Pour qui s’intéresse aux statistiques des représentations consulaires de notre pays, un fait ne manque pas de surprendre : le nombre des ressortissants français inscrits dans les consulats du Caire, de Riyad, de Djeddah ou de Sanaa est en constante augmentation. Cela est-il du à l’implantation de grandes entreprises françaises, riches en cadres expatriés, pour contribuer à des projets locaux ? Nullement, et les patronymes, majoritairement maghrébins, de nos concitoyens qui se font connaître par nos consuls, montrent que l’on est face à un phénomène tout autre : celui de la hijra d’une partie des musulmans salafistes de nos banlieues.
La hijra ? C’est, dans l’islam, l’exode pour des raisons religieuses. C’est selon les prédicateurs salafistes une obligation : il s’agit, comme l’explique l’un d’entre eux, le sheikh Muhammad Ibn Sâlih al-’Uthaymîn, de quitter les pays « où les actes de désobéissance et les perversités sont commis en abondance » pour « les pays d’Islâm ». Or, selon le chercheur Patrick Haenni, le salafisme qui représente au sein de l’islam le fondamentalisme religieux, le rigorisme sectaire et le radicalisme dogmatique, est dans les banlieues française le courant qui actuellement a le vent en poupe… C’est en grande partie à lui que l’on doit, par exemple, la vogue du niqab et de la burka.
Dans les banlieues le salafisme convertit beaucoup pour une raison simple : prônant une attitude de rupture avec la société, il rationalise l’exclusion sociale et la valorise, faisant d’une situation subie un choix religieux. De plus il s’intègre parfaitement dans la culture des jeunes beurs dont il transforme les attitudes asociales en comportement religieux. Ainsi, il est critique vis à vis des familles et offensifs quant autorités communautaires, les unes et les autres étant accusées de pratiquer un islam abâtardi. De même, il revisite l’appartenance, centrale dans la culture de la banlieue, à une « bande de jeunes » et la métamorphose en l’adhésion à « un groupe rescapé » (firqa nâjiyya) refusant les mirages et perversions de la société occidentale.
Cependant, le but ultime du salafisme, n’est pas la conquête de l’Occident ni la création de ghettos totalement islamisé, mais le départ vers le Dar al Islam, vers des pays où l’on peut vivre la loi de Dieu et où, comme l’a déclaré au quotidien Le Figaro un de ces jeunes émigrés, « tu vis pour le paradis, tu ne commets pas de péché en regardant des filles à moitié nues dans la rue »…
Mais à cette aune, tous les pays musulmans ne se valent pas, et pour le comprendre il suffit de se rendre sur les nombreux sites et fora dédiés à l’hijra. On y apprend ainsi que le Maroc, la Tunisie ou l’Algérie, où nombre de jeunes beurs ayant des racines familiales pensent tout d’abord s’établir, ne sont pas des destinations opportunes, tant le monde occidental y est déjà présent. Il faut choisir le must : l’Arabie saoudite, ou, à défaut, l’Égypte ou le Yémen (où selon un forumiste « au plan administratif, c'est un peu le désordre par rapport à la France, mais au moins on y vit pour Allah et pour pas cher» !…)
Tous les salafistes, bien sûr, ne font pas leur hijra car celle-ci suppose des moyens financiers et des diplômes qui permettent se s’insérer professionnellement dans les pays d’accueil. Ils restent donc en France et tentent de vivre ici comme ils vivraient là-bas, avec tout ce que cela suppose de femmes devenant de noirs fantômes et d’hallalisation.
Quand à ceux qui prennent le chemin de l’exode, il leur faut tout d’abord s’intégrer dans leur nouveau pays, donc maîtriser la langue arabe que bien peu connaissent ; d’où la surprenante apparition d’un métier lucratif : celui de directeur d’écoles de langues spécialisées dans la clientèle salafiste occidentale… Devenus arabophones, nos salafistes se font pour la plupart oublier. Si certains vivent des subsides qu’envoient leurs familles restées en France, d’autres trouvent un emploi dans des sociétés locales ou créent des commerces ou des entreprises, quelques uns toutefois reviennent régulièrement France pour y travailler quelques mois afin de pouvoir économiser la somme nécessaire à leur vie le restant de l’année dans le Dar al Islam…
Tous n’ont cependant pas cette sagesse. Certains, plus radicaux que leurs frères en émigration, trouvent que leurs nouveaux pays ne sont pas, sommes toute, encore assez purs et assez musulmans. Ils rejoignent alors des groupes islamistes locaux au grand dam des autorités qui les renvoient alors … en France ! C’est ce qui s’est produit l’an passé pour trois « français de papier » que le Yémen a expulsé après les avoir emprisonné durant six mois. C’est la mésaventure qu’a connu aussi le Français Ould-Aissa Charef, qui a séjourné durant treize mois dans les geôles de Ryad avant que Nicolas Sarkozy, en visite en Arabie saoudite, obtienne son élargissement en novembre 2009.