Georges Valois, un "cas à part" dans la politique française
L'arrestation
Ce jeudi de l'Ascension fut une belle journée de printemps. C'est ce que se disent Maurice Geoffray, Julien Geoffray, Jean Trichard, Noël Montangeron et Joannès Callot, attablés au café de la Roche Gonin aux Ardillats.
Non loin de là, dans le Val d'Ardières, Roger Maria a ses pensées qui vagabondent : la jolie postière de Beaujeu..., les recommandations de son patron : " mettez de l'ordre dans nos papiers et dans nos comptes, nous allons bientôt partir. "
Son patron, justement, se repose. Il est rentré aujourd'hui même, d'un voyage à Paris. Il était aux obsèques de son ami Magontier, tué dans un bombardement anglais. Mais la perte de Magontier, c'est aussi la perte d'une précieuse source de renseigements pour la Résistance.
" Le débarquement est prévu pour la fin mai, vérifiez votre uniforme de sous-lieutenant qui dort dans la naphtaline, nous allons partir pour un maquis en Dordogne dont je prends le commandement " . C'est tout ce que son patron lui a dit et il est allé s'étendre.
Soudain, un bruit de moteur rompt la tranquillité de cette fin d'après-midi. Deux 201 montent de Beaujeu. Intrigués, les cinq copains sortent du café, enfourchent leurs bicyclettes et suivent la petite route que viennent de prendre les automobiles. Arrivés à l'ancien hôtel du Val d'Ardières, des miliciens les font descendre de vélo et aligner contre un mur. Les cinq Ardillatons assistent à l'arrestation de Georges Valois et de son secrétaire Roger Maria.
Madame Valois, d'origine Suisse, parlant l'allemand, après une longue discussion, peut sauver son fils Philippe de l'arrestation. L'inspecteur de la Gestapo qui dirigeait le groupe a-t-il été impressionné par cette grande dame parlant si bien la langue de Goëthe ?
Ce 18 mai 1844, ce n'est pas un résistant ordinaire que la Gestapo vient d'arrêter dans ce val perdu des Ardillats, c'est l'un des personnages les plus singuliers de la Troisième République.
" C'était un homme de droite, mais qui a toujours été contre Pétain" m'a dit ce vieil Ardillmaton.
" C'était un homme de gauche, peut-être même d'extrême-gauche. " m'a dit tel autre.
Alors, qui était Georges Valois ?
Pour en savoir plus
De son vrai nom Alfred-Georges Gressent, Georges Valois est né à Paris le 7 octobre 1878. Il perd son père très jeune et de 5 à 13 ans est élevé par ses grands- parents maternels en Seine et Marne.
" Mon grand-père, ouvrier chaudronnier, était républicain et libre-penseur. Avec l'instituteur, il fit de moi un homme libre. Avec ma grand-mère, il m'enseigna le travail et la méthode. "
À 13 ans, il entre dans une école professionnelle à Paris, d'où il est exclu deux ans plus tard pour " manifestation intérieure ". Il est successivement employé chez un marchand de toiles , dans les bureaux du journal France Nouvelle, chez un fabricant de clarifiants, chez un maroquinier.
" À 16 ans, j'ai été arrêté comme anarchiste, ce qui était faux. "
À 17 ans, il part pour Singapour employé chez un commerçant français ; à 19 ans, il rentre en France pour étudier. " J'étais devenu anarchiste. ".
À cette époque, il rencontre Julien Sorel et devient l'un de ses disciples.
À 22 ans, il est incorporé dans l'armée puis réformé pour tuberculose.
À 24 ans, il tente de devenir horloger à Genève, mais de là, il part à Moscou comme précepteur chez un comte russe où il épouse la dame de compagnie de la comtesse. Il rentre en France en août 1903 et travaille jusqu'en 1912 à la librairie Armand Colin.
Ses premiers écrits datent de 1905-1906. Il prend le pseudonyme de Georges Valois et publie l'Homme qui vient, puis La monarchie et la classe ouvrière.
Il entre alors à l'Action Française. Mais son action s'exprime plus dans des mouvances marginales telles que le cercle Proudhon dont il est l'un des fondateurs en 1912 et dont la tendance très lutte des classes le mettait plutôt en opposition avec l'Action Française.
Ce qui l'attire, c'est que le Roi doit (et peut, estime-t-il) être contre le Parlement composé trop souvent de politiciens soumis aux puissances d'argent.
En 1912, Georges Valois fonde et prend la direction de la Nouvelle Librairie Nationale. Il est à cette époque le numéro trois de l'Action Française aux côtés de Charles Maurras et Léon Daudet. Il est l'économiste singulier de la droite et de l'extrême-droite.
C'est un extraordinaire lanceur d'idées.
Georges Valois s'intéresse surtout à l'économie sociale, à l'organisation des métiers et et des syndicats, seuls capables de lutter contre les banques et les trusts qui sont des parasites.
Mobilisé en 1914 comme deuxième classe, il devient officier et il est à Verdun jusqu'en 1916. En 1915, il théorise, dans un ouvrage intitulé le Cheval de Troie, l'invention du char d'assaut qui va être mis au point par le général Estienne.
Pendant la guerre, Georges Valois commence à se séparer de l'Action Française. Le soutien et les interventions de Léon Daudet pour sauver Georges Valois de la mort, après une blessure en 1916, empêchent une rupture brutale. Mais en 1925, la rupture est totale.
Georges Valois fonde alors la première ligue fasciste française : Le faisceau des combattants et des producteurs et un journal Le Nouveau Siècle ainsi que plus tard la Librairie Valois.
Le faisceau est créé sur le modèle mussolinien, mais il est " non anti-socialiste, ni anticommuniste, ni antisémite ". Il a pour but de créer au-dessus des partis et des classes un véritable "État national et populaire ".
Georges Valois milite pour une monnaie ferme, contre l'inflation et toute dévaluation. Lors d'une grande assemblée générale à Reims en juin 1926 (certains parlent de 25 000 personnes), Georges Valois en appelle à une évolution vers le socialisme contre le poincarisme.
Ayant acquis la conviction de ne pouvoir lutter contre la ploutocratie avec les masses à tendances nationalistes, Georges Valois dissout le Faisceau en mars 1928, en appelle à une " République syndicale " et regarde vers le socialisme révolutionnaire. Il publie L'Homme contre l'argent, un ouvrage " tournant décisif " pour toute une époque.
À partir de 1931, il travaille avec Albert Thomas et d'autres à la rédaction de la Nouvelle Encyclopédie, mais la mort de ce dernier en 1932 met un terme à ce qui devait être un " formidable mouvement culturel ". En 1934, création du journal Nouvel Åge qui deviendra quotidien. Georges Valois prend des positions de plus en plus pacifistes et même gauchistes. Il démontre le soutien des capitalistes français et anglais à Franco et dénonce la gauche quand elle ne sert que de paravent au capitalisme.
En 1938, il mène campagne contre les accords de Munich. Les opposants sont alors rares : le 5 octobre, seuls les 73 communistes, le socialiste Jean Bouhey et H. de Kérillis ont voté contre, Churchill y sera d'abord
favorable, de Gaulle ne fera aucun commentaire. Pour Valois, il faut vaincre l'Allemagne sans guerre, instituer un blocus économique de l'Allemagne et de l'Italie.
Mais abandonnons un instant Georges Valois et revenons à l'été 1936 pour suivre les interrogations et engagements d'un jeune militant : Roger Maria a 18 ans cette année- là. Il a adhéré à la SFIO deux ans auparavant et se veut plutôt proche de la tendance gauche révolutionnaire de Marceau Pivert. Roger Maria se définit comme marxiste léniniste, mais critique à l'égard de l'orientation de la politique stalinienne. La décision de Léon Blum de non-intervention dans la guerre d'Espagne est pour lui un choc. Il démissionne de la SFIO.
À cette époque, Roger Maria suit régulièrement des conférences à la Mutualité. En février 1937, le hasard le conduit à suivre la démonstration brillante que fait Georges Valois du soutien de fait des capitalistes français et anglais à Franco.
Les deux hommes s'apprécient et Georges Valois propose à Roger Maria de collaborer avec lui. Roger Maria suivra Georges Valois jusqu'aux Ardillats. Seule la déportation les séparera.
Mais aujourd'hui encore Roger Maria est fidèle à Georges Valois et c'est en grande partie grâce à lui que nous avons pu réaliser cet article.
En juillet et août 1940, Georges Valois et son adjoint Gustave Rodriguès sont à Bayonne. Ce dernier se suicide. Georges Valois passe au Maroc où il crée un groupe clandestin qui édite une lettre confidentielle. Fin octobre 1940, il est arrêté " par précaution " et emprisonné à Meknès puis transféré à Clermont-Ferrand où il retrouve Pierre Mendès-France dans la même prison militaire. Les deux hommes se connaissent déjà puisque Georges Valois a aidé Pierre Mendès-France dans la préparation de sa thèse de docteur en droit sur la Banque des Règlements Internationaux.
Le 27 avril 1941, Georges Valois est libéré. Il retrouve à Vichy Roger Maria qui est démobilisé le 30 avril et s'apprêtait à gagner la France Libre par l'Afrique du Sud...
Georges Valois et Roger Maria, devenu son secrétaire, au lieu de rejoindre Londres, décident alors de " s'exiler " dans la région lyonnaise où ils ont des amis dans divers groupes de résistance. Georges Valois pense pouvoir acquérir une librairie.
" Je suis trop connu pour passer dans la clandestinité, je vais me mettre en quelque sorte, en résidence surveillée officielle pour que la police sache que je ne m'occupe plus qued'activités éditoriales non politiques ".
En mai 1941, ils sont à Couzon au Mont d'Or où ils prospectent la région. Georges Valois se rend compte qu'une librairie lyonnaise serait tout de même trop surveillée et il opte finalement pour une " résidence " plus discrète. L'hôtel du Val d'Ardières aux Ardillats est alors à vendre pour une bouchée de pain. Voilà une résidence, à l'écart, où l'on peut se faire oublier, mais qui permet aussi de recevoir des amis.
Fin juin, 1941, Georges Valois, ainsi que son épouse, emménagent au Val d'Ardières. Roger Maria est là aussi.
Ils vont alors mener deux activités rédactionnelles parallèles. L'une , officielle, traite de l'histoire des coopératives, de la législation des jardins ouvriers, donne aussi des conseils de jardinage au travers de fascicules ronéotés de 4-6 pages que reçoivent quelques deux cents abonnés. Les " amis " reçoivent, eux, en supplèment clandestin une lettre politiqueavec renseignements ou études sur... disons l'actualité.
Régulièrement, Roger Maria poste ces périodiques mensuels puis hebdomadaires en éparpillant ses dépôts pour ne pas se faire repérer dans diverses boîtes aux lettres d'un large secteur couvrant Belleville, Villefranche et Lyon.
En 1943, avec Cerf-Ferrière et Delmas, de Combat , basés à Beaujeu, Georges Valois publiera une nouvelle revue Après.
Seul, ensuite, il écrira sous le pseudonyme d'Adam, un numéro spécial d'Après, intitulé La France trahie par les trusts. Tapée à la machine aux Ardillats et imprimée à Villefranche sur Saône, c' est la brochure la plus volumineuse publiée par la Résistance.
A rrêtés par l'équipe de Barbie, Georges Valois et Roger Maria sont conduits au fort Montluc à Lyon et interrogés par la Gestapo. Roger Maria a été " passé à tabac " et plus ou moins torturé mais Georges Valois n'a semble-t-il jamais été frappé. Roger Maria nous a dit :" Il est passé pour un idéaliste farfelu prêchant la réconciliation entre les peuples pour une économie nouvelle. Dans ces interrogatoires, la difficulté vient de ce que nous sommes interrogés séparément, que nous ne savons pas non plus ce que nos questionneurs savent déjà par les perquisitions effectuées . Nous arrivons à communiquer et à coordonner nos propos destinés à nous faire passer pour des intellectuels idéalistes et pacifistes ".
Quand même condamnés à mort pour le principe, leur peine est commuée en déportation en camp de concentration. Roger Maria verra une dernière fois Georges Valois au fameux camp (français) de Compiègne, appelé Royal Lieu... une sorte de gare de triage pour toutesdestinations vers les camps nazis.
Roger Maria sera contraint, comme tant d'autres jeunes déportés de travailler en usine pour l'armée allemande, dans une hallucinante fabrique d'obus à Wattenstedt-Bruunschwick.
Transféré à Hanovre en mars 1945, il parvient avec un camarade à s'échapper au cours d'un convoi de nuit qui conduisit mille seize de ses compagnons à périr dans une tuerie au lance-flammes.
Recueilli dans une ferme, il est aidé par un prisonnier de guerre. Cachés dans un entrepôt agricole, ils échappent encore à un bombardement et seront enfin libérés le lendemain par un char anglais.
Georges Valois, de son côté est déporté au camp de Neuengamme où il se retrouve dans un groupe de déportés âgés, préposé aux tresses, en compagnie du marquis de Moustiers, du célèbre biologiste et dirigeant communiste Marcel Prenant, du général Bardi de Fourtou (de l'affaire Staviski) et de quelques autres " notables " de la Résistance " intello ".
Grâce à l’écrivain Louis Martin-Chauffier qui l'y a rencontré, dans ce même drôle de groupe de vétérans, nous savons comment il rêvait, encore là-bas, de refaire le monde...
Transféré au camp mouroir de Bergen-Belsen, Georges Valois meut, atteint du typhus, le 18 février 1945.