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:::::::: histoire :: pays de l'est ::
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Le combat de Poutine contre les oligarques
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14/09/03 |
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7.15 t.u. |
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Viatcheslav Dachitchev |
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Le Prof. Dr. Viatcheslav Dachitchev, fils de général né en 1925 à Moscou, a été l'un des principaux conseillers de Gorbatchev. De formation, il est historien et politologue. C'est lui qui, en 1987, a œuvré pour que l'URSS change de politique allemande et accepte le principe de la réunification. En juin 1988, lors d'une conférence de presse historique tenue dans l'immeuble de l'ambassade soviétique à Bonn, il déclare officiellement que le Mur de Berlin est une relique de la Guerre Froide, qui doit disparaître. Dans son célèbre mémorandum d'avril 1989, il plaidait
pour qu'advienne la fin de la division allemande. En tant que conseiller du Kremlin en matières de politique étrangère dans les années 70 et 80, il s'opposait aux interventions militaires soviétiques dans le tiers monde ainsi qu'à la présence des troupes soviétiques en Afghanistan, imposée par Brejnev. Dans le cadre des colloques annuels organisés par l'association allemande "Gesellschaft für Freie Publizistik", Viatcheslav Dachitchev avait participé à
Rothenburg ob der Taube à l'une de ces manifestations, en même temps que le Dr. Reinhard Hoffmann, Werner
Kuhnt, le Prof. Dr. Hrvoje Lorkovic (Croatie), le Dr.Franz Pahl, Herbert Schweiger, Robert Steuckers et Adolf von Thadden. En cette année 2003, pour le journal patriotique allemand DNZ, le Professeur Dachitchev a exposé l'état de la Russie actuelle. En voici une version française.
Le lourd héritage de Poutine
Le Président Poutine a dû accepter le lourd héritage économique et politique de l'ère Eltsine. Aujourd'hui encore, le retrait volontaire (?) d'Eltsine et la nomination de Poutine comme son successeur sont encore entourés de bien des mystères. Par exemple, comment se fait-il que Poutine ait été contraint de gouverner avec l'ancienne équipe d'Eltsine (Volochine, Kaznaïov, Christenko, Jvudkoï, etc.)? Qui a raboté si fortement les prérogatives présidentielles dont Poutine aurait dû normalement jouir ? La composition du pouvoir en Russie n'est pas naturelle parce que des représentants de l'ancienne équipe d'Eltsine occupent des postes gouvernementaux et gardent leur présence dans la
sphère de la présidence. Comme leurs protecteurs américains, ils sont fermement décidés à conserver intactes les structures de propriété établies dans les années 90, de même que le nouvel ordre économique, et sabotent systématiquement les mesures importantes prises par Poutine.
La lutte entre Poutine et les oligarques
Normalement, un président nouvellement élu ne gouverne pas avec l'équipe de son prédécesseur. La constellation des forces au sein du gouvernement russe ctuel indique qu'il y a dualité du pouvoir. L'opinion publique a bien perçu que Poutine cherche à se libérer du pouvoir des eltsinistes. Il a réussi à placer ses hommes à la tête de l'armée (Sergueï Ivanov), du ministère de l'intérieur (Boris Gruslov) et des services de sécurité fédéraux (Nikolaï Patruchev).
Poutine a également réussi à mettre hors d'état de nuire et à forcer à l'exil des oligarques comme Berezovski et Goussinski, qui se mêlaient ouvertement de la politique et tentaient d'imposer leurs vues au gouvernement. Mais leur tâche a été reprise aujourd'hui, début juillet 2003, par le plus riche des oligarques russes, Mikhaïl Khodorkovski, qui possède le consortium du pétrole Jukos. Il a déclaré ouvertement ses intentions de financer l'"alliance des forces justes" (Nemzov, Tchoubaï, Gaidar, etc.) lors des prochaines élections pour la Douma et la Présidence. La réaction de Poutine ne s'est pas fait attendre. Le Procureur Général de la Fédération de Russie a lancé une procédure judiciaire contre la Jukos, à cause des activités délictueuses de son directeur Lebedev, qui se serait approprié
frauduleusement 280 millions de dollars en 1994. Fait significatif : l'ambassadeur des Etats-Unis à Moscou a
déclaré être prêt à prendre Khodorkovski et Lebedev sous sa protection !
A la veille des élections du printemps 2004, la lutte pour le pouvoir se fait déjà plus âpre. Qui l'emportera dans la lutte entre les eltsinistes et les forces autour de Poutine? De mon point de vue, ces derniers ont toutes les chances de leur côté, d'emporter la victoire à la Douma et pour la Présidence. 70% de la population les soutiennent. 70% de la population réclament aussi la révision de la politique des privatisations, qui a conduit à la criminalisation de la société.
Apparemment, Poutine considère que sa mission historique consiste à guérir la Russie d'une terrible maladie. Il y réussira s'il parvient à faire montre de suffisamment de volonté et de sagesse politique, pour se dégager de l'étau des "réformateurs" des années 90. L'opinion générale estime que c'est ce qui se passera si Poutine est réélu.
La politique américaine à l'égard de la Russie
Après la chute de l'Union Soviétique, l'élite dominante aux Etats-Unis a considéré que la Russie constituerait un obstacle à ses plans de domination mondiale. Pour cette raison, l'Administration Clinton s'est fixée pour objectif d'affaiblir la Russie au maximum par une nouvelle politique d'endiguement ("new containment policy"), par la création d'une situation de pauvreté permanente et généralisée en Russie et par la paralysie de l'économie russe, en particulier dans le secteur de la haute technologie. Ces objectifs, les Américains les ont atteints grâce au gouvernement d'Eltsine. Les biens collectifs nationaux du peuple russe, les richesses nationales et les moyens
financiers ont été transmis à une poignée de personnes, proches du gouvernement. C'est ainsi qu'une strate réduite d'oligarques, dont la politique s'oriente sur les volontés américaines, est née en Russie : du jour au lendemain, cette strate est devenue la propriétaire de plus de 70% du capital russe tout entier. En revanche, quasi rien n'a été
fait pour favoriser l'éclosion d'une classe moyenne et de petites entreprises. La pauvreté généralisée s'étend alors qu'à l'arrière-plan se concentrent d'immenses richesses et ressources dans le camp des oligarques; cette situation ruine et détruit l'Etat russe, assèche le trésor public et déséquilibre le budget (sous Eltsine, il a chuté au point de se réduire à 35 milliards de dollars, c'est-à-dire à peu près le budget de la CIA). Tout le potentiel économique, scientifique et technologique du pays, sa défense, son système scolaire, sa politique de la santé, etc., se sont écroulés. Le pire fut
l'appauvrissement généralisé de la population, avec, pour conséquence, un recul catastrophique de la demande et de la production. Cette situation désastreuse, que connaît la Russie, est due à la "thérapie de choc" que les Américains ont imposée au régime d'Eltsine. Elle consiste à procéder à des privatisations / criminalisations, façon Tchoubaï, et
à d'autres mesures en économie, qui conduisent à des destructions d'ordre structurel.
Face à l'abîme d'une crise d'avant-guerre
Malgré les dégâts colossaux que le régime d'Eltsine a infligé à la Russie, le pays dispose encore de suffisamment de ressources pour exercer une pression politique, militaire et morale sur les Etats-Unis. Il existe encore et toujours une "fenêtre de vulnérabilité" dans le dispositif de défense du territoire américain, où les armes stratégiques russes
pourraient frapper. Je pense que les cercles compétents en Russie connaissent très bien les tenants et aboutissants de la politique inamicale (pour employer un euphémisme!) que pratiquent les Etats-Unis à l'encontre de leurs pays. Je pense aussi qu'un homme comme Poutine, capable d'élaborer et de suivre un programme, ne se laissera pas endormir par le chant des sirènes provenant de la Maison Blanche. La politique hégémonique que suit l'actuel gouvernement
américain s'oppose diamétralement aux intérêts nationaux de la Russie. Si la politique expansive, suivie par les Etats-Unis, se poursuit encore, la Russie se verra contrainte de faire alliance avec d'autres puissances, afin de mener, à son tour, une "politique d'endiguement". La Russie ne sera pas seule à vouloir mener une telle politique. En effet, le système des relations internationales connaît une loi : les pays qui se sentent menacés par une puissance dominante unissent généralement leurs forces et leurs ressources pour échapper au danger de la mise sous tutelle. On peut déjà apercevoir les signes avant-coureurs d'une résistance collective à la politique hégémonique des Etats-Unis. Pour bon nombre de politiques, les choses sont claires désormais : l'Amérique menace de précipiter le monde dans une
crise grosse de dangers. Le résultat des actions téméraires lancées par le gouvernement Bush, c'est que l'humanité tout entière se voit poussée face à un abîme, celui d'une crise annonçant une guerre générale. Les principaux signes avant-coureurs d'une telle crise sont :
Les efforts des Etats-Unis de modifier le rapport des forces politiques, militaires et stratégiques dans le monde à leur avantage, afin de pouvoir établir leur domination globale.
L'aggravation des contentieux politiques, militaires et stratégiques entre les Etats-Unis et leur environnement.
L'escalade en matière de violence militaire, provoquée par les Etats-Unis (en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et, dans un avenir sans doute proche, en Iran, en Syrie, à Cuba, en Corée du Nord et dans d'autres pays qui seront inclus dans l'"Axe du Mal").
La doctrine de l'"interventionnisme préventif" et le mépris et l'abus du droit international et des Nations Unies.
L'élargissement de l'OTAN jusqu'aux frontières de la Russie, alors qu'il n'y a plus de "menace venant de l'Est".
Les efforts déployés par les Etats-Unis pour former une coalition d'Etats dépendants pour soutenir leur politique de domination globale.
Le début d'une contre-coalition formée par des pays dont les intérêts nationaux sont menacés par les Etats-Unis.
Le niveau des gouvernants américains
Le déroulement de la crise est fortement influencé par des facteurs internes aux Etats-Unis. Ces facteurs sont les suivants :
Le surarmement et la militarisation accrue et à grande échelle des Etats-Unis.
La manipulation de l'opinion publique, afin d'inciter la population à accepter les aventures militaires, en créant des ennemis imaginaires, en suggérant l'existence d'un danger arabe ou islamiste.
La limitation des libertés démocratiques.
Le bas niveau intellectuel et moral de l'élite dirigeante des Etats-Unis; leur absence de retenue quand il s'agit de déclencher des guerres et leur arrogance.
La tentation des cercles dirigeants américains de résoudre les difficultés économiques intérieures par une expansion extérieure.
La guerre froide, née à la suite de l'extension de la domination soviétique en Europe centrale et orientale, était en fait une phase de pré-guerre, tirée en longueur, mais qui n'a pas abouti à une "guerre chaude", car les deux camps disposaient d'un potentiel nucléaire de dissuasion et craignaient une apocalypse atomique.
Les Etats-Unis : déclencheurs et moteurs d'une nouvelle course aux armements
Poutine essaie de manière flexible, en tenant compte de tous les facteurs, avec prudence, d'avancer ses pions. Mais il n'hésite pas, le cas échéant, à poser des gestes menaçants. Par exemple, les grandes manœuvres des armées russes de la mi-mai 2003. Le scénario de ces manœuvres prévoyait de simuler des frappes nucléaires sur des objectifs aux Etats-Unis et en Angleterre, d'aveugler les satellites américains d'observation et de monitorage, d'engager des
bombardiers stratégiques sur la route de l'Arctique, d'envoyer des sous-marins, armés de têtes nucléaires et prêts au combat, dans l'Océan Indien, dans le Pacifique et dans la Mer du Nord, etc. Ces menaces sont le triste résultat de la politique menée par les Etats-Unis. Ceux-ci ne tolèrent pas que l'humanité, après la fin de la guerre froide, jouisse des "dividendes de la paix".
Rien que le fait que les dépenses militaires américaines étaient de 280 milliards de dollars au point culminant de la guerre froide et qu'elles sont passées à 400 milliards de dollars sous Bush, a obligé la plupart des Etats du monde à augmenter et à moderniser leurs armements. Les guerres américaines contre la Yougoslavie et l'Irak ont donné à ce
processus des impulsions nouvelles. Les Etats-Unis sont donc les déclencheurs et les moteurs d'une nouvelle course aux armements. La logique américaine qui sous-tend ces efforts d'aboutir à la domination du monde oblige toutes les puissances à surarmer. De cette façon, les Etats-Unis enclenchent un processus de prolifération nucléaire, provoquent des tensions, génèrent des méfiances, des suspicions et de nouveaux conflits armés. Les phénomènes connexes sont :
renforcement et centralisation des Etats, création de structures autoritaires dans les pays concernés, car aucun Etat ne veut être absorbé parce qu'il est "faible".
Viatcheslav Dachitchev
(article paru dans DNZ, München, n°33/2003, transmis par le bureau de traduction de Synergies européenne).
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