Les forces spéciales de Samir Geagea sont de retour
Une expression libanaise dit: «Il le tue, puis il marche à ses funérailles.»
Évidemment, les médias occidentaux ont trouvé la manifestation pour les funérailles de Pierre Amine Gemayel beaucoup plus belle que les manifestations de l'opposition. L'AFP décrivait ainsi l'événement:
Une foule énorme, sous une marée de drapeaux libanais rouges et blancs frappés du Cèdre vert, s'est rassemblée sur la grande Place des Martyrs, dans le centre de la capitale, tout près de la cathédrale Saint-Georges des Maronites où a été célébrée la cérémonie des obsèques.
Vincent Hervouët, sur LCI, opposait cette manifestation à celles du Hezbollah, dont la foule serait politiquement orientée.
Pourtant, les photos de l'événement montrent tout autre chose: des drapeaux des Phalanges, des drapeaux des Forces libanaises, et des drapeaux libanais. Sur certaines photos, on peine même à repérer les drapeaux libanais.
Il faudrait expliquer à Vincent Hervouët et au rédacteur de l'AFP que le drapeau blanc avec un cèdre ceinturé d'un cercle rouge est le drapeau des Forces libanaises du bon docteur Geagea. Quand à celui qui orne le cercueil, un cèdre stylisé en triangle, il s'agit de celui des Phalanges.
On a également épargné au public européen les informations selon lesquelles, le soir de l'assassinat, les bureaux du PSNS à Bikfaya ont été saccagés, l'ancien Premier ministre Salim Hoss a été menacé à son domicile dans la nuit, des ouvriers syriens ont été agressés et que depuis, des heurts impliquant systématiquement des membres des Forces libanaises se multiplient dans le pays (pour rappel, Pierre Amine Gemayel n'était pas député des Forces libanaises). On avait déjà oublié de nous signaler les provocations de membres des FL, après la messe à la mémoire de Bachir Gemayel, dans le sud de Beyrouth, ce qui avait entraîné une intervention musclée des jeunes d'Amal. Petits détails dont le futilité ne doit pas perturber l'hommage de la France au grand Pierre Amine Gemayel (aucun média ne nous a non plus expliqué que Pierre Amine Gemayel n'était parvenu à se faire élire dans le Metn que suite aux accords électoraux entre Michel Aoun et Michel Murr qui lui avaient laissé un poste vacant).
Jusqu'à cette information ahurissante, dont je fais à nouveau le pari que nos médias ne nous en parleront pas (puisque L'Orient-Le Jour le passe sous silence). Une recherche à l'instant me montre qu'il n'y a actuellement aucun article référencé sur le sujet sur Google News en français. L'événement fait pourtant la Une du Safir et du Akhbar. C'est absolument énorme, cela confirme beaucoup des soupçons et des rumeurs qui circulent au Liban, ça dramatise la situation à l'extrême, mais... on ne doit pas en parler.
Voici une traduction de l'article du Safir (à partir de la traduction anglaise effectuée par le Tayyar). Pour ceux qui débarquent, les «Forces libanaises» ne sont pas l'armée libanaise, il s'agissait d'un milice chrétienne d'extrême droite fondée par Bachir Gemayel, soutenue et armée par les Israéliens. Elles sont aujourd'hui officiellement devenues un simple parti politique dirigé par son ancien chef, Samir Geagea. Vincent Hervouët, à force de lire L'Orient-Le Jour, semble ignorer qu' une immense majorité de Libanais craignent les Forces libanaises comme le groupe le plus dangereux du Liban, et Samir Geagea comme un tueur psychopathe.
Des militaires libanais et des sources de forces de sécurité ont confirmé que, après avoir reçu des informations crédibles quant à «l'entraînement de jour de groupes militaires dans la région de Shahtoul dans le Ftouh Kesrwan», l'armée libanaise a envoyé un groupe de commandos et des services de renseignement militaire dans cette zone et y ont trouvé un groupe de neuf hommes s'entraînant au tir sur cibles, dotés d'armes personnelles. Les hommes ont été immédiatement arrêtés et des fusils «M16» et «AKF», des viseurs «MT5», et plusieurs pistolets GLOCK ont été saisis, en plus de matériel de communication extrêmement sophistiqué.
Les neufs hommes arrêtés ont avoué qu'ils faisaient parti de l'appareil sécuritaire des Forces libanaises (LF). L'armée a confisqué leurs trois véhicules tout-terrain, qui avaient tous le même numéro de plaque d'immatriculation et qui étaient peints en marron et noir. Les détenus et trois 4x4 ont été emmenés aux barraquements de l'armée à Sarba, où une carte de la zone de Rabieh a été trouvée dans un des véhicules, ainsi qu'une photographie d'une personnalité politique libanaise importante, et un mannequin placé sur un des sièges.
Six des personnes interpellées ont reconnu que, avant la dissolution des FL en 1994, elles faisaient partie de l'unité «El Sadem» [«le choc»], constituée à l'époque de plus de 40 combattants, trente d'entre eux ayant été à nouveau recrutés par les FL il y a environ un an. La plupart d'entre eux vivaient à l'étranger, et l'un d'eux est actuellement chef de la sécurité de Samir Geagea dans son fief des Cèdres.
L'élément remarquable de l'affaire est que, quatre heures après l'arrestation du groupe, personne ne s'était rendu compte des événéments, et dès le moment où la chaîne Al Manar l'a annoncée, une série de déclarations contradictoires ont été émises, et tentaient d'orienter l'affaire dans la direction de personnels de sécurité de la LBC [la chaîne de télévision initialement fondée par les Forces libanaises de Bachir Gemayel].
À la fin de l'enquête préliminaire, les services de renseignement de l'armée ont déféré les neufs détenus et livré le matériel confiqué au tribunal militaire sous la direction du juge Jean Fahed qui entamera les actions légales nécessaires.
Les FL ont immédiatement et «sans équivoque» nié les informations d'Al Manar et les ont qualifiées de «mensongères», tandis que le PDG de la LBC, Pierre Daher, a fait savoir à l'armée libanaise et aux autorités judiciaires que les détenus sont des membres de l'équipe de sécurité de la LBC et sont également à son service personnel, et qu'ils effectuaient leur entraînement hebdomadaire du lundi. Mais Daher n'a pas pu fournir d'explications convaincantes quant au délai avant la découverte de l'absence du groupe, les armes non enregistrées, les sessions d'entraînement, la raison des documents trouvés dans les véhicules, et le problème des plaques d'immatriculations identiques pour les trois véhicules saisis, etc.
Le conseiller-média de Geagea, Antoinette Geagea, a par la suite affirmé que les détenus faisaient partie du service de sécurité de Daher, tandis que le département-média des FL a émis une déclaration expliquant clairement que les FL sont un parti politique qui obéit aux lois et qui pense que les armes devraient uniquement être aux mains de l'État libanais et de personne d'autre.
Ces derniers jours, des rumeurs ont circulé quant au retour au Liban d'un ancien commandant des FL, Ghassan Touma, et ses déplacements dans certaines zones du nord du pays. Mais les sources militaires libanaises qui suivent cette histoire nient ces rapports, indiquant qu'ils sont faux et totalement fabriqués.
Al-Akhbar donne d'autres précisions. Pour les noms des armes, le lecteur voudra bien m'excuser, je ne suis pas un spécialiste, et c'est translittéré depuis l'arabe.
La source [militaire] a indiqué qu'il avait été trouvé, avec ce groupe, des armes sophistiquées dont des pistolets de type Klolk, des mitraillettes israéliennes Uzi, des pistolets américains de type M15, M4, MP5 spécialisés dans les tirs de précision, un système de communication sans fil très sophistiqué et des cartes de différentes zones du Liban, dont la zone de Rabieh, montrant les emplacements des maisons du ministre Elias Murr et du général Michel Aoun, ainsi que des photographies dede sa maison. Il est apparu que le groupe était dirigé par une personne nommée Antoine Abi Hanna; le groupe de Hanna inclut des éléments ayant précédemment travaillé pour l'unité «le choc» des Forces libanaises pendant la guerre civile.
Je me permets de faire remarquer que l'arrestation a été effectuée par l'armée libanaise, dont le commandant en chef reste Émile Lahoud, et non par les FSI du ministre de l'intérieur par intérim, Ahmed Fatfat; lesquelles FSI avaient justement été accusées, il y a quelques jours, par Michel Aoun, d'être un organe politique au service du 14 Mars.
Évidemment, si vous faites confiance aux médias occidentaux pour vous informer, vous n'avez jamais non plus entendu parler du réseau terroriste du Mossad démantelé au Liban en juin 2006. Vous n'avez pas non plus entendu parler des silencieux à destination de l'Ambassade des États-Unis à Beyrouth saisies par les autorités libanaises (la fiche Wikipedia sur l'assassinat de Gemayel indique que les tueurs ont utilisé des silencieux; celui qui a placé ce détail anodin sur Wikipedia avait évidemment une petite idée derrière la tête).
Je ne trouve toujours pas de dépêche AFP sur l'arrestation de cette cellule de «forces spéciales» des Forces libanaises; en revanche, la même AFP parvient à évoquer les heurts entre aounistes et phalangistes sans penser que l'arrestation d'un groupe suspecté de préparer l'assassinat de Michel Aoun avait certainement un peu échauffé les esprits... (classiquement, quand on cache les informations qui permettraient de comprendre, on préfère adopter l'axe ethno-religieux, en parlant de «tensions interchrétiennes»).
Ce soir, C dans l'Air, d'un niveau encore plus bas que d'habitude, parvient à consacrer toute son émission (avec Marwan Hamadé et Antoine Sfeir) au Liban et aux assassinats sans jamais évoquer cette «bombe» médiatique qui vient de survenir: la découverte d'un groupe d'anciens spécialistes des actions spéciales des FL réintégrés au service de Geagea en train de s'entraîner au tir avec des armes de précision. Parions que, ce soir, Vincent Hervouët parviendra tout aussi élégamment à éviter le sujet.
J'insiste: c'est un scandale énorme. Les rumeurs et les soupçons autour de cellules des Forces libanaises sont permanentes au Liban depuis la libération de Samir Geagea (entraînement en Irak, entraînement dans le fief de Geagea, armement par les Américains...) Mais c'est, à ma connaissance, la première preuve tangible de leur existence révélée par la presse.
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