour terminer on aura connu à l’instar de l’Occupation hier, le désarroi aujourd’hui, et la déroute économique demain.
Pourtant, étant donné la libération sans limites des échanges et la circulation sans contrôles sanitaires sérieux des marchandises et des êtres vivants, il fallait bien s’attendre (et plusieurs études scientifiques, dont une de l’ONU, avaient tiré la sonnette d’alarme) à ce qu’un virus comme la Covid 19 se répande depuis la Chine jusqu’en Europe. Pour les mêmes raisons qui ont fait qu’avant lui le frelon asiatique est venu chez nous détruire nos abeilles (même s’il n’est pas le seul responsable de ce vrai désastre écologique- car celui-là en est un), ou qu’un autre insecte asiatique a commencé à ravager nos oliveraies méditerranéennes. C’est la rançon du système ultralibéral ! Bien entendu, cette imprévision est à mettre en relation avec l’idéologie béate de la mobilité généralisée, réputée bienfaitrice par elle-même.
L’impréparation est le pendant obligé de cette imprévision, mais elle a été, en France aggravée, ou plutôt prolongée et devenue répétitive (masques, tests, et maintenant vaccins), par la lourdeur et la centralisation administratives. C’est que les instances, sanitaires bien entendu mais logistiques également, qui sont destinées par nature à combattre un fléau tel que celui de la Covid, ou qui sont susceptibles de participer à la lutte, comptent souvent plus d’effectifs dans leurs bureaux que sur le terrain, et fonctionnent selon une verticalité qui freine la décision et l’action à chaque étage. Le plus flagrant dans cette vacance générale est la création quasi nulle de lits et de centres d’hospitalisation en 2020, durant l’intermède des deux vagues d’infection qui ont été celle du printemps et celle de l’automne.
Quant aux dirigeants français, dont on ne dira pas qu’ils sont plus incompétents que ceux qui auraient pu être à leurs places, ils ont été, comme beaucoup d’autres ailleurs dans le monde, pris de court par le caractère inédit de l’épreuve. Néanmoins, leurs hésitations, leurs ordres et leurs contre-ordres, et certaines de leurs consignes ne les honorent pas. Ils font trop penser au général Gamelin ,le chef de l’Etat-major des armées françaises en 1940, qui avait ordonné à ses fantassins de creuser un trou individuel pour s’y abriter ou de faire des rideaux de fumée quand ils auraient à affronter les chars ennemis.
La crise sanitaire actuelle ouvrira-t-elle les yeux des Français et des Européens, en les faisant sortir du rêve éveillé qui est le leur depuis des décennies pour revenir à cette réalité qui veut que l’histoire soit tragique ? Car s’ils demeurent dans leurs expectatives universelles, tout en érigeant le bonheur individuel, au prix de toutes les dérives individuelles et sociétales, en but ultime, les choses se passeront pour eux tous, dans quelques décennies, « comme en quarante », c’est-à-dire qu’ils découvriront brutalement une réalité qu’on s’est efforcé de ne pas voir et que l’on ne s’est pas préparé à affronter. A savoir qu’en se refusant eux-mêmes à leur unification, alors que le repli américain est inexorable en dépit des dénégations de Biden vers lequel les dirigeants de l’Europe se précipitent comme vers un sauveur, et en continuant à croire qu’ils désarmeront toute adversité grâce au culte partagé de leurs droits individuels, les Européens vont se retrouver par des canaux différents et des modalités diverses, et selon des intensités variées, tantôt sous la domination ou la dépendance chinoise, tantôt sous l’influence musulmane par le biais des diasporas et de la finance, ou sous les deux à la fois.
On peut craindre qu’au lieu d’une prise de conscience, la crise que l’on subit ne précipite la décadence. Le souci de la préservation des acquis d’une population vieillissante semble l’emporter sur toutes autres préoccupations. C’est ainsi que la France vient d’emprunter pour la quatrième fois à une échéance de cinquante ans, soit au total une dizaine de milliards d’encours. On préfère faire financer la lutte contre le virus par les jeunes générations qui rembourseront la dette (sauf à ce qu’une crise financière et monétaire accompagnée de dévaluations en chaîne ne les en libèrent) plutôt que de piocher dans les grosses épargnes de ceux que l’on soigne ou que l’on protège (la France disposerait d’une épargne globale estimée à plus de 15 000 milliards d’euros). On hypothèque l’avenir alors que le besoin d’investir dans les domaines scientifique, technologique, industriel et militaire n’a jamais été aussi pressant, si l’on veut pouvoir faire face à un monde en train de rapidement se transformer, et pas dans la direction où nos élites ont crû si longtemps qu’il allait (et « devait » aller selon elles). Espérons que les « peurs obsidionales » dont s’émeut Emmanuel Macron entraîneront un réveil qui permettra d’éviter que ce ne soit pas pire en 2040 qu’en 1940.