La "gauche" israelienne et les elections
Depuis l’annonce que des élections législatives se dérouleraient en Israël à la fin du mois de mars, deux évènements majeurs sont intervenus dans cette région du globe: la disparition politique de Sharon suite à son attaque cérébrale et la très nette victoire du Hamas aux élections générales palestiniennes. Ce qui a eu pour effet de "figer" la campagne électorale, la droite et le Parti Travailliste se rejoignant dans la dénonciation des nouveaux dirigeants palestiniens et affirmant qu’il était hors de question de négocier avec le Hamas avant que ce dernier ne reconnaisse le droit d’Israël à exister.
Et ce alors même que concrètement l’Etat hébreu a toujours nié le droit des palestiniens à une existence nationale ! En maintenant les colonies, les zones d’occupation, les check-points, les murs… les dirigeants israéliens bloquent tout espoir de règlement du conflit mais se servent comme fallacieux prétexte du fait que c’est le Hamas qui ne voudrait pas négocier tout en durcissant les conditions d’éventuelles négociations. Ainsi par rapport aux années 80, quand eurent lieu des pourparlers avec l’OLP d’Arafat, Israël a imposé de nouvelles conditions au Hamas : ceux-ci doivent reconnaître le droit d’Israël (comme l’OLP) mais désormais en tant qu’Etat juif ; il est également demandé au Hamas de déposer les armes, ce qui ne fut pas le cas avec l’OLP.
Des mesures économiques de rétorsion ont également été prises comme par exemple le gel pour une durée indéterminée des sommes dues par les douanes israéliennes aux douanes palestiniennes. Les territoires occupés ne disposant d’aucune souveraineté, depuis les accords d’Oslo c’est donc Israël qui perçoit les taxes sur les marchandises exportées ou importées des zones palestiniennes ! Cette somme avoisinerait les 50 millions d’euros par mois, l’équivalent de la moitié des salaires des 135000 fonctionnaires de l’Autorité palestinienne !
C’est dans ce contexte que les travaillistes ont mené leur campagne. En novembre 2005 le Parti travailliste connut deux moments importants : la victoire d’Amir Peretz qui prenait ainsi la tête du parti et le départ des ministres travaillistes du gouvernement Sharon, ce dernier annonçant alors de nouvelles élections. Cela lui permit également de prendre ses distances avec les religieux et l’extrême droite israélienne (qui lui avaient mis des bâtons dans les roues lors du désengagement de Gaza) en créant un nouveau parti, Kadima. Un nouveau parti mais qui reprend des thèmes classiques de la droite israélienne : la sauvegarde du caractère juif de l’Etat d’Israël, le maintien du contrôle israélien sur Jérusalem (y compris la partie conquise en 1967) le refus de démanteler les colonies de Cisjordanie mais aussi la poursuite de la construction du mur. Et beaucoup de saluer ce "glissement vers le centre" d’Ariel Sharon y compris de nombreux travaillistes, à l’instar de Shimon Pérès !
Justement, du côté du Parti Travailliste et de son nouveau leader, connu pour avoir dirigé dans le passé la centrale syndicale Histadrout et avoir été membre du mouvement La paix maintenant, on prit grand soin de ne pas s’opposer aux positions du nouveau parti de Sharon, positions qui furent d’ailleurs celles des gouvernements travaillistes par le passé.
Alors bien sûr, Peretz avait déclaré dans le passé qu’il était immoral de « régner en maître sur un autre peuple » mais force est de constater qu’il a oublié ses "belles paroles" puisque désormais son programme sur la question palestinienne est identique à ceux déjà appliqués par ses prédécesseurs.
Ainsi, à propos de Jérusalem, il n’est pas question pour Peretz de céder un pouce de ce terrain annexé par Israël après la Guerre des Six-Jours. Et selon ses proches : »Peretz est loin d’être un pacifiste. Il sait que le public israélien adore la clôture de séparation, qu’il est enferré sur la question d’une Jérusalem unie et ne craint rien de plus qu’un retour en masse des réfugiés palestiniens. En conséquence Peretz proposera d’ajuster le tracé de la clôture (…) Pour Jérusalem il proposera une autonomie religieuse qui ne scindera pas la ville, et concernant les réfugiés il cherchera des solutions en dehors des frontières ».
Une équipe en charge de l’élaboration du programme du Parti Travailliste a même élaboré des formules à travers lesquelles les Palestiniens se verraient proposer une "location à long terme" de certaines colonies juives en Cisjordanie ! Dans le principe de l’accord conclu entre la Grande-Bretagne et la Chine en 1898, les colonies de Maale Adounim, Gouch Etzion, Ariel et d’autres resteraient sous contrôle israélien en échange de compensations financières.
Il y eut aussi le soutien qu’apporta Peretz au ministre travailliste du Logement et de la Construction lorsque ce dernier autorisa l’extension de la colonie juive de Maale, colonie située à l’est de Jérusalem ! Mais Peretz s’est depuis encore davantage aligné sur la ligne de Kadima et du gouvernement dirigé actuellement par Ehud Olmert puisqu’il a récemment déclaré : »Nous ne conduirons en aucune circonstance des négociations avec une organisation qui déclare son intention de détruire Israël » ajoutant que : »si nous le jugeons bon, nous agirons unilatéralement » et se prononçant finalement « pour une séparation physique et sécuritaire » puisque « même si nous choisissons la route de la séparation, nous continuerons à lutter pour la paix ».
Mais ne croyez pas que les travaillistes furent par le passé moins alignés sur la droite sioniste puisque dans l’histoire d’Israël il fut souvent difficile de faire la différence entre la politique d’un gouvernement de "droite" et celle d’un gouvernement de "gauche".
Durant les premières décennies de l’existence de l’Etat Hébreu, ce fut la gauche qui domina presque sans interruption la vie politique israélienne. Parmi ses "réalisations", la guerre qui suivit la déclaration d’indépendance en 1948 et qui s’acheva par l’expulsion de centaines de milliers de palestiniens, chassés de leurs terres et de leurs villages. Puis en octobre 56, lors de la crise du canal de Suez, ce sont les dirigeants travaillistes qui choisirent d’engager leurs forces armées aux côtés des français et des britanniques. La guerre de 67, toujours menée par la gauche, avait, en plus de vouloir porter un coup décisif au nationalisme arabe, pour principal objectif de s’emparer des actuels territoires occupés, dont le Sinaï, rendu quelques années plus tard à l’Egypte… par la droite !
Ce sont encore les travaillistes et Shimon Pérès qui "inaugurèrent" la colonisation lorsqu’ils acceptèrent en 1974 l’installation de colons en Cisjordanie, à Kadoudim tandis que, à leur tour, Rabin et Barak développaient et consolidaient les colonies déjà implantées. Et concernant le fameux mur de séparation il est aussi à porter au crédit des travaillistes puisque dès 1967 le plan Alon prévoyait de créer des entités palestiniennes séparées et que c’est sous le gouvernement Barak que sa construction fut décidée.
Si l’absence de différence entre la gauche et la droite israélienne sur la question palestinienne est flagrante, qu’en est-il en matière de politique intérieure et notamment de social ? Bien sur, comme tout candidat, Peretz a fait des promesses : augmentation du salaire minimum, baisse du chômage, réductions des inégalités… A ce propos on peut d’ailleurs noter qu’en Israël un adulte sur quatre et un enfant sur trois vivent en dessous du seuil de pauvreté ! Malgré tout Peretz ne s’est toujours pas engagé à revenir concrètement sur la politique sociale du gouvernement Sharon.
Pourtant il y aurait fort à faire puisque les budgets d’austérité 2004 et 2005 furent parmi les plus durs, n’épargnant aucune catégorie dans les classes populaires. Ainsi, lors de la préparation du budget 2004 Nétanyahou prévoyait une baisse du salaire réel de 4% dans le public et de 2,3% dans le privé. Des mesures ont été prises afin de réduire le nombre de demandeurs d’emplois ayant droit à une allocation (qui d’ailleurs a été réduite) ; à titre d’exemple, les chômeurs de moins de 25 ans doivent se présenter chaque jour dans les agences pour l’emploi ! Les conditions d’obtention des allocations familiales et maternité ont également été durcies ainsi que pour celles des personnes gagnant moins que le revenu minimum ou des mutilés du travail, l’allocation vieillesse étant elle bloquée au niveau de celle de 2001. Cerise sur le gâteau : l’Etat a réduit les budgets de la santé et de l’éducation tout en "réformant les retraites", ce qui s’est bien évidemment traduit par une augmentation des cotisations des salariés, un recul de l’âge de départ et une baisse des pensions.
Mais comment se comportèrent la gauche et Peretz pendant ce temps là ? Rappelons que le nouveau leader travailliste dirigeait à cette époque le principal syndicat, la Histadrout. Cette dernière initia deux campagnes de protestations contre la politique sociale de Sharon. La première concernait les travailleurs des collectivités locales qui n’étaient plus payés, mais à peine la grève était-elle commencée qu’un tribunal ordonnait la reprise du travail. Le syndicat accepta immédiatement la décision sous prétexte que le tribunal "demandait" au gouvernement de payer les salaires dus ! La seconde campagne concernait cette fois tous les travailleurs de la fonction publique et exigeait l’annulation des licenciements et l’arrêt des baisses de salaires. Elle fut très bien suivie mais la grève stoppa au bout de quatre heures ! En effet, une fois de plus, un tribunal avait ordonné la reprise du travail et, une fois de plus, la Histadrout a tout de suite accepté la décision, Amir Peretz osant déclarer que » le gouvernement doit savoir que cette grève d’avertissement de quatre heures est un carton jaune » !
De toutes manières, elle est bien loin l’époque où il dénonçait les « capitalistes ivres de leurs richesses et sans autre souci qu’eux-mêmes » puisque désormais Peretz, après des rencontres avec le monde des affaires, ne cesse de se répandre en louanges sur les patrons et les millionnaires israéliens qui « possèdent un souci véritable pour leur pays et une grande inquiétude concernant la détresse sociale grandissante dans la société israélienne » ajoutant même qu’il à découvert chez eux »une certaine empathie pour les pauvres et les faibles ».
L’arrivée de Peretz à la tête du Parti Travailliste est donc loin d’être un virage a gauche et son éventuelle nomination à la tête du gouvernement après une victoire travailliste aux élections ne devra donner aucun faux espoir aux palestiniens comme aux travailleurs israéliens. Il faut plutôt voir ce changement comme une volonté des travaillistes de "redorer" leur blason après des années d’une politique d’union nationale avec le Likoud mais aussi de maintenir l’identité, du moins en théorie, du Parti Travailliste à l’approche des élections. En outre Peretz, par ses origines juives orientales permettra peut être à son parti de récupérer cette frange de l’électorat, base électorale du Likoud depuis 1977.
Mais si l’on en croit les derniers sondages et malgré les tentatives des travaillistes pour se "gauchir" sans pour autant avoir de vrai programme de changement (une situation qui rappelle étrangement notre "gauche" à nous) Kadima, même sans Sharon, pourrait tout de même emporter les élections du 28 mars.