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Discours sur l'Europe

20/07/04 16.28 t.u.
Louis Vinteuil

En relisant les livres qui m’avaient formé, j’ai éprouvé le désir à la fois vif et anxieux de dresser un bilan intellectuel, à l’aube du troisième millénaire de notre société globale. Une remise en cause pouvait à mon sens n’être que bénéfique. Un examen semblable fut sans doute entrepris par de nombreux nationalistes au lendemain de 1945. Ainsi, en méditant sur les écrivains qui m’ avaient bien sûr influencé, j’ ai voulu savoir ce qui « tenait » encore, à l’heure du mondialisme triomphant dans lequel l’Europe était plongée. Il s’agissait pour moi d’un long travail de défrichage et de réflexion qui ne devait pas aboutir à une simple anthologie, matière qui restait indéniablement épuisée, un exercice qui fut pratiqué par de nombreux auteurs remarquables. Non ma démarche n’était pas celle d’un collage minutieux, travail de ciseaux et de papiers. Plus qu’une synthèse de fragments de théories et de pensées, il s’agissait pour moi à l’image d’une partition musicale inachevée de dégager des lignes idéologiques directrices, un travail de composition qui puisait dans le passé et s’inscrivait dans le présent. Au fil des citations des écrivains qui appartenaient tant à la culture française, germanique, espagnole ou italienne, je me suis efforcé de ne pas tracer l’ébauche d’une liste exhaustive, d’un panorama idéologique où le lecteur pouvait découvrir à sa guise des répétitions et des lacunes. D’ailleurs pourquoi lui refuser ce plaisir. J’évitais de même de tomber dans l ‘écueil d’un éclectisme touffu qui ne pouvait que générer la confusion dans l’esprit des lecteurs. Baudelaire affirmait que » l’oeuvre d’un éclectique ne laisse jamais de souvenir ». Non, au fil de mes réflexions alimentées par de nombreuses citations qui j’espère ne lasseront pas les lecteurs déjà accoutumés à ce type de lecture, j’entendais dresser un tableau synoptique d’idées qui constituerait la charpente d’un discours idéologique collectif, cohérent et fécond par l’entremise d’un dialogue qui s’instaurerait d’emblée entre les auteurs étudiés. J’ ai constaté que sur des sujets fondamentaux et dans des disciplines différentes, les positions se rencontraient à merveille. De souche germanique , française ou latine, je voyais naître des rapprochements et des analogies les plus fécondes. Quant aux divergences, elles étaient si riches et complémentaires que je ne souhaitais pas les réduire. L’Europe d’après 1945 et l’Europe de nos jours ne sont guère différentes et présentent des similitudes flagrantes ou plutôt portent les mêmes stigmates de la décadence. Depuis la guerre froide jusqu’au monde unipolaire américanocentré de nos jours, l’Europe semble inéluctablement engagée dans une lente agonie caractérisée par un climat généralisé de déliquescence, la corruption des moeurs, la décomposition des forces nationales, l’incivisme, l’anomie généralisée, l’irresponsabilité et la pusillanimité des démocraties parlementaires, l’imposture libérale et le déclin de la notion de souveraineté. La blessure et l’humiliation infligées à l’Europe au lendemain de 1945 ne cessa de grandir et d’affecter les organismes vivants que sont les peuples européens : d’est en ouest les mêmes maux accablent l’Europe d’hier comme celle d’aujourd’hui, et je persiste à croire que les mêmes remèdes restent indispensables pour une renaissance authentiquement européenne.

Ainsi les thèmes traités dans le présent ouvrage me semblent être d’une actualité flagrante et certaine. Remonter à l’essence, à la source spirituelle de la pensée européenne, c’est reconnaître que dans sa solidarité comme dans sa diversité, l’Europe est et restera avant tout nationale, révolutionnaire et aristocratique. Cette Europe apparaissait ainsi dès le XIXième siècle aux plus hauts et sages de nos penseurs à un Goethe, un Renan. Michelet, Proudhon, Quinet, fils de 1789 et militants de la génération de 1848, traitaient déjà des thèmes socialistes et nationaux : respect de la force, critique de la démocratie, culte du travail et de la patrie, contre-religion. La génération de 14 et la « camaraderie » de 1945 feront entendre la même mélodie martiale : reconquête de la virilité, fidélité à la fraternité des tranchées, exaltation de l’héroïsme guerrier ; Péguy, E. von Salomon, Moeller van den Bruck, E. Jünger, Georges Sorel apportaient un bain de jouvence révolutionnaire à la pensée nationale. Mais le discours collectif si brûlant d’actualité des pères spirituels de l’Europe me semblait à lui seul insuffisant. J’ai pensé qu’il ne pouvait y avoir de recensement et d’exégèse valables sans une confrontation de cette pensée avec celle du système dominant. Je décidais donc de suivre le fil conducteur et les contours de cette pensée pour en dégager les traits les plus saillants et incisifs avant d’introduire mon propre commentaire tout comme ma modeste contribution. Sans tomber dans le carcan d’un exercice mémorialiste, les orientations idéologiques que je présente ne sont au fond que l’expression et l’aveu de mon idiosyncrasie personnelle et intime, une sorte de caisse de résonance intérieure. J’ai voulu dépasser la simple dimension réactive d’une pensée hétéroclite et à la fois cohérente, pour en extraire les matrices constantes et stables qui imprègnent les diverses chapelles de pensées dite de « droite », le plus souvent dispersées voir rivales. Ces matrices idéologiques représentent à mes yeux « un filon de vérité concédé à la race des hommes » et se rattachent donc à la même tradition européenne oecuménique, n’en déplaise à tous les détracteurs et aux nombreux pourfendeurs de l’esprit européen éternel. Puisse cet esprit européen entretenir la flamme pour tous ceux qui sont plongés dans le silence d’une émigration intérieure ou engagés dans le feu d’une action militante et gardent la foi en l’Europe de demain : nationale, révolutionnaire et aristocratique. Je commencerai par redonner le sens des mots ou par les écarter . Nous assistons actuellement aux débats sur l’Europe, insipides et d’une platitude déconcertante. J’entends quotidiennement les voix dissonantes, les mots parfois codés des technocrates bruxellois qui se pavoisent sans vergogne dans les hémicycles cossus de l’Union Européenne , pour nous donner l’illusion d’un débat passionné et fructueux sur l’avenir de l’Europe. Européisme, confédéralisme, fédéralisme, approfondissement, uniformité. Le moindre ignare averti ne verrait dans ce prêchi-prêcha des pseudo-chapelles divisées, qu’un faux dilemme, un bluff consensuel ; ici la duperie des mots et des concepts frileux vidés de leur sens est délibérée et fait l’unanimité. La fumisterie est si bien organisée que tous sont d’accord en dépit des gesticulations rhétoriques sur le maintien d’un statu quo d’une Europe ploutocratique inféodée au Diktat de Washington . Absence de vision ? non il s’agit plutôt de la persistance du consensus d’une oligarchie stipendiée qui s’oppose à toute véritable idée et construction de l’Europe. Et c’est pourquoi , je pense qu’à chaque fois que les technocrates de Bruxelles prennent la parole, qu’ils ne font que profaner la mémoire et le sens le plus noble que l’on peut attribuer à l’idée d’Europe. Car enfin, pour parler de l’Europe, il faut non seulement être conscient du devoir qui découle de l’héritage spirituel, religieux et historique que cela implique, et dont tous les européens sont les dépositaires. Oui, lorsque je pense à l’Europe, je pense avant tout à la dignité, au respect et à la noblesse d’esprit ainsi qu’ à un certain idéal de l’homme. Le poète Hugo von Hofmannsthal associait l’Europe à essence spirituelle. Ceux qui ont une vision de l’Europe sont ces nouveaux européens qui se battent pour reconquérir et réintégrer cette essence spirituelle. Il s’agit d’une communauté silencieuse et agissante pour laquelle la notion de la culture européenne constitue une norme absolue et pour laquelle la perspective triomphante de la renaissance européenne s’inscrit dans le cadre d’une « expérience rafraîchie de cette idée dans son antique sainteté » . Essence spirituelle, l’Europe c’est aussi une manière d’être, une sensibilité spécifique. Un peu à la manière des chevaliers errants, des Condottiere, des hussards ou des lieutenants de Panzer, il s’agit d’un certain style, une façon particulière de se tenir droit, de conjurer la mort jusqu’au bout de son destin, servir noblement une cause à sa mesure, mépriser les compromissions, rire de ses propres illusions et accepter la mort au combat, gaiement. Plus qu’une morale, il s’agit d’une attitude qui puise ses sources dans une certaine conception de la vie qui glorifie les vertus du courage, de la force, de la discipline, de la générosité et de la justice, valeurs aristocratiques qui sont le ciment des sociétés saines et fortes.

CRITIQUE DE LA DEMOCRATIE: REALISME ET NECESSITE

Plus encore qu’hier, l’Europe a irrémédiablement besoin d’un bain de vérité. La seule cause de l’ignorance collective ne réside pas uniquement dans l’intoxication généralisée de l’opinion publique par la manipulation des médias. Il faut reconnaître que la principale cause de ces malheurs est que les gouvernants successifs ont vu et voulu comprendre les causes non comme elles étaient au réel, mais comme elles auraient dû être pour se conformer aux théories à la mode. L’apparente douceur de la vie, les bienfaits de la société de consommation , l’ivresse hédonistique de la « cité de la joie permanente », la prospérité précaire donnaient des miettes de pain à l‘Europe grâce aux « progrès scientifiques ». Les technologies high-tech et les vertus du marché global ont conduit beaucoup d’esprits à perdre de vue le fond même de la nature humaine. Ainsi, un réalisme lucide et mesuré s’impose avant tout pour dissiper les nuées, un réalisme qui fondé sur la nécessité constitue la première étape préalable à toute réflexion éclairée. Comme Montaigne l’a si bien noté dans ses essais, les êtres humains sont le plus souvent caractérisés par l’inconstance de leurs pensées et de leurs actions. « Nostre façon ordinaire, c’est d’aller après les inclinations de nostre apetit, à gauche, à dextre, contre-mont, contre-bas, selon que le vent des occasions nous emporte. Nous ne pensons ce que nous voulons, qu’à l’instant que nous le voulons, et changeaons comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le couche. Ce que nous vanons à cette heure proposé, nous le gageaons tantost encore retournons sur nos pas. Ce n’est que barvile et incosntance, « Ducimur et nervis alienis mobile lignum ». Nous n’allons pas ; on nous emporte, comme des choses qui flottent, ores doucement, ores avecques violence, selon que l’eau est ireuse ou bonasse ». Cette inconstance est d’ailleurs vérifiée par Machiavel dans le Prince pour lequel les hommes sont plus attachés aux biens qu’à leur propre sang et toujours prêts à changer de sentiments et de passions. L’interprétation pessimiste que fera plus tard B. Mussolini du Prince débouchera sur une apologie de l’autorité de l’Etat justifiée par l’inconstance, la nature indocile des individus « qui lorsqu’ils ne sont pas orientés, dirigés et contraints par l’Etat se montrent bas, intéressés et lâches et tendent continuellement à s’évader et désobéir aux lois ».

Cette confusion d’esprit résulte au plus profond d’une illusion d’optique qui tend à nier et contester les faits et vérités indésirables par pur souci de confort intellectuel. Ne pas reconnaître l’existence de certains faits et de vérités fondés sur la réalité est un certain signe de décadence. Or l’observation des faits, l’étude des rapports de l’homme avec la société marqués par le sceau d’une certaine permanence et d’une connaissance immuable se fondent sur la structure sociale qui participe d’une certaine discipline de constatation et de prévision. Lorsqu’un mot, un concept quelconque est ressassé par tout le monde, il faut s’en méfier. Et s’empresser de vérifier. Ainsi la démocratie , entre autre slogans trop à la mode pour être sincèrement admis par tous. A voir ce mot et ses dérivés brandis par n’importe qui à propos de n’importe quoi, il est clair que le doute est plus que permis. Il faut donc aller voir de plus près.La démocratie progressiste se fondant sur le fétichisme des « idées », il convient de répondre par la leçon des faits. Maurras prônait un « empirisme organisateur » : « l’examen des faits sociaux naturels et l’analyse de l’histoire politique conduisent à un certain nombre de vérités certaines, le passé les établit, la psychologie les explique et le cours ultérieur des événements contemporains les confirment et les reconnaît ».

En effet si le chaos contemporain dans lequel est plongé l’Europe revêt des manifestations extérieures, il n’en demeure pas moins qu’il se manifeste avant tout sous une forme de désordre interne qui cumule la coexistence des contradictions de nos idées et les inconséquences de nos actes. « L’enfer même a ses lois » proclamait Goethe dans Faust. Cette loi réside dans la dépossession de soi-même et dans la délectation de l’ignorance. Cette parfaite incohérence envahit les esprits qui sont saturés par des tendances, idées et pensées qui s’ignorent entre elles. La multitude des gens se complaisent comme drogués dans ce désordre interne et social qui gravite autour de nous comme en nous mêmes ; nous le trouvons dans la rue, dans les médias, le journal quotidien, dans notre allure, nos désirs, notre savoir. Ce désordre qui nous anime nous entraîne vers une ivresse autodestructrice. A ce propos, pour Lacordaire « quelquefois, les peuples s’éteignent dans une agonie insensible, qu’ils aiment comme un repos doux et agréable ; quelquefois ils périssent au milieu des fêtes, en chantant des hymnes de victoire et s’appelants immortels ». La confusion s’est installée dans tous les domaines de la vie sociale, politique, économique, culturelle et spirituelle ; on observe qu’à l’heure de la globalisation et de la dérégulation économique, des progrès scientifiques et des dérives biogénétiques, un état de crise généralisé est à la base de la vie individuelle et collective : crise des libertés, crise des moeurs, crise de l’économie, crise des arts. L’homme européen devient le suppôt des spéculations et des manipulations politico-médiatiques les plus perverses. Il devient le sujet passif et résigné d’un système de dénaturation globale - le citoyen, l’éligible, l’électeur, le contribuable, le justiciable, l’individu cloisonné, tout sauf l’homme libre doté d’une véritable liberté d’esprit et de jugement. Nous retrouvons cette analyse lucide chez Paul Valéry dans « Variations III » : « Nous voilà donc en proie à une confusion d’espoirs illimités, justifiés par des réussites inouïes et des déceptions immenses ou des pressentiments funestes, effets inévitables d’échecs et de catastrophes inouïes ».

DU VRAI SENS DES VERTUS

La plupart des laudateurs officiels qui vouent un culte inconditionnel à la démocratie libérale en font le panégyrique élogieux en l’élevant au rang du régime le plus vertueux. Trop souvent l’on fait la confusion entre la notion de vertu et des modes de pensées, des normes de comportement qui sont directement conditionnés par la permissivité libérale. Les vertus de la démocratie libérale seraient donc la liberté illimitée de jouir et de disposer, la frénétique jouissance des biens matériels et des droits abstraits tels que les droits de l’homme. Bref on assiste à une confusion généralisée de la notion de vertu avec celle de la notion du droit individuel qui n’est que l’expression contingente et positiviste d’une certaine forme de société donnée. Ainsi la vertu de la soi-disant modération et du juste milieu n’est qu’un euphémisme pour ce qu’on appelle compromission, alors que la liberté d’esprit reste trop souvent associée à des divagations intellectuelles et logomachiques. La liberté des moeurs confondue avec l’hédonisme social généralisé ne représente au fond que l’expression d’un paroxysme passionnel social et individuel incontrôlé qui contredit l’idée même de vertu au sens noble du terme. Car au fond, la passion, l’excès contredisent la notion de vertu qui est avant tout et par essence vocation. La liberté ce n’est pas la vertu. La vertu n’est pas la liberté. « Faire ce qui plaît n’est pas faire ce qu’on veut « disait Pascal. Le tyran qui à maintes fois sur le plan vertueux des hommes d’Etat à des moments difficiles de l’histoire, est moins puissant et le plus malheureux des hommes parce qu’il ne fait pas ce qu’il veut.

Ce que l’on appelle aujourd’hui les vertus démocratiques nous renvoie à l’image du joueur, de l’ambitieux ou du romantique fougueux, du consommateur effréné. Le vertueux moderne suit son caprice , l’opinion, l’apparence, l’air du temps, la mode ; il ne possède pas mais il est possédé : voilà sa fatalité et son supplice. La véritable passion authentique avec une tension métaphysique, c’est Phèdre. Et non la frénésie hédonistique des désoeuvrés d’aujourd’hui. Pour Descartes, est passion toute affection causée par le corps et que l’âme rapporte à elle même : quand l’âme subit son union avec le corps, elle pâtit, éprouve confusément sa servitude au lieu d’en triompher par la maîtrise, la connaissance, la discipline et la résolution. Le néoromantisme nomade contemporain fait de la passion et de la jouissance illimités une vertu ultime qui donne un élan, une énergie orientée vers une fin illusoire, on y voit un principe de liberté et d’action alors qu’elle n’est qu’une forme d’amphétamine éphémère sans consistance ni but transcendantal bien défini. Si ce monde de la consommation effrénée n’est donc que l’expression d’une passion magnifiée et désincarnée , il n’est en fait que l’image Kantienne d’une vie « dont l’ordre normal a été renversé », c’est à dire que les soit disantes vertus démocratiques modernes ne représentent en fait que les piliers d’un désordre établi. Ainsi une mise au point s’impose.

La vertu au sens noble du terme, c’est l’antique « virtus », c’est « vir », puissance. Il faut impérativement revenir à ce sens originel. Un sens aristocratique par excellence, si l’on veut parler de la vertu individuelle, ou la vertu comme fondatrice des sociétés saines et stables. La fidélité, le courage, la tempérance, vertus par excellence, sont les formes de la volonté. Même les vertus de l’intelligence se ramènent toutes à la maîtrise de soi même. L’authentique sens de la vertu s’est altéré et parfois perdu, quand au lieu de signifier l’aptitude réelle à agir, elle n’a plus désigné que l’intention privée de puissance. Il y a une vertu de chaque chose selon Platon, qui est l’excellence de sa nature propre et joint ensemble l’utilité et la beauté. Telle est la vertu de l’arc qui est de lancer, celle du cheval qui est de courir, du médecin qui est de guérir. Le conformisme ambiant des sociétés démocratiques contemporaines a provoqué des confusions et des protestations dans lesquelles s’est retrouvé le plus pur souci de moralité. Elles ont eu le mérite de rappeler que la morale se dégradait quand elle s’abaissait à justifier les institutions et les moeurs. En effet la morale dominante des droits de l’homme , ne fait que régir la pensée unique qui elle même telle une police de pensée justifie et oriente les institutions et les moeurs. Les vertus contemporaines ont été si intimement unies aux idées de liberté et de progrès qu’il est désormais impossible de les en séparer. D’où l’équivoque des vraies et des fausses vertus. La tolérance, vertu élevée dans les démocraties modernes au rang de vertu première est l’exemple type de la vertu abstraite, banalisée et vidée de son contenu. Comme Voltaire l’avait noté dans ses « discussions sur la tolérance », la tolérance de nos jours est bien loin de la notion différentialiste, hiérarchique et aristocratique propre aux Romains et aux Grecs, bien plus tolérants en matière religieuse et sociale que nos contemporains. La tolérance de nos jours s’impose comme un dogme par la seule force de l’apathie morale des masses, le règne d’une indifférence (adiaphora) qui permet de maintenir la suprématie de la pensée globale, pensée unique. La tolérance loin de constituer uen forme transcendantale différentielle de l’expérience de l’autre, d’une intersubjectivité, de l’ « Einfühlurg » husserlien, devient un instrument de répression totale, permettant de traiter l’autre, le rebelle, le proscrit, le non conformiste comme objet d’excommunication, la tolérance comme conduite légitimisante de la sociabilité politiquement correcte. La tolérance telle que l’a définit Locke dans se « Lettre sur la tolérance » est à ce titre caractéristique de la pensée libérale qui fera l’amalgame entre le terme de tolérance et le mot anglais « permissiveness ». Cette conception Rousseauiste résulte encore une fois de la croyance en la perfectibilité humaine et le culte de la subjectivité absolue. La société contractuelle devient une société totalitaire qui exige le respect des lois positives. Une fois que le contrat est passé au nom d’une prétendue volonté générale, et qu’on est d’accord sur un certain nombre de lois aucune forme de tolérance n’est plus possible pour tous ceux qui s’opposent à cet ordre de choses. La tolérance pourrait renvoyer à une certaine idée de la vérité. Et il faut apprendre à tolérer les erreurs commises au nom des utopies idéologiques . Cependant dans les sociétés modernes, la tolérance de cette erreur est bannie. La tolérance moderne est le contraire de la vertu, elle est le support de contre-vérités qui ne devraient pas être tolérées mais combattues.

La vraie vertu est toujours une disposition acquise et un choix volontaire. D’autre part la vertu est toujours l’excellence de la fonction ; toute vertu selon la qualité dont elle est la perfection est ce qui produit cette perfection et fournit le mieux le résultat attendu.Aristote pensait que « la vertu est donc une disposition acquise volontaire, elle est en ce sens un sommet «. Avoir le sens de la vertu, ce n’est rien de plus que de ressentir une satisfaction d’un genre particulier à la contemplation d’un caractère particulier, le beau et l’ordonné. Comme David Hume l’avait si bien noté, c’est ce sentiment d’excellence et d’admiration lui même qui constitue notre propre éloge. La vertu ne saurait se soumettre à un prétendu sens moral. La conscience de la vertu serait en ce sens immédiatement liée au contentement et à la satisfaction ramenant ainsi toute chose au désir de bonheur personnel, le vice ou le bonheur. En ce sens l’homme vertueux ne devait pas se rabaisser à devenir ce que Nietzsche appelle « un âne de la vertu, c’est à dire un homme d’espèce inférieure, qui n’est pas une personne mais dont la valeur consiste à être conforme à un schéma de l’homme , fixé une fois pour toutes ». La vertu n’a que faire et ne peut s’accommoder d’un simple sentiment de bien être. La vertu est je le répète puissance, une tension continuelle sur le chemin de la pleine re-possession de soi même. Hegel voyait dans la vertu « une signification précise et sûre, car elle avait un contenu solide dans la substance du peuple et elle se proposait comme but un bien effectivement réel, un bien déjà existant, elle ne se révoltait donc pas contre la réalité effective entendue comme perversion universelle, et contre un cours du monde donné ». Les vertus pseudo-démocratiques de nos jours sont en dehors de toute substance, privées d’essence elles ne sont que des « vertus vides » et plates, déluges de phrases insipides, privées de contenu. A. de Saint-Exupéry faisait remarquer à ce propos : « Ce que j’ai fait, je le jure ,jamais aucun ne l’a fait auparavant ». Etrangère à tout ressentiment et mauvaise conscience, la vertu est par essence responsable et lucide. La vertu, puissance, responsabilité consentie est intimement liée au sentiment de la vie. Alfred de Vigny écrivait : » Tandis que toutes les vertus semblent descendre du ciel pour nous donner la main et nous élever, une vitalité indéfinissable parait venir de nous mêmes et tendre à monter jusqu’au ciel, c’est une vertu toute humaine que l’on peut croire née de la terre ». Cette vertu liée à la terre, à la vitalité, n’est autre que la vertu primordiale, mère de toutes les autres vertus, l’honneur. « C’est une religion mâle, sans symboles et sans images, sans dogmes et sans cérémonies, dont les lois ne sont écrites nulle part ». L’homme au nom de l’honneur sent remuer quelque chose en lui même, et cette secousse réveille toutes les forces de son orgueil et de son énergie primitive. Une fermeté invincible le soutient contre tous et contre lui même à cette pensée de veiller sur le tabernacle pur, qui est dans sa poitrine comme un second coeur où siègerait un dieu ». L’honneur , c’est la vertu première, c’est l’excellence, la conscience exaltée. C’est le respect de soi même et de la beauté de sa vie portée jusqu’à la plus pure élévation et jusqu’à la passion la plus ardente. Marcel Jouhandeau rappelle « que si la vertu ne trouve pas sa récompense en elle même, elle n’est pas la vertu. » La vertu n’est pas autre chose que la vie simple et glorieuse. Et la grandeur morale si morale il y a, se reconnaît à la noblesse des intentions. Le héros n’imite pas, il improvise, il invente ses moeurs. La vertu n’est au fond que la maïeutique sublime de l’honneur. « On veut confondre de tels hommes avec les toréadors et les joueurs. On vante leurs mépris de la mort. Mais je me moque bien du mépris de la mort. S’il ne tire pas ses racines d’une responsabilité acceptée ». Et l’honneur doit pour être grand s’enorgueillir de l’élégance, l’élégance qui est le suprême devoir.

LA LIBERTE : DISSIPATION DES EQUIVOQUES

A propos de la liberté, il conviendra tout d’abord de replacer les choses et les concepts à leur place. La réalité étant le plus souvent la projection de notre subjectivité, se pose alors la question de savoir si l’idée de la sacro-sainte liberté qui fait le fondement des démocraties libérales, ne serait au fond qu’un leurre. En effet les formes et les pièges de l’illusion sont multiples dans la mesure où vivant dans le monde, nous ne pouvons guère percevoir ce monde que d’une manière tantôt réelle, tantôt illusoire, selon les changements de perspective ou selon le lieu que nous occupons prisonnier dans la caverne. Il en est de même de la liberté que l’on proclame à tout bout de champ, à chaque occasion, sans pour autant faire l’examen du rapport que cette liberté entretient avec l’espace, la fonction que nous occupons. La liberté comme catégorie intrinsèque ne saurait se suffire à elle-même, et elle est toujours fonction d’un certain ordre de choses. Considérée sous un angle autonome , cette liberté participe d’une illusion idéaliste. Spinoza écrivit à ce propos : » l’histoire de l’homme a démontré qu’il faut reconnaître qu’il n’était pas au pouvoir du premier homme d’user droitement de la raison, mais qu’il a été comme nous le sommes, soumis aux passions ». Dissocié d’un certain ordre des choses, détaché de la notion d’autorité, il est juste de croire que l’usage de la liberté deviendrait très vite excessif, incohérent et soumis aux caprices de la passion. Ainsi l’homme étant un être inachevé reste soumis aux jeux de l’erreur, de l’abus, de l’avidité et de la cupidité ; en ce sens souvent la liberté telle qu’il l’a conçoit dans son esprit devient le plus souvent une duperie consciente ou inconsciente. Pascal en déduisait : » il faut commencer par là le chapitre des puissances trompeuses. L’homme n’est qu’un sujet plein d’erreur, naturel et ineffaçable sans la grâce. La vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle ; on ne fait que s’entre tromper et s’entre flatter. L’homme n’est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie et en soi même et à l’égard des autres. Il ne veut pas qu’on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres ». Ainsi l’idée de liberté est indubitablement inséparable de l’idée de vérité et le propre de l’exigence de la vérité est de douter. Il conviendrait dans un premier temps de douter de l’idée même de la notion de liberté. « C’est le propre du sot de douter rarement, du fou de ne douter jamais ; l’homme de bon sens se reconnaît à ce qu’il doute beaucoup » écrivit Charles Renouvier. Or la première affirmation, tant soit peu certaine que l’on peut faire est celle que comme la vérité, la liberté ne se décrète pas plus qu’elle ne se constate. Les vérités elles mêmes ne pourraient être comme le constatait Nietzsche « des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été versées et qui ont perdu leur force sensible. Cependant l’on pourrait opposer les vérités de fait et les vérités de raison. Les vérités de fait, si elles contiennent les germes d’une illusion sont néanmoins vérifiables par la perception et la reconnaissance des erreurs que l’on a commis dans le temps et l’espace. Au contraire les vérités de raison comme le dit Merleau-Ponty sont de nature constructiviste et abstraits et « il n’est pas une vérité de raison qui ne garde un coefficient de facticité ». Il en est ainsi de la liberté qui pour être vérifiable ou du moins appréciable doit être soumise à l’épreuve des faits. Or certaines vérités sont dans le monde moderne indésirables. Ainsi Alain affirmera dans ce sens : » il y a des vérités qu’on ne cherche point et qu’on n’aime point, ou même qu’on repousse comme on refuse certains aliments ; on ne s’instruit point si l’on refuse de s’accorder ». Or la vérité est que la liberté dans le sens contemporain qu’on lui donne s’est transformée en un sacro-saint dogme qu’on instrumentalise à des fins politiques. Or le dogmatisme des temps modernes constitue l’une de plus grandes illusions La liberté, qui devient le prétexte abstrait et constructiviste pour pallier aux lacunes de l’ignorance collective, devient un paralogisme de la raison ; en transformant les faits, les choses en concepts, c’est à dire en les érigeant en réalité une abstraction fictive, ce qui donne naissance au dogme à la science imaginaire de la liberté des ploutocraties modernes. Le mot illusion du latin « ludere » renferme l’idée d’un jeu, d’un artifice dont nous serions victimes. Mais le plus souvent les hommes ne sont pas les victimes mais les complices. Ils deviennent les artificiers complaisants de l’illusion de liberté : liberté d’aller et venir, d’expression, sexuelle, d’opinion, de travail, de jouir sans frein ni limite ; comme le constate Bardèche la liberté devient une industrie de libertés, un parc d’attraction où se complaisent les individus, dans le jeu et le négoce des libertés bon marché. La liberté par excès de subjectivisation est soumise à la dérive d’un hédonisme ludique sans fin. A qui aura plus de liberté ? est la question qui se substitue à celle quel est le sens que je donne à la liberté ? En effet la liberté vidée de son sens tend à devenir de plus en plus une de ses détestables mots qui ont plus de valeur que de sens. C’est ce que Paul Valéry proclamera : »Liberté : c’est un de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens, qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de théologie,de métaphysique, de morale et de politique ; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fins de phrases qui déchaînent le tonnerre ». Tous les sempiternels débats, toute la thématique de la liberté auxquels on assiste quotidiennement et qui alimente l’industrie de tout un petit monde d’intellectuels, de philosophes du système dominant restent tout aussi illusoires. Et Valéry arrivait à la conclusion suivante : » je ne vois donc point de « problème de liberté » ; il n’y a au fond qu’un problème de l’action humaine, donc de l’usage responsable ou irresponsable que l’on fait de la liberté ». La liberté implique inéluctablement l’idée de responsabilité et d’activité. La Bruyère avait une définition austère de la liberté : « la liberté n’est pas oisiveté ; c’est un usage libre du temps , c’est le choix du travail et de l’exercice. Etre libre en un mot n’est pas ne rien faire, c’est être seul arbitre de ce qu’on fait ou de ce qu’on ne ait pas ».

L’IMPOSTURE DU LIBERALISME

Le libéralisme constitue dans le monde moderne l’idéologie dominante, une école, une chapelle, une secte planétaire avec ses gourous, ses cénacles, sa hiérarchie de prévôts, ses cultes et ses idoles. Depuis A. Smith, Hayek, Friedman en passant par les théories sur la justice très à la mode, tout le libéralisme peut se résumer dans un ou plutôt dans ce nouveau Janus écrite par le père de la tradition libérale Locke dans son « deuxième traité sur le gouvernement civil » : »A l’Etat de nature, les hommes sont dans un état de parfaite liberté pour ordonner leurs actions et disposer de leurs biens et de leurs personnes comme ils le jugent convenable dans les limites de la loi de nature, sans demander ni dépendre de la volonté d’aucun autre homme. Dans un état aussi d’égalité où tout pouvoir et juridiction sont réciproques ». Ainsi la quintessence du libéralisme réside dans la croyance fétichiste en une équation parfaite entre la liberté de l’homme et la loi de la nature. Voici jetés les fondements contemporains de la permissivité. L’imposture est de croire que l’homme serait donc par nature liberté, liberté radicale et totale. Ce serait sa nature et son essence. Il s’agit en fait d’une liberté illusoire qui dans son principe consiste dans une capacité radicale d’indétermination et d’irresponsabilité : agir selon son propre plaisir. Etre libre c’est pouvoir faire n’importe quoi y compris le mal, agir à son bon plaisir. Or la véritable liberté au sens ou les anciens le concevait est celle des hommes mesurés et responsables vivants dans un monde ordonné où il y a un devoir d’être. La vrai liberté c’est la soumission au devoir être à ce qui doit être, donc à l’idée d’autorité, un devoir qui préexiste au choix de l’homme, un devoir qui existe en soi et en eux. A ce propos Zénon de Citium s’exclamait : « Son esclave volait, il lui donna le fouet. L’autre lui dit : « c’est mon destin qui m’a poussé à voler ». « Et a être battu aussi » dit Zénon. La liberté donne accès et jette un pont entre le monde indéterminé, la finitude et l’imperfection humaine, au monde du libre choix de la raison éclairée et l’intelligibilité ordonnée. L’imposture libérale consiste à lier la liberté des modernes à la notion politique de souveraineté du peuple, qui n’est que la somme algébrique et abstraite des souverainetés individuelles. Cette liberté reposerait sur le prétendu développement, le progrès des sciences, des technologies et dans le domaine des moeurs elle aboutit à un relativisme absolu éthique, puisque au nom de la liberté et des prétendus lois de la raison de la nature, tout peut être remis en cause ; l’exigence d’absolu est incompatible avec celle de l’exigence d’une liberté sans fin. En fait « le laissez faire et le laisser passer » d’A. Smith s’incarne dans l’hégémonisme de l’économicisme, la satisfaction insatiable des vices particuliers, la permissivité sociale, la perte d’autorité morale où le choix des religions devient une affaire personnelle. Une autre face de l’imposture de la liberté est de professer la nature contractualiste de la société. Comme l’ ont montré Schopenhauer, E. Kant , le contrat ne serait pas seulement à l’origine de toute société respectueuse de ses membres ; il constituerait l’essence même de la morale. Ce contractualisme consisterait à justifier l’hégémonie de la société économique, laquelle résulte d’une logique d’échange du contrat. Toute la société libérale moderne constitue donc un système d’échanges généralisés à l’échelon planétaire, un monothéisme de marché auquel on voue un culte inconditionnel, au libre échange et à l’entreprise. L’antagonisme des libertés est en réalité sous jacent à la philosophie contractualiste et la philosophie de l’échange. L’esprit des lois consiste à assurer l’affrontement paisible et consensuel entre des sphères d’intérêts et d’entreprises. A ce titre B. Constant constatait : » l’intérêt général n’est jamais que la somme des intérêts particuliers mis réciproquement hors d’état de nuire. La liberté de chacun est illimitée et pourtant elle serait limitée parce que la vie est un rapport de forces. Or ce rapport de forces serait tempéré ert neutralisé par la fiction du jeu du pluralisme. Voilà une autre face de l’imposture libérale : le pluralisme qui contient et justifie la théorie de l’individualité, du rôle des majorités et des groupes, l’inter-actionnisme entre l’individu /la société/le gouvernement, la théorie de la collaboration, de l’intervention limitée, la concurrence fonctionnelle(concurrence atomisée), de l’hétérogénéité des intérêts, la théorie du compromis d’intérêt à l’échelon parlementaire. Par opposition au pluralisme de type socialiste fondé sur la démocratie participative de contrôle sur les facteurs de production, le pluralisme libéral assurerait la collaboration de toutes les classes sociales par le jeu d’un capitalisme interventionniste. Or il n‘en est rien avec le prétendu pluralisme, car i l n’est qu’une fiction sociétaire entretenue au profit de la primauté du pouvoir polyarchique et synarchique, la concentration du pouvoir décisionnel économico-politique entre les mains des grands trusts transnationaux . L’autre imposture du libéralisme est la croyance en l’action bénéfique et régulatrice d’une prétendue société civile . Les institutions libérales détruisent toute possibilité d’expansion des forces créatrices et la sélection des énergies nationales émancipatrices. Elles sont le levier d’une nouvelle forme de réaction. Nietzsche écrivit : « les institutions libérales cessent d’êtres libérales dès qu’elles sont acquises : ensuite , rien n’est plus systématiquement néfaste à la liberté que les institutions libérales. On ne sait que trop à quoi elles aboutissent : elles minent la volonté de puissance, elles érigent en système moral le nivellement des cimes et des bas-fonds, elles rendent mesquin, lâche et jouisseur, en elles, c’est l’animal grégaire qui triomphe toujours ».

Ainsi, le libéralisme qui affirme dogmatiquement l’indépendance absolue de la raison individuelle aboutit dans les faits à une viabilité pratique anarchique et inégalitaire dans le domaine socioéconomique et reste contaminé par les contradictions théoriques insondables . Le pluralisme de pensée et de la liberté d’opinion sont tous deux noyés dans la confusion qu’entretient l’hyper-médiatisation laquelle produit une forme de relativisme absolu. Il est vrai que les deux grandes mutations de nos sociétés sont l’avènement de moyens de communication de masse et le triomphe planétaire du libéralisme. La nécessité de simplifier outrancièrement le discours pour s’adresser et séduire le plus grand nombre, de concilier les contraires dans l’opinion, de séduire plus que de convaincre s’est combinée avec la nouvelle donne libérale quand la politique s’identifie à la soumission à l’orthodoxie budgétaire. Avec le libéralisme, la sphère politique devient elle même une imposture ; au nom de la démocratie on vend des idées comme des savonnettes . Le sociologue Philippe Breton rappelle que contrairement à bien des prophéties, la fin de la guerre froide n’a pas mis un terme aux affrontements d’idées : « Ainsi, écrit-il, une vaste entreprise est aujourd’hui à l’oeuvre pour persuader les foules mondiales de l’intérêt qu’il y aurait à étendre le secteur marchand à tous les secteurs de la société et à se débarrasser le plus possible de toutes les structures de régulation collective qui ne relèveraient pas de ce secteur et en premier lieu de l’Etat ». A cette fin de manipulation médiatique, le libéralisme débouche à une viol de conscience collectif . On y trouve la convergence entre le messianisme de la société de l’information et le courant d’idée porteur du libéralisme permissif ; le nouvel empire du convaincre dans les sociétés libérales se nomme la publicité. L’information omnipotente et omniprésente devient dans les régimes libéraux la monnaie d’échange par excellence et sert de support au mythe d’une prétendue société de l’information émancipatrice et civilisatrice.

La société globale de l’information est devenue un enjeu géopolitique, et le discours qui l‘entoure est une doctrine sur des nouvelles formes de l’hégémonie. Cette doctrine prend racine aux Etats Unis dès la fin des années 90 avec « la révolution technétronique » du géopoliticien Zbigniew Brzezinski. Dorénavant, l’hégémonie planétaire passe par les technologies technétroniques et se manifeste à travers une triple mutation : diplomatique, militaire et “managérielle”. La révolution dans les affaires diplomatiques c’est l’apparition de l‘idée de « soft power ». On est passé de la diplomatie des canons à la diplomatie des réseaux pour réorienter le monde en fonction de que l’on appelle la démocratie de marché. D’où le mythe de la guerre idéale et idéelle de l’information, telle qu’elle s’est menée au Golfe ou au Kosovo. L’information devient l’élément fondamental de l’hégémonie à travers les technologies de collecte d’informations et de renseignements. C’est la « cyber-guerre » dont le but et de faire basculer le plus de sociétés dans la démocratie libérale de marché. Ainsi le « plan Echelon » montre que l’évolution du marché global implique un système d’intelligence global, de captation d’informations pour pouvoir concurrencer ses rivaux et anticiper de grandes stratégies de grandes organisations de la société civile. Dès 1998, le Pentagone parle de « netwar » pour qualifier l’utilisation du réseau par les néozapatistes au Chiapas. La troisième révolution “managérielle” consiste dans le fait que dans l’information se dissolvent toutes le tensions du monde : la liberté d’expression commerciale est conditionnelle à la liberté d’expression des citoyens. Ainsi la « médiacratie » se livre à une guerre cathodique à l’échelon planétaire. C’est l’une des principales activités de la NSA (National Security Agency) qui utilise les réseaux informatiques et la « net-économie » à des fins de contrôle hégémonique. Les nouvelles technologies de communication sont un instrument puissant qui permet de détruire tout ce qui dans les cultures recèle un ferment de vie communautaire authentique ; la net-économie, nouvelle économie n’est pour reprendre Jean Gadrey qu’ »une bulle de spéculation intellectuelle ». L’idéologie de la société d’information n’est autre que l’idéologie du marché. Elle est une synergie avec les prétendus pôles de reconstruction néolibérale du monde. La société libérale qui repose sur le primat d’une information dirigée et manipulée aboutit à l’émergence d’un néodarwinisme informationnel. L’information c’est le contraire de la réflexion. Pour citer le sociologue américain Vance Packard, « le libéralisme au lieu de penser à fabriquer , pensera à vendre ». La société d’information faite pour vendre produit un monde qui ne se soucie que de vendre. Ce type de société comme le note le sociologue Stuart Ewen façonne totalement les consciences et « porte en elle-même l’apologie de la société de consommation ». Il s’agit de l’apologie du productivisme à l’aide de la société de communication et d’information.

Cet hyper-médiatisation de la société libérale engendre un nouveau pouvoir spirituel, que sont la presse et les médias; en effet, Régis Debray voit dans les médias une sorte de cléricature qui sacralise certains thèmes et qui voient dans leurs dénonciation corrélative des sacrilèges . Sur les cadavres de Dieu et de l’Etat , ils seraient le seul vecteur « opérateur de sacralité » subsistant, capable de remplir aujourd’hui la fonction dévolue naguère à la religion. Les médias s’unissent et les regroupements économiques à l’échelon mondial accélèrent le processus d’alignement sur une norme. Gabriel Tarde annonce le règne de « l’homme à un seul journal ». A « journal unique » , « pensée unique » ; cette pensée unique trouve ses fondements dans la religion médiatisée des droits de l’homme, théologie naturaliste du modèle américain, qui se caractérise par le fait qu’elle est une anti-politique par excellence. Le néolibéralisme high-tech contemporain s’efforce de pendre un discours euphorique « idéologique » qui mêle bon sens et croyances irrationnels ; comme il n’existe aucune théorie à l’échelon planétaire d’un nouvel âge mythique, un modèle concret tient lieu de théorie et de preuve : c’est le modèle américain. Ce modèle libéral néo-américain est le vecteur d’une nouvelle forme de tyrannie , la tyrannie du bonheur indéfini. Ce bonheur à l’usage des masses consuméristes, véhicule les mirages de paradis pré-frabriqués, l’alignement sur les plaisirs majoritaires. On aboutit en fait à une société toute entière vouée à l’hédonisme à base d’esperanto spirituel de Coelho et d’idéal monastique du dalaï-lama devenus à la mode. L’idéal d’une plénitude hédoniste succède à celui de la contrainte pour à son tour devenir contrainte de la plénitude. Il s’agit d’un type de coercition charitable qui au nom du bonheur impératif engendre le malaise constant. Cicéron concevait que le « bonheur était un superbe article de foi », ainsi il pouvait faire rêver, et être l’objet d’un désir toujours plus vivace. Au lieu d’être un bonheur pluriel et incantatoire, ce bonheur uniforme devenu le seul horizon des démocraties libérales, dépendant du travail, de la volonté et de l’effort, se transformant en divertissement compartimenté, devenu impératif sous forme de loisir, est un générateur d’angoisse collective car compétitif. Dans les sociétés libérales hyper-médiatisées nous sommes loin des « négations radicales ou des affirmations souveraines » chères à Donoso Cortès. L ‘essence du libéralisme est de négocier, de traiter, négoce de l’argent et de l’opinion. Le libéralisme n’est qu’une solution bâtarde qui ne cultive sous le nom d’ordre que le statique équilibre des pouvoirs savamment dosé. Donoso Cortés à ce propos verra dans le libéralisme tout comme dans le socialisme, une théorie rationaliste selon laquelle: « les théories rationalistes condamnent toute réforme morale de l’homme comme inutile et insensée ». Enfin une autre face de l’imposture libérale est d’entretenir la fable de l’égalité et du bien être matériel généralisé. Ce mythe de l’égalité nous le trouvons à la base d’un prophétisme pragmatique qui résulte des théories libérales de Hayek. Dans la « fable des abeilles » de Mandeville qu’ils considérera comme le texte fondateur de l’analyse libérale, pour Hayek, la société relève de interprétations seulement et uniquement possible: l’ordre mûri ou spontané qu’il appelle Kosmos, ou l’ordre imposé ou décrété qu’il appelle Taxis. Du premier dérive le libéralisme, du second le socialisme. Hayek par cette démonstration s’emploie à démonter que seul le libéralisme a des fondements justes et rationnels vérifiés par l’histoire comme par la logique. Pour Hayek nous sommes « tombés » dans l’économie libérale et nous y sommes restés car nous aurions constaté qu’il était le seul moyen d’échapper à la pénurie. Selon lui, dans les sociétés modernes, la croissance économique se développe et se complexifie sans cesse. Elle résulterait de l’agencement de millions d’actes isolés qui s’organisent spontanément, comme guidés par une main invisible sur un vaste marché. Il serait prudent de procéder à une relecture de la « fable des abeilles » de Mandeville à la lumière du contexte socioéconomique actuel. L’argument de cet fable est celui ci : la ruche est prospère tant que les abeilles sont mues par l’amour des biens matériels en général et de luxe en particulier. Dès que les abeilles redeviennent sages, économes, sobres, bref vertueuses, leur économie périclite. Chacun en poursuivant son propre intérêt , même au sens le plus égoïste du terme, concourt au bien commun. Voilà le mystère du sens donné à la main invisible. Le libéralisme étant mû par un égoisme érigé en norme de comportement devient le vecteur de l’accroissement du fossé entre riches et pauvres, puisqu’il détruit toute notion de justice distributive et de nécessité de solidarité sociale. Mandeville lui même avertira ses lecteurs que ce mécanisme diabolique pourrait bien engendrer « toutes les iniquités et les désordres qui se commettent ». Le pragmatisme dogmatique de l’idéologie libérale aboutit à toutes formes de l’alliance et de syncrétisme idéologiques pré-frabriqués qui rapprocheront le libéralisme du conservatisme. Ainsi en Angleterre Michael Oakeshott, libéral de formation deviendra le maître à penser du Thatchérisme et deviendra avec sa théorie de la « continuité culturelle » la caution idéologique de la révolution néo-conservatrice en Angleterre dans les années 1980 ; plus tard les thèses d’Oakeshott seront reprises par Roger Scruton et du « Salisbury Group » qui viseront au nom du libéralisme à réhabiliter les valeurs de l’identité nationale, la responsabilité individuelle, la pérennité des comportements sociaux qui sont « naturellement anglais ». Conservatisme et libéralisme feront bon ménage. D’ailleurs on constate que l’eurosocial-démocratie n’a fait que s’aligner sur les thèses néolibérales et globales. La fameuse « troisième voie » de Blair en Angleterre est aujourd’hui perçue comme une variante du néolibéralisme de Mme Thatchter. La refondation sociale du maître à penser de cette « troisième voie », Anthony Giddens, loin de décentraliser les sphères de prises de décision, les recentralisera à outrance par la culture de l‘audit. Le réalignement idéologique de la social-démocratie européenne du socialisme réformiste sur le néolibéralisme passe par la dérégulation libérale qui constitue l’impératif de renforcer la vaste zone de libre échange qu’est l’Union Européenne. L‘imposture libérale étant pas essence messianique dispose d’une eschatologie appropriée. Ainsi Francis Fukuyama défendra la thèse optimiste d’une utopie libérale dont les bienfaits devraient aboutir à la fin de l’histoire et cela par la conjonction de certains facteurs : le triomphe du capitalisme libérale par le progrès des sciences et des nouvelles technologies et d’autre part l’ abolition de l’exploitation et de l’inégalité de l’homme par l’avènement de « l’autonomie des subjectivités ». Complétant les thèses de Fukuyama les théories socio-libérales du développement mondial défendues par Arno Tausch et Fred Prager prônent sur le fondement des enseignements socio-démocrates le triomphe d’une version humaine du socialisme démocratique par l’application des théories des « dépendances » et des « néo-dépendances » qui limitent les excès de la modernisation par des correctifs et des mesures sociales. Même les thèses apocalyptiques du « conflit des civilisations » de Samuel P. Huntington et celles du « chaos anarchique » de Robert D. Kaplan viennent conforter l’idée d’une possible rénovation de la société et du monde à l’aide de remèdes humanisants et pacifistes qui ne constituent que des avatars de l’idéologie libérale et humanitaire.

 
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13/12/04
..::Le mirage des mots
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13/12/04
..::Pourquoi sommes nous des soldats politiques?
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Rodolphe Lussac

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05/12/04
..::Halford John Mackinder (1861-1947)
Né à Gainsborough dans le Lincolnshire le 15 février 1861, Halford John Mackinder se sentira...::..
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