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:: « Demain, Quelle Europe ? »
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06/07/03 |
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22.24 t.u. |
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Tahir de la Nive |
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Intervention de Tahir de la Nive, du Conseil Islamique de Défense Européenne. Auteur de : « Les Croisés de l’Oncle Sam » Animateur de « Centurio » Le 29 juin 2003 à Paris, Salles « Les Berthelots »
Invité par Thierry à vous faire part de mes pensées sur ce que sera ou pourrait être l’Europe de demain, il se trouve que je viens de retaper un texte de conférence en vue d’en faire une bouquin : Guénon, Clausewitz et la doctrine islamique du Tawhid ; démontrant la convergence des doctrines clausewitzienne et guénonienne avec celle de l’Unité transcendantale, ou mieux comment les deux premières s’intègrent dans la troisième. Le colonel Trinquier a écrit que Clausewitz était le moins lu des auteurs le plus souvent cité – on pourrait de même dire que le Coran est de tous les livres les souvent cités celui qui a subi le plus de falsifications, ainsi que j’en ai fait la démonstration dans mon ouvrage « Les Croisés de l’Oncle Sam ».
Bonapartiste et adepte du concept d’Eurislamisme c’est donc à une analyse à la fois guénonienne et clausewitzienne de l’Histoire de notre Continent, à une vision de ce que sera ou pourrait être l’Europe de demain que je vais me livrer ici ce soir.
On qualifie l’homme de Droite de pessimiste, l’homme de Gauche d’optimiste. Paraphrasant Georges Valois, je dirai n’être ni de l’une ni de l’autre, mais aller de l’avant. Il est un verset 13/11 du Coran que j’aime citer : L’Unique ne change rien en un peuple, qu'il n'ait déjà changé en lui-même. Ce verset parle donc de « peuple », mettant l’accent sur la nature éminemment collective, populaire et nationale du fait islamique. C’est donc à chaque peuple à opérer sa propre révolution, au sens étymologique d’accomplissement de son cycle historique, à opérer son propre redressement. Certains peuples parviennent à accomplir cette révolution, à se recycler au sens propre du terme. D’autres n’en sont pas capables et disparaissent. Ce verset du Coran met donc l’accent sur l’aide divine au peuple qui fait preuve d’assez de courage pour opérer la révolution totale, intérieure, culturelle avant d’être politique et sociale.
La question qui se pose à nous, Européens, est donc de savoir si nous avons encore la force, le courage d’une telle révolution. Si, en dehors de slogans faciles, nous avons encore la volonté de survivre et, je dirai même, le droit de survivre. Car le droit de survivre d’un peuple est lié à sa mission historique. Un peuple inconscient de sa mission historique dépérit, cesse de croire à son propre avenir, et de ce fait, cesse d’avoir un avenir.
Je serais donc, moi aussi, tenté par le pessimisme ambiant. En fait, je vous donnerai ce soir trois visions de l’Europe de demain, la pessimiste, l’optimiste, la réaliste. L’opinion est aujourd’hui générale, en France en particulier, que les choses ne peuvent continuer longtemps de la sorte, que nos dirigeants conduisent nos pays d’Europe droit dans le mur. Ceci en ce qui concerne les problèmes économiques et sociaux immédiats, accessibles aux gens de la masse. Et puis, il y a des problèmes beaucoup plus vastes, des périls beaucoup radicaux, aux sources beaucoup plus profondes. Les premiers découlent en réalité des seconds. Nous touchons donc aujourd’hui à la fin d’un cycle pour nos peuples européens, avec, comme je le disais, une alternative radicale : nous serons, Européens, capables de nous recycler, ou bien nous disparaîtrons. On parle actuellement beaucoup du « devoir de mémoire » des peuples. Un peuple, pour prétendre à un avenir, devrait être conscient de son passé. C’est juste, mais encore faut-il qu’il soit capable d’analyser ce passé, et de l’analyser en prenant pour critères les principes permanents, traditionnels au sens que Julius Evola et René Guénon donnèrent à ce terme. La quarantaine de minutes que m’a allouée Thierry ne me permet pas une analyse qui prendrait plusieurs volumes et que les deux auteurs cités ont d’ailleurs faite bien mieux que je ne saurais le faire. Aussi prendrai-je des raccourcis, faisant remonter le processus de décadence des peuples européens à l’époque où, à en croire Cicéron, deux augures ne pouvaient se rencontrer sur le forum de Rome sans rire l’un de l’autre. Nous entrons là dans la phase de déclin de la spiritualité et de la Théocratie européenne. Dans la colonisabilité des peuples européens. Il s’agit ici du discrédit de la caste sacerdotale, des Brahmanes, si on se réfère, comme Guénon le fait, au système des castes de l’Hindouisme. A ce stade, l’unité est rompue entre la volonté divine et celle de l’Etat. Les tenants de la fonction pontificale qui constitue le lien entre les sphères célestes et la cité terrestre - voyez le lien étymologique entre « orbs » et « urbs » en Latin - , les Brahmanes, donc, n’en sont plus alors qu’à tenter, par des oracles de plus en plus bidon, de deviner - voyez le lien étymologique entre « devin » et « divin » - de deviner la volonté divine afin de la faire connaître à la caste des Kshatryas, la caste royale, à la fois militaire et politique. En ce qui nous concerne, nous autres, peuples européens, il importe de reconnaître que notre colonisabilité coïncide avec le moment où nous avons renié notre spiritualité, rejeté nos Druides et nos mages pour nous soumettre à une religion étrangère importée et imposée par le feu et par le fer, avec la montée sur le trône de César d’un faux pontifex prétendant qu’il fallait désormais rendre à César ce qui revenait à César et à Dieu ce qui était à Dieu, niant le caractère divin de l’Autorité impériale. C’est dans cette fameuse phrase qu’il faut retrouver la source de la double dichotomie qui affecte tout l’Occident. Et, malheureusement, le processus de décadence de nos peuples européens. Une dichotomie interne, celle entre le spirituel et le temporel d’une part, avec en un second temps la division de la Nation, du Peuple, de l’Etat, de l’Armée. Quand le lien de la transcendance qui unissait ces quatre éléments s’est rompu, ils ne pouvaient que rouler chacun sur sa propre pente, chuter de la sacralité originelle dans l’athéisme. Aujourd’hui, en Europe, c’est à qui trompera le mieux l’Etat. Les gens en sont fiers et ceux qui en donnent l’exemple sont ses premiers serviteurs ! Il y a même en France des gens dont c’est le métier de connaître toutes les astuces pour payer le moins possible d’impôt.
Une dichotomie interne donc, en même temps qu’une cassure externe, entre l’Europe devenue l’Occident idéologique et le reste du monde, les autres civilisations d’Afrique, d’Asie restée fidèles aux fondements traditionnels dont j’ai parlé, dans la mesure où elles mêmes n’ont pas été occidentalisées.
Le concept de colonisabilité a été développé par un très grand penseur algérien, Malek Bennabi : il décrit l’état d’une peuple qui a perdu la foi en lui-même, en sa mission, qui est prêt à accepter le joug politique de l’étranger, parce qu’il a déjà accepté ses valeurs culturelles ; un de ses compatriotes, Sahli, nous laissant une sentence à méditer : Il est plus facile de libérer le territoire que de libérer l’esprit. Aujourd’hui, le pôle de l’Occident idéologique est passé du Vatican à Wall Street et les chefs d’Etat européens ne doivent plus, comme Frédéric Barberousse, aller à Canossa, mais à Washington implorer la clémence de leur maître. L’unipolarité yankee a désormais remplacé l’unipolarité papale et on peut dire qu’entre 1792 et 2001, l’Europe aura connu différentes tentatives, différentes chances de sortir à jamais de cette dictature à l’échelle universelle de l’Occident idéologique ; que ces tentatives ont échoué, que ces chances ont été gâchées, et qu’en conséquence la société européenne d’après 2001 est retombée dans ce qu’elle était avant 1792, c’est-à-dire la féodalité.
Pourquoi ces deux années : 1792 et 2001 ? Parce qu’elles marquent dans l’Histoire de France l’instauration et la fin de la conscription militaire. En réalité, c’est en février 1793 que le Comité de Salut Public décréta la levée en masse de 300.000 hommes, environ 6 mois après la chute de la monarchie et de ce qu’il restait de féodalité. Vous verrez dans un instant toute l’importance de ce phénomène. Malheureusement, la grande majorité de nos compatriotes n’a pas saisi la signification profonde de la fin de la conscription, y voyant simplement une mesure d’adaptation, de réorganisation de nos forces armées, alors qu’il s’agit d’un facteur sociologique déterminant, d’une véritable rupture. Ainsi que le démontre Clausewitz, il y a une étroite interdépendance entre société civile et nature de l’armée. C’est une des choses sur lesquelles j’aimerais attirer votre attention ce soir.
Je parlais de féodalité. Qu’est-ce, en effet, que la féodalité ? C’est précisément le bris de la société en castes fermées. Mais alors que la féodalité d’avant 1792 avait quelques justifications historiques, la noblesse descendant à l’origine de la chevalerie médiévale, la nouvelle féodalité, celle dans laquelle nous entrons actuellement, ne se fonde que sur le plus bas matérialisme et la richesse amassée par l’Usurocratie.
On a beaucoup parlé des fameux philosophes et encyclopédistes comme étant les fossoyeurs de l’ancienne féodalité ou, si on préfère, les idéologues de la Révolution Française. On ignore généralement le rôle de l’Armée dans cette remise en question. Paradoxalement diront certains, ce furent des officiers nobles – il fallait alors être noble pour être officier – qui lancèrent le mouvement. En France, un nom s’impose : celui de Guibert. Il y en eut beaucoup d’autres. Je pense en particulier au magnifique ouvrage du Chevalier d’Arcq : La noblesse militaire ou le Patriote Français. Comme le savent ceux d’entre-vous qui me connaissent, les questions militaires me tiennent particulièrement à cœur ; je ne vais pas m’y appesantir ici ce soir, mais je traite de ces questions dans la publication Centurio ainsi que dans certains écrits, comme celui que j’ai mentionné : Guénon, Clausewitz et la doctrine islamique du Tawhid. Même des généraux aussi attachés à la monarchie que Folard, Puységur, et le maréchal de Broglie devaient, dans les années 1780, admettre le malaise de l’Armée, cherchant au niveau tactique une révolution dans la conduite de la guerre qui ne pouvait venir que d’une révolution de la société, comme le virent Guibert, Servan, ministre de la guerre en 1792, et tant d’autres. En Allemagne, ce fut bien sûr, avec un temps de retard, celui de la durée des guerres de 1792 à 1815, Clausewitz et l’école des officiers réformateurs, Scharnhorst, Gneisenau, etc. Deux ouvrages parurent d’ailleurs à la même époque, vers 1830 : le Vom Kriege de Clausewitz et Servitude et Grandeur militaires d’Alfred de Vigny, deux livres si différents mais si complémentaires !
Deux ouvrages que nous pourrions reprendre aujourd’hui presque mot pour mot, à l’heure où dans toute l’Europe on assiste à un nouveau malaise de l’Armée, malaise qui n’est autre, comme en 1788, que le refus de la féodalité, plus précisément du mercenariat. Mais alors qu’en 1788, on s’apprêtait à en sortir, en l’an 2001 on y est retombé. Selon Clausewitz il importe donc d’observer la liaison étroite qu’il y a entre tel type d’armée, tel type de guerre et tel type de société. L’armée de métier, l’armée mercenaire, c’est l’armée de la guerre limitée, celle qu’avant la Révolution se livraient les princes, dans leurs seuls intérêts et non dans ceux de la Nation. Le concept de Nation n’existait d’ailleurs pratiquement pas à l’époque. Ou alors il était considéré comme hautement subversif. Rappelons qu’en août 1790, eut lieu à Nancy une mutinerie et qu’un des mutins, d’ailleurs un Suisse, périt supplicié sur la roue, au cri de Vive la Nation ! Le Nationalisme était alors considéré comme une idée de gauche, une idée subversive. Les militaires eux-mêmes sont, dans ce cadre, de purs techniciens, offrant leur service au prince qui paye le mieux. Peu leur importe le but de la guerre qu’ils mènent. Ils n’ont aucun lien avec le peuple, qui ne se reconnaît d’aucune manière dans l’armée et dans la politique qu’elle sert. La guerre a d’ailleurs un caractère tout à fait artificiel, celui d’un duel entre deux armées se faisant face, incapables et d’ailleurs peu désireuses d’en venir au combat véritable, les armes de destruction massive ayant pour résultat de fixer les fronts et d’empêcher une solution militaire au conflit. C’est le type de guerre qui profite uniquement aux capitalistes, aux marchands de canons et aux usuriers. Il est donc de l’intérêt de ces derniers qu’il y ait autant de guerres que possible et que ces conflits soient interminables, car plus ils durent, plus ils en profitent.
Or, c’est exactement ce que nous voyons aujourd’hui, avec la suppression de la conscription, le retour aux armées de professionnels. Il vous suffit de jeter un coup d’œil aux actuelles affiches de recrutement de l’Armée. Elles sont rédigées dans le style du 18e siècle, on y vante la bonne solde, la vie aventureuse. On n’y voit plus, comme au début du 20e siècle par exemple, des drapeaux et autres symboles du patriotisme. Peu importe contre qui on va se battre, peu importe les considérations morales et idéologiques, du moment que la solde est bonne, qu’il y aura des primes et qu’on a peu de chances d’y rester. Car, naturellement, c’est toute la notion de sacrifice qui est évacuée de la fonction militaire. On ne va pas se « sacrifier » pour l’oncle Bush, pour la démocratie, pour le pétrole, comme on se sacrifierait pour la Patrie, pour le droit de prospérer du Peuple. Je rappelle l’étymologie de « sacrifice » : porter au sacré, rendre sa vie sacrée en la portant devant l’autel de la Patrie. Ici, rien de semblable. Dans son livre sur la guerre moderne, le général Salvan racontait que la mère d’un soldat tué sous ses ordres l’avait insulté. En effet, il est dur pour une mère d’avoir son fils tué pour une cause à laquelle elle ne comprend rien, telle que l’était l’intervention française au Liban en 1983. On peut comparer cela avec la fierté des parents dont le fils était tombé en héros à Jemmapes, à Wagram, ou plus près de nous encore à Verdun, dans une guerre dont dépendait la grandeur ou même la survie de la Nation. Ainsi qu’à pu l’écrire l’historien Jacques Castelnau, comparant les armées de 1793 à celles de la féodalité défunte, les premières font la guerre, les secondes le métier de la guerre.
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