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Le Millenium hitlerien, de Joachim de Flore à Hans Hörbiger
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12/03/05 |
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4.10 t.u. |
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Ernesto Mila |
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La propagande hitlérienne usa et abusa d’un thème : le nouvel Etat créé par Hitler était le « Reich de mille ans ». Il ne s’agissait pas d’un simple slogan de propagande, mais d’un thème qui avait ses racines dans l’ésotérisme nazi.
OSWALD SPENGLER ET LA CYCLOLOGIE
Dans l’Allemagne pré-hitlérienne, Oswald Spengler avait publié son « Déclin de l’Occident » qui eut un grand succès, même au niveau populaire. L’ouvrage de Spengler pouvait être interprété comme une tentative d’établir une cyclologie : en partant du fait de la naissance, du développement et de la mort des civilisations, remplacées par d’autres qui répètent le même cycle, Spengler recherchait les facteurs qui produisaient ce constant devenir et essayait d’en expliquer les lois. Tel est du moins ce que le grand public comprit de ce travail titanesque.
Spengler avait injecté le virus de la conception cyclique de l’histoire au niveau populaire.
Mais la conception n’était pas nouvelle : depuis les temps les plus reculés on connaissait des lois cycliques qui dépassaient de beaucoup l’interprétation spenglerienne de la conversion des cultures en civilisations. La cyclologie est une science traditionnelle, reliée dans une large mesure à l’astrologie.
Son intérêt réside en ce que, si l’on est capable d’interpréter les cycles passés, d’établir leur durée ainsi que leurs débuts et leurs caractéristiques, il est indubitable qu’on pourra prédire le futur (c’est-à-dire les cycles à venir) et, en conséquence, planifier à longue échéance une activité avec la certitude que les lois immuables du cosmos ouvriront des possibilités et en fermeront d’autres. Or l’hitlérisme (un secteur de ce dernier) tenta bien d’appliquer cette conception.
HANS HORBIGER ET LE CYCLE DE 700 ANS
Hans Hörbiger fut le théoricien de la cyclologie nationale-socialiste. Il intégra son système dans un contexte plus ambitieux (la théorie de la lutte éternelle entre le feu et la glace, qui, avec la théorie des quatre lunes de l’humanité, constitue actuellement ce qui est le plus « populaire » et le plus connu des travaux de Hörbiger, grâce au livre de Pauwels et Bergier). Toutefois son importance est à des années-lumière de celle que lui ont accordée les auteurs du « Matin des magiciens » : elle se réduisit à publier une monographie dans la revue « Ostara » et des articles sur l’astrologie dans la presse aryosophique.
Pour Hörbiger il existait un cycle historique qui se répétait tous les 700 ans. Même Otto Rahn – rénovateur des études sur le catharisme – sembla partager cette doctrine lorsqu’il s’intéressa au catharisme. Effectivement, le « reverdissement du laurier » cathare devait marquer la victoire du national-socialisme, exactement sept cents ans après la chute de Montségur.
Mais le cycle hörbigérien différait des autres cyclologies dans une moyenne de 20 à 30 ans. Astrologiquement, la durée d’un cycle cosmique varie selon les différentes traditions entre 2.113 et 2.160 ans, le temps que, selon les calculs des uns et des autres, le Soleil met à passer du point vernal d’un signe zodiacal à un autre. Cependant, le cycle de base de Hans Hörbiger étant de 700 ans, avec ses correspondances multiples (700, 1.400, 2.100 ans, etc..), il existait, par conséquent, un décalage. Hörbiger établit la durée de ses périodes à partir de calculs astrologiques compliqués, qui ne purent éviter une petite erreur évidente qui, à mesure qu’elle s’étendait dans l’espace de temps, amplifiait aussi l’erreur. Tout ceci peut paraître complexe et nous allons essayer de le clarifier.
CYCLES TRADITIONNELS ET ERREURS HÖRBIGERIENNES
Les cycles traditionnels équivalent à 72 ans pour chaque degré zodiacal. Le cycle de Kepler et Hipparque s’élève, par exemple, à 72 x 360 = 25.920 ans.
Ce chiffre représente le temps que met le Soleil à passer dans tous les signes zodiacaux et à retourner à l’origine. Par conséquent, le Soleil mettra pour traverser chaque signe zodiacal : 25.920 ans divisés par 12 signes zodiacaux = 2.160 ans
L’histoire de l’astrologie démontre qu’à mesure que nous reculons dans le temps, loin de nous plonger dans l’imprécision, cela augmente la sécurité et l’exactitude des calculs. Toutefois le cycle d’abord établi par Hipparque et ensuite redécouvert par Kepler, est universellement accepté actuellement.
Concernant la croyance de quelques hiérarques nazis en l’astrologie, il n’existe pas le moindre doute. On ne peut pas tenir pour certaines ces paroles que Hermann Rauschning place dans la bouche de Hitler, mais elles supposent une « tendance » : « L’espèce humaine subit depuis l’origine une prodigieuse expérience cyclique. Elle traverse des épreuves de perfectionnement d’un millénaire à l’autre. La période solaire de l’homme touche à son terme ; on peut déjà discerner les premiers échantillons du surhomme ».
On sait aujourd’hui que le livre de Rauschning était un produit de la propagande de guerre et que « Hitler m’a dit » manque de bases solides pour être pris au sérieux. Toutefois, nous dirons que la phrase en question révèle une « tendance » : Hitler lui-même parla à l’occasion du « Reich de mille ans » et ceci peut être interprété selon une clé cyclologique. On connaît également les noms de quelques astrologues qui furent à un moment ou à un autre proches du national-socialisme. Quant au reste, l’examen d’« Ostara » et des publications théosophiques et aryosophiques que sont supposés avoir lu Hitler, Rosenberg, Himmler, Hess, Darré, Franck et d’autres hauts dignitaires du IIIè Reich, fait penser qu’ils connaissaient les thèses et les interprétations cycliques de l’histoire.
Ceci établi, c’est une autre affaire de savoir jusqu’à quel point les orientations cyclologiques influencèrent les prises de décision de la direction nationale-socialiste.
Les interprétations cyclologiques comportent le risque d’adopter une unité cyclique erronée : parce que si au lieu de donner une équivalence de 72 ans de durée à chaque degré zodiacal, on lui donne 73 ou 71, l’erreur accumulée dans un tour du zodiaque sera de 360 ans de plus ou de moins. Dans ces conditions, établir un parallélisme entre des civilisations s’avère presque impossible.
HITLER EQUIVALENT D’ANTIOCHOS III DANS LE CYCLE HÖRBIGERIEN
La cyclologie hörbigérienne, par exemple, prévoyait le triomphe définitif de l’expansionnisme hitlérien en 1945, parce qu’exactement 700 ans auparavant, en 1245, Frédéric II, appelé « stupor mundi », se trouvait à son zénith. Ce cycle plongeait ses racines jusqu’en 2255 avant JC, au commencement légendaire de l’Assyrie et à la fin d’Akkad. D’autres dates du même cycle seront : – 1555, zénith de l’antique empire assyrien, – 855, naissance du nouvel empire assyrien, etc. Cette assimilation avec l’Assyrie ne manque pas de raisons fondées sur l’astrologie : il existe, effectivement, un certain parallélisme entre Hitler et Antiochos III :
- La tolérance séleucide pour la religion juive trouve sa réplique dans le manque de belligérance hitlérienne vis-à-vis du Vatican.
- La haine d’Antiochos III pour les Chaldéens a pour équivalent celle de Hitler pour les Juifs, derniers serviteurs de Mardouk et de Yahvé, respectivement.
- L’empire séleucide comprenait l’ancien empire assyrien qu’Antiochos III voulait reproduire : tolérant le Dieu de la Justice (Yahvé), assassinant les serviteurs du Taureau Mardouk (les Chaldéens), et rénovant le culte d’Astarté (la Mère). Hitler, pour sa part, voulait reproduire le Saint Empire romain germanique par son pacte avec l’Italie mussolinienne, il persécute les serviteurs de Yahvé et s’efforce de pactiser avec les catholiques.
- Antiochos III voulait reproduire et rénover dans le monde hellénistique le culte de la Vierge-Mère, tandis que Hitler voulait rénover les mythes solaires.
Tout ceci peut être mieux compris si nous examinons un Zodiaque.
Les correspondances sont ainsi plus claires :
- Les Chaldéens sont identifiés au symbole de leur dieu, Mardouk, le Taureau, analogue du signe zodiacal du Taureau.
- Les Juifs sont assimilés astrologiquement au signe d’Ariès – le Bélier sacrifié par eux durant la Pâque, le Dieu qui, comme le Bélier, est conducteur du troupeau, le Dieu législateur qui trouve son opposé et son complément dans le signe de la Balance, de la Loi.
- Les catholiques sont identifiés aux Poissons, l’amour, dont ils prirent le symbole manifeste – les deux poissons – dans les premiers temps.
- Hitler, cherchant à rénover les cultes solaires de manière implicite, assumant une mythologie néo-païenne, utilisant les aigles solaires comme signes distinctifs, semble avoir voulu s’identifier avec la puissance solaire du signe du Lion, résidence astrologique du Soleil.
- Enfin, Antiochos III, restaurateur du culte de la Mère, est situé objectivement comme représentant et concrétisation de la puissance de la Vierge.
Les choses étant disposées ainsi, les oppositions – les adversaires – se trouvent dans les archétypes disposés tous les 120 degrés, tandis que les alliés sont distants de 160 degrés.
Or, étant donné qu’il existait un parallélisme certain entre Hitler et Antiochos III, y compris un parallélisme astrologique, l’erreur résidait dans l’appréciation de l’unité de mesure élaborée pour établir le cycle. Il s’ensuivit que 1945 ne fut pas l’année du triomphe définitif de l’hitlérisme ...
GUIDO VON LIST ET LE CYCLE ARYOSOPHIQUE
Le cycle hörbigerien n’était pas le seul qui reflétait ceux des cénacles occultistes pré-nazis. L’aryosophie avait posé, à travers Guido von List, une conception cyclique sensiblement différente. List partit des théories de la Blavatsky pour établir une rénovation cyclique du « cosmos germanique » ; à la doctrine théosophique il ajouta la promesse chiliastique de Joachim de Flore [1] (le millenium eschatologique) et la mythologie germanique.
List, produit de son temps, voyait dans les événements qui précipitèrent le dénouement de la première guerre mondiale, l’annonce de l’Apocalypse : monarchiste impénitent, au vu de la manière dont l’institution fut renversée, nationaliste germanique considérant Versailles comme la plus grande offense jamais faite à ce peuple d’Europe centrale, conservateur dans le domaine politique, il assista horrifié à la tempête révolutionnaire ; tout ceci ne pouvait que convulser l’esprit de List déjà âgé : un monde s’était écroulé sous ses pieds. Nationaliste völkisch comme il l’était et mystique aryosophique, pour lui cela ne pouvait pas être une fin radicale, mais le début d’un processus rénovateur de l’« univers germanique », comme un changement d’état : et comme tout changement, il ne pouvait être réalisé qu’au milieu de crises et de convulsions.
List analysa le thème astrologique du peuple germanique : il découvrit une série de dates clés : 1914, 1923 et 1932 – le début de la guerre européenne, le putsch de Munich et l’arrivée de Hitler au pouvoir (approximativement – la date réelle fut le 30 janvier 1933). Tous ces jalons devaient mener à une situation historique nouvelle qui conduirait à un nouveau Reich « de mille ans ». Il est évident que même s’il n’y eut pas de militantisme de List dans le national-socialisme, ce dernier tira de ses théories la promesse du Reich millénaire.
Plusieurs dirigeants du Troisième Reich partagèrent ce mythe chiliastique et, surtout, eurent la même sensation subconsciente, celle de vivre la fin d’un cycle et le début d’un autre. Il ne s’agissait pas seulement d’un slogan plus ou moins heureux de la propagande politique, le « Reich de mille ans » était une réalité ressentie et vécue dans l’esprit de Hitler, Hess, Goebbels, Rosenberg, Darré, Strasser, etc.
Plus que dans tout autre domaine – antisémitisme inclus – les dirigeants nazis partageaient en cela la même attitude : le Reich mettrait fin à la crise cosmique de l’Allemagne pré-nazie. Pour eux la « révolution nationale-socialiste » était un peu plus que l’arrivée au pouvoir d’un parti politique : c’était un essai tangible de rénovation de l’univers germanique.
Ils vainquirent l’angoisse dont ils souffraient depuis la défaite de Versailles, crurent en une promesse de résurrection pour leur peuple ; se considérèrent eux-mêmes comme un sujet historique à réveiller et assumèrent un messianisme mystique qui dépassait de beaucoup la sphère de la politique. Il s’ensuit que bien que le mouvement national-socialiste ait été un phénomène qui eut de l’importance au moment où il conquit le pouvoir politique, il ne faut pas oublier qu’il tenta d’aller au-delà des contingences et d’ancrer cette révolution politique dans une révolution culturelle inspirée en partie – et il est important de l’indiquer une fois de plus – par les conceptions aryosophiques et par un étrange mysticisme théosophique-occultiste.
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[1] Joachim de Flore (1133-1202), mystique italien qui développa une doctrine eschatologique selon laquelle l’ère chrétienne était divisée en trois phases : au règne du Père avait succédé le règne du Fils, auquel devait succéder à son tour le règne du Saint Esprit. En transposant ainsi le thème de la trinité chrétienne (elle-même empruntée à la spiritualité indo-européenne pré-chrétienne) sur le plan temporel, il réintroduisait (peut-être involontairement, ou plutôt subconsciemment) le concept du temps cyclique (concept éminemment païen et indo-européen) à l’intérieur du temps linéaire chrétien (même si cette réintroduction se faisait sous la forme indirecte du millénarisme). Sa doctrine avait donc un parfum « hérétique », mais elle ne fut condamnée qu’après sa mort (son livre « L’Evangile éternel » fut détruit en 1256 sur ordre de la papauté). (NDT)
Cet article constitue un chapitre du livre d’Ernesto Milà « Ariosofia, Teosofia, Nazismo », en partie disponible (en espagnol) sur le site internet : disidentes
Une première version un peu différente et moins complète de ce livre est parue en France sous le titre « Nazisme et ésotérisme », éditions Pardès, 1990 (épuisé).
Copyright Ernesto Milà.
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