Günter Maschke, né en 1943 à Erfurt, a grandi à Trêves, a étudié les sciences commerciales en 1964/66 puis est devenu rédacteur de " Notizen ", journal de la communauté étudiante de Tübingen. En 1967, il organise à Vienne en Autriche les groupes de l1opposition extra-parlementaire. A partir de 1968, il vit un exil à Cuba. Deux ans plus tard, il est expulsé de La Havane pour " activités contre-révolutionnaires ". Depuis lors, il est écrivain et précepteur privé à Francfort en Hesse. En 1990 et 1992, il a été invité comme professeur à l1Académie militaire de la Marine à La Punta au Pérou. Günter Maschke a publié une quantité d1articles et d1essais pour divers journaux, pour la radio et des revues scientifiques. Il focalise ses réflexions autour des |uvres de Juan Donoso Cortés et de Carl Schmitt. Ses auteurs français préférés sont : Joseph de Maistre, le Vicomte de Bonald, Charles Maurras, Georges Sorel, le juriste Maurice Hauriou, sans oublier Julien Freund, dont il était l1ami. Il a édité la première traduction allemande de Un homme à cheval de Pierre Drieu La Rochelle.
Q. : Monsieur Maschke, Gregor Gysi, chef des néo-communistes allemands, a déclaré que l1Allemagne avait mené une guerre de pure agression contre la Serbie. A-t-il eu raison de parler ce langage fort ?
GM : Oui. Absolument. En règle générale, il est difficile d1expliquer les raisons qui déclenchent une guerre d1agression entre deux Etats. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, le territoire allemand n1a subi aucune agression ; dès lors, le paragraphe 26 de la Loi fondamentale doit être respecté : il interdit à l1Etat allemand de déclencher une guerre d1agression. Mais cette guerre contre la Serbie suscite d1autres problèmes d1ordre juridique. Cette intervention a clairement violé la Charte des Nations-Unies. Dans l1article 2, alinéa 4, il est stipulé que les membres des Nations-Unies doivent s1abstenir de recourir à la violence ou de menacer de violence d1autres Etats. Cette règle s1applique aux relations inter-étatiques, mais non pas aux querelles intra-étatiques ou aux situations de guerre civile. Ensuite, il me paraît important de signaler que le Traité de l1Atlantique Nord a également été enfreint. Il n1autorise que la défense, au cas où l1un de ses signataires venait à être attaqué. Or, aucun membre de l1OTAN n1a été attaqué. Je rappelle aussi que le serment que doivent prêter les soldats allemands pose également un problème juridique et éthique, car nos soldats ne doivent offrir leur vie que pour la seule défense du territoire de la République Fédérale d1Allemagne. Toute intervention en dehors de ce territoire ne peut se faire dans le cadre d1une belligérance effective ou larvée. Même si l1ONU avait légalisé l1attaque de l1OTAN, le problème resterait identique pour les soldats allemands, car le pacte de l1Atlantique Nord n1est nullement une organisation régionale comme l1est par exemple l1OSCE. En fait, l1OTAN ne peut pas agir à la demande de l1ONU : la procédure légale veut que l1OSCE elle-même mette des troupes sur pied de guerre (ndt : ce qui implique une participation russe, biélorusse, ukrainienne, etc., ce que les Américains ne pouvaient accepter).
Q. : Certes, mais vos contradicteurs objecteront que vous discutez ici sur un plan strictement formel. Pourquoi pensez-vous qu1on ne puisse pas traiter ces questions de droit avec autant de légèreté ?
GM : Evidemment, on peut contester le droit international moderne sur le fond. Je le fais également.
Q. : Pourquoi ?
GM : Parce que le droit international moderne facilite les interventions militaires ! Je reproche à ce droit de prendre très à la légère toutes les formes d1immixtion, qui, pour lui, sont praticables (ndt : pour des raisons soi-disant " morales "). Mais l1entorse que l1OTAN a infligée au droit international, au cours de ce printemps, détruit ipso facto les assises mêmes de ce droit international, parce que cette entorse dérive de fait d1une logique de continuité, c1est-à-dire d1une radicalisation outrée de ce droit. S1il n1existe plus aujourd1hui de barrières juridiques pour une intervention, alors nous sommes dans l1arbitraire pur, qui peut s1assimiler à une anarchie internationale. Dans l1avenir, tout le monde pourra intervenir où bon lui semble, en se référant à des entorses réelles ou imaginaires à l1encontre des droits de l1homme. Ceux-ci ne serviront plus que de simple camouflage aux intérêts impérialistes.
Lorsque je possède assez de puissance pour me permettre des interprétations et que j1étaye mes arguments par une force militaire crédible, capable de parfaire l1intervention souhaitée, alors je peux imposer partout dans le monde ma volonté politique. Cela nous conduira à terme à un nihilisme juridique étonnant. Quoi qu1il en soit, le droit international n1est pas le facteur le plus important dans l1élaboration d1une théorie des relations internationales. Les conséquences sur le long terme pour les relations inter-étatiques ne sont toutefois plus prévisibles. Sur ce point, je donne raison à Gysi sur toute la ligne.
Q. : Pourquoi les hommes politiques estiment-ils si important d1éviter de prononcer le mot " guerre " ; pourquoi parlent-ils de " mesures de paix ", d1une " intervention ", etc. dans un langage que nous qualifierons d1orwellien ?
GM : Parce que la Charte de Nations-Unies bannit explicitement la guerre ! Si je reconnais l1état de guerre, cela entraîne beaucoup d1implications en droit économique, dans le droit des gens et dans le droit des assurances. Ce tabou a ses raisons pratiques, parce que le droit des gens (le droit international) repose sur le refus de la violence, sur l1interdiction de la guerre (comme moyen du politique). On ne veut pas s1entendre dire que l1on redonne à la guerre un statut légal ni que la guerre et la paix sont des concepts qui sont toujours en étroite corrélation.
Q. : Nous devons donc parler de la " Guerre du Kosovo "S
GM : Bien sûr ! La guerre se définit comme une confrontation armée entre deux parties combattantes. Il existe aussi des théories qui disent que seule la volonté de l1une des parties suffit, pour constituer une belligérance, une guerre. Bien sûr, le conflit qui a secoué les Balkans était une guerre. L1histoire des guerres nous apprend aussi que la guerre peut prendre des formes très différentes. " La guerre est un caméléon ", disait Clausewitz. Il est aussi intéressant de noter que le bon sens reprend le dessus et que les gens, dans la rue, dans leurs conversations, parlent ouvertement de " guerre ".
Q. : Au début des années 90, vous avez critiqué très durement la modeste participation allemande à la guerre du Golfe, lancée et voulue par les Américains. En quoi, essentiellement, la guerre contre la Serbie se distingue-t-elle de la guerre contre l1Irak ?
GM : D1abord, la guerre contre la Serbie est une guerre européenne. La guerre du Golfe a servi à empêcher la création d1un grand espace autonome arabe anti-américain. Elle a été menée en tenant compte, bien entendu, des intérêts d1Israël. Aujourd1hui, dans la guerre contre la Serbie, le triste bilan est le suivant : l1Europe s1avère incapable d1empêcher une intervention américaine en Europe ! Pire : l1Europe participe à l1intervention américaine, en tant que partenaire mineure, que vassale. Les intérêts américains sont très clairs : ils veulent qu1advienne à terme une Grande Albanie et qu1un flot de réfugiés se répande en Europe. Ces réfugiés constituent un certain danger pour l1Europe (notamment parce qu1il y a parmi eux des mafieux réels et potentiels) et joueront, s1il le faut, le rôle d1une cinquième colonne à la solde des Etats-Unis. Et nous, Allemands, soutenons ce processus dangereux, ce que je trouve tout de même complètement surréaliste !
Q. : L1idée d1actions punitives perpétrées par l1arme aérienne est aussi ancienne que la " Société des Nations " (née après 1919)S
GM : L1idée s1est développée progressivement ; il fallait inventer une sorte de " police aérienne " dans le cadre de la Société des Nations. L1exemple le plus probant est celui de la Grande-Bretagne, qui a réussi ce projet de " police impériale " et perpétré de telles actions punitives (ndt : notamment contre les Kurdes de la région de Mossoul en Irak, bombardés par des projectiles de gaz moutarde lancés par des appareils de la RAF). Mais au départ, c1était une idée française de créer une police internationale faisant usage de l1arme aérienne. En Italie également, le théoricien de la guerre aérienne, le Général Douhet, pensait qu1en frappant quelques coups au départ d1aéronefs contre la capitale de l1ennemi, on allait contraindre l1adversaire à ployer les genoux. L1idée-force de la guerre aérienne, après les grandes batailles terrestres de la première guerre mondiale, était de limiter l1ampleur de la guerre et de la rendre contrôlable. Cette idée a joué un certain rôle lors de la fondation de l1ONU. On a parlé d1intégrer les forces aériennes, ce qui ne s1est toutefois jamais passé. Sur le plan des principes, cette idée peut s1assimiler à la pratique d1organiser des blocus maritimes, mise en |uvre au XIXième siècle. Cependant, il faut relativiser : l1idée d1une police aérienne ne tient pas assez compte des limites de l1aviation militaire. Car finalement, il faut toujours, à terme, se poser la question : quel ordre politique faudra-t-il restaurer ou instaurer sur le sol ?
Q. : En Allemagne, comme dans le reste de l1Europe, on parle de " catastrophe humanitaire ", ce qui s1est effectivement produit, nous ne le nierons pas. Cette catastrophe est une honte. Mais, jusqu1ici, de telles catastrophes n1ont jamais induit des forces internationales à intervenir. Par conséquent, nous pouvons dire qu1il existe des intérêts géopolitiques au-delà du discours et de la pratique " humanitaires "SLesquels ?
GM : Je pense qu1il s1agit ni plus ni moins du contrôle de l1Europe par les Etats-Unis. Si quelqu1un devait intervenir au Kosovo, c1était l1Europe ! Mais, c1est bien connu, les Européens ne sont pas unis. Notamment parce que Londres et Paris semblent considérer que l1Allemagne doit rester un Etat faible. Raison pour laquelle Français et Britanniques jouent la carte américaine. Ils pensent aussi faire valoir au sein de l1Union Européenne des intérêts purement nationaux. Si nous, Allemands, voulions au contraire faire valoir des intérêts européens, nous devrions tout faire pour éloigner les Américains de ce conflit. En réalité, nous sommes le ventre mou de l1Europe qui permet toutes les interventions militaires et les pénétrations de tous ordres en Europe. Dans ce contexte, nous devons également interpréter l1élargissement de l1OTAN en Europe orientale. L1Allemagne, dans ce processus, est le vassal favori des Etats-Unis, qui plus est, un vassal qui ne tire aucun profit de l1intervention.
Q. : Revenons aux conflits qui ont abouti à l1éclatement de la première guerre mondiale ?
GM : Les Balkans n1ont été pacifiés que sous la houlette de puissances hégémoniques, qui disposent aussi de bases concrètes, humaines et militaires, dans la région elle-même. Ces puissances étaient jadis la Russie, l1Autriche-Hongrie et le Reich allemand. Mais les racines du conflit actuel se trouvent dans le Traité de Versailles. Que ce soit l1Irak ou la Yougoslavie, les deux conflits trouvent leurs racines dans les aberrations du Traité de Versailles et sont donc des conséquences de la première guerre mondiale (et non pas de la seconde). A cette époque, on a élaboré un droit des gens qui ressemble à celui qui est en vigueur aujourd1hui. Même l1entorse récente à ce droit des gens s1inscrit finalement dans la continuité même de ce droit des gens. Plus nous allons de l1avant, plus nous nous éloignons du juste point de vue.
Q. : Y a-t-il des parallèles à tracer entre l1éclatement de la première guerre mondiale et la constellation actuelle des puissances ?
GM : Non, il manque un adversaire suffisamment puissant et une extension générale du conflit à la planète entière. Certes, le conflit pourra avoir une certaine extension locale ou régionale, mais je ne crois pas qu1il puisse conduire à une guerre mondiale.
Q. : Les Etats-Unis, en téléguidant l1intervention de l1OTAN, ne poursuivent-ils pas l1objectif de chasser définitivement la Russie hors d1Europe ?
GM : Certainement. Cette idée cadre bien avec l1élargissement à l1Est de l1UE et de l1OTAN. Quant à nous, les Allemands, nous nous sommes encerclés nous-mêmes et nous ne pouvons plus faire appel à l1alliance russe, qui nous a souvent, au cours de l1histoire, tirer de mauvais pas. Quant à la Russie, elle pourra peut-être se renforcer. Nous n1avons pas fait là un coup de maître !
Q. : Une initiative germano-russe pour pacifier le Kosovo et pour discipliner les Serbes n1aurait-elle pas eu du succès ?
GM : Ce que vous dites là ressemble à de la science-fiction. Dans un tel contexte, il faut réfléchir au pouvoir que détiennent réellement le gouvernement allemand et les hommes politiques de notre pays. On parle toujours de " prendre ses responsabilités " et de " devenir adultes ". Cela signifie pourtant que nous devrions abandonner notre abstinence et notre timidité politiques, notre " impolitisme " dirait Julien Freund. Nous sommes devenus des suiveurs et des vassaux. On l1a déjà vu lors de la Guerre du Golfe. " Devenir adulte " signifie, pour nos hommes politiques, nous immerger dans les intérêts étrangers, hostiles à notre déploiement. Ce ne devrait en aucun cas être le but de la man|uvre.
Q. : Quels effets sur les rapports de force aura cette première vraie guerre sur le sol européen depuis 1945?
GM : D1abord, premier effet, nous aurons une présence durable des Etats-Unis en Europe. Ils commenceront par favoriser le processus d1unification européenne, et, ainsi, l1Europe deviendra une gigantesque sphère de pénétration économique américaine, sans plus aucune frontière. Cela signifiera que la Russie devra se choisir de nouveaux partenaires, la Chine ou l1Inde. On pourra certes " couillonner " la Russie en lui coupant certains crédits, mais cette pratique rencontrera rapidement ses limites.
Q. : Avec l1introduction de l1Euro, l1Europe deviendra rapidement le concurrent le plus dangereux des Etats-Unis. Par la guerre du Kosovo, l1Europe sera-t-elle à terme mise hors jeu ?
GM : L1UE ne peut pas se poser comme concurrent des Etats-Unis, car l1Amérique, à tous les niveaux (militaire, économique et surtout sur le plan des mass-médias), est solidement ancrée en Europe. L1unification européenne aurait un sens, si l1on excluait les Etats-Unis de ce processus ou si on limitait drastiquement leur influence. L1Europe, telle qu1elle est aujourd1hui, est pratiquement une gigantesque " Amérique latine de luxe " pour les Etats-Unis. C1est un vieux débat : voulons-nous une unification européenne de l1Europe ou une unification américaine de l1Europe ?
Q. : Pourquoi la France et la Grande-Bretagne participent-elles aux projets et menées de l1Amérique ?
GM : Ces deux puissances craignent l1accroissement de l1influence allemande dans les Balkans.
Q. : Mais elles se font elles-mêmes du tortS
GM : Oui, car toute action que mène l1Amérique en Europe nuit en principe à tous les Européens et au processus d1unification européenne.
Q. : L1attaque de l1OTAN a dû choquer l1ONU. Signifie-t-elle la fin de cette organisation ?
GM : L1ONU a été continuellement instrumentalisée par les Etats-Unis au cours de ces dernières années. Quand cela n1a plus marché, on a tenté de la circonvenir. Les Américains peuvent désormais recommencer le truc quand ils le veulent. L1ONU ne peut plus jouer aucun rôle d1intermédiaire. On peut se demander si l1humanité n1est pas en train de revenir au stade de la jungle. Evidemment, on peut dire que cette situation apporte plus de simplicité et d1honnêteté dans les relations internationales. Elle nourrit des réflexions de type social-darwiniste. C1est inquiétant.
Q. : Le droit des plus forts nous est donc " vendu " comme le droit des Etats-Unis à être les policiers du monde ?
GM : Si je poursuis mon argumentation et je dis qu1il y a quelque chose (de plus important) derrière le droit des gens, alors je ne pourrai pas reprocher à d1autres d1enfreindre les règles du droit international. Si une puissance occidentale reproche aux Chinois demain leur présence au Tibet, ceux-ci peuvent rétorquer : et le Kosovo ?
Q. : Y a-t-il une autre solution pour empêcher les problèmes du Kosovo : les réfugiés, les expulsions et les massacres ?
GM : Si on veut que l1ordre règne dans les Balkans, il faut intervenir avec des troupes terrestres (ndt : l1entretien date d1avril 99, avant l1arrivée des troupes terrestres de l1OTAN). Et instaurer une sorte de protectorat. Nous devons réfléchir aux conséquences qu1auront les actions menées aujourd1hui. Elles accentuent plutôt le problème des réfugiés et j1ai tendance à penser que ce flot de réfugiés albanophones va dans le sens des intérêts américains, pour les raisons que je viens d1invoquer. Mais la gestion de cette masse de déshérités ne va pas du tout dans nos intérêts. Les attaques aériennes n1apporteront aucune solution et la terreur se perpétuera, même si l1armée yougoslave est réduite à rien au Kosovo. On ne peut pas toujours agir comme si les conflits finissaient, en bout de course, par trouver une solution claire et irrévocable. Le conflit qui oppose Israël à ses voisins arabes n1a pas de solution, mais ces conflits insolubles ont tous une histoireS
Q. : On a émis l1idée d1armer les Albanais (comme les Croates) jusqu1aux dentsS
GM : Cela signifie évidemment que, malgré l1armement en masse des Albanais, le rapport de force serait resté très inégal. Ensuite, on aurait dû se retirer du conflit. C1est ce qui s1est passé durant la guerre du Vietnam. Reste ensuite la question : les Albanais auraient-ils pu sortir eux-mêmes de leurs propres difficultés ? Ils ont toujours tenté d1entraîner des tiers dans leur guerre.
Q. : Vous avez connu notre nouveau ministre écolo des affaires étrangères, Joschka Fischer, quand il était un " révolutionnaire spontanéiste " à Francfort ; vous vous êtes souvent disputé avec lui. La transformation du militant pacifiste en ministre des affaires étrangères et en belliciste a-t-elle une logique ?
GM : Oui. Cette évolution n1est pas illogique, car lorsque l1hostilité des pacifistes à l1égard des non-pacifistes devient suffisamment importante, ils doivent également faire recours à la guerre, comme l1a démontré avant moi Carl Schmitt. C1est cela qui s1est produit dans le cas de Fischer, même si on utilise d1autres mots, plus conventionnels, pour expliquer cette évolution. Les formules sont connues depuis le Président américain Wilson : on ne fait pas la guerre au peuple allemand, on ne fait pas la guerre au peuple serbe, etc. Quand l1état d1urgence est là, le camp des pacifistes se scinde en deux ; les uns disent, on ne peut opposer à la violence que la seule violence ; les autres réagissent comme Ströbele et disent : dans tous les cas de figure, nous ne recourrons jamais à la guerre. Après la première guerre mondiale, on a lancé le slogan : " faire la guerre à la guerre ". Aujourd1hui, on mène effectivement une action contre la guerre ou on raconte que l1on prend des mesures contraignantes contre elle. Mais pour les pacifistes d1aujourd1hui, même " la guerre contre la guerre " apparaît comme trop guerrière sur le plan terminologique ! Ce n1est pas étonnant. Même l1histoire de la guerre en notre siècle nous permet de constater, dans tous les cas, que les pacifistes se scindent toujours en deux camps, car survient l1état d1exception, et que la faction des néo-guerriers est toujours majoritaire.
Q. : Pensez-vous que les Verts vont s1effondrer à cause de cette question ?
GM : Cela dépend du temps que durera la guerre du Kosovo. Et des conséquences tangibles que cela aura pour l1Allemagne, si notre pays encaisse beaucoup de pertes. Si la guerre reste de courte durée, on l1oubliera, et seuls quelques petits groupes réduits quitteront le parti écologiste, au nom d1un idéal pacifiste.
Q. : N1est-ce pas étrange que pendant la Guerre du Golfe au début des années 90, les gens sont descendus en masse dans les rues pour protester contre l1action des Etats-Unis et contre la guerre, tandis qu1aujourd1hui on ne voit presque personne ?
GM : Ce qui est important, c1est la coalition qui est au gouvernement. Même si on a tenté de " sataniser " Saddam Hussein, cela ne semble pas avoir eu autant d1effet qu1avec les Serbes. Ceux-ci ont contre eux une vieille ranc|ur permanente, car ils se sont souvent positionnés comme des ennemis de l1Allemagne. Certes, c1est certain, bon nombre de Serbes haïssent les Allemands et nous devons bien constater que l1on cultive des affects négatifs anti-serbes dans nos médias comme on cultive des affects positifs à l1égard des Croates. A cela s1ajoute le fait que les atrocités, réelles ou mises en scène, que les Serbes commettraient, se passent en Europe et non pas dans des contrées lointaines du globe. Si les Irakiens commettaient les mêmes atrocités, eh bien, cela n1étonnerait guère l1Européen ou l1Allemand moyen. Les Européens se perçoivent comme éclairés, non violents, pacifiés. Et cette auto-perception doit également valoir pour les Serbes. Effectivement, raisonne le lambda moyen, les Serbes possèdent des téléphones, des autos, parlent l1anglais ou l1allemand et paraissent civilisés, portent des cravates. Alors, les ahuris moyens sont tout étonnés quand les passions se déchaînent et que Serbes, Bosniaques et Albanais s1entretuent. Déchaînement de passions et massacres sont des attitudes propres aux Asiatiques, aux Africains ou aux Arabo-Musulmans, pensent les euro-clampins de la fin des années 90. Les Européens, disent ces millions de bien-pensants, ne peuvent pas faire motnre de telles attitudes. Voilà pourquoi les sentiments d1horreurs sont plus forts aujourd1hui qu1au temps de la Guerre du Golfe.
(propos recueillis par Dieter Stein, parus dans Junge Freiheit ( http://www.jungefreiheit.de ), n°14/1999). Traduction française:
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