Le suffrage universel a quand même un sérieux inconvénient : le résultat n’est pas toujours politiquement correct. On serait alors facilement enclin à remettre en question ce sacro-saint tabou de la démocratie parlementaire, si ce n’était le risque de se voir immédiatement qualifié des pires intentions totalitaires.
À moins, évidemment, que la contestation d’un résultat électoral soit, lui, politiquement correct.
Les exemples foisonnent: des États-Unis d’Amérique qui ont non seulement élu George W. Bush, mais l’ont réélu, les Russes qui ont fait de même avec Vladimir Poutine avant de choisir son propre candidat à sa succession, les Italiens qui ont ramené Silvio Berlusconi à la tête de leur État avec une majorité absolue… et la France qui s’est jetée dans les bras de Nicolas Sarkozy après avoir qualifié la fois précédente Jean-Marie Le Pen pour le second tour de la Présidentielle… et, the last but not the least, la semaine dernière, les Irlandais refusant de ratifier le traité de Lisbonne à plus de 53 % ! C’est du bout des lèvres que la plupart des commentateurs, outrés de ce crime de lèse-Union européenne, admettent avec dégoût qu’il faut « respecter le vote irlandais », mais en s’interrogeant aussitôt sur les possibilités… de ne pas en tenir compte.
Aussi, les instances européennes envisagent le plus sérieusement du monde… non pas de faire « revoter l’Irlande », mais d’« amener les l’Irlandais à se prononcer à nouveau, positivement cette fois. Tel est l’option privilégiée par Nicolas Sarkozy et qu’il s’efforcera de favoriser lors du Conseil européen de Bruxelles, jeudi et vendredi (…) Aucune recette miracle n’est à attendre vendredi soir, les solutions doivent être apportées par les Irlandais eux-mêmes, livrait-t-on à Paris ces jours derniers avec des airs de chattemite. »(1)
Comme si, d’une certaine manière, c’était la nation qui avait mal voté, et non pas son peuple… Affirmation qui fait fi de ce que la plupart des dirigeants irlandais, à l’instar des autres dirigeants européens, avaient fait campagne pour le « oui ».
Bref, c’est sans la moindre vergogne, qu’on méprise les résultats des urnes de la verte Erin… et qu’il est probable désormais qu’on impose les desiderata des dirigeants européens par un biais quelconque, comparable à ce qu’est le sarkozien Traité de Lisbonne pour contrecarrer le vote négatif en 2005 des Français à la giscardienne Constitution européenne. Mais c’est aussi probablement ces manières de voyous auto-proclamés démocrates – bien semblables finalement aux manières des voyous désignés non-démocrates – que les Irlandais, après les Hollandais et les Français, ont refusé. Ce n’est pas l’Europe ni la louable union de ses peuples.
Les caciques de l’Union européenne ferait bien d’y songer et d’en tirer les conséquences. Faire leur mea culpa, en quelques sortes… et changer de mœurs politiques. On peut rêver, n’est-ce pas ?