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Le sport et les Européens, une vieille histoire
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26/09/04 |
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7.16 t.u. |
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Jeune dissidence |
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L'antiquité européenne atteste l'importance accordée au corps (et à sa célébration quasi liturgique par le sport) chez nos ancêtres - importance liée aux notions de compétition et de jeu.
Des valeurs ancrées dans la psyché indo-européenne
Dans l'Iliade, nous trouvons la première mention de joutes sportives propres aux Grecs. En l'honneur de Patrocle tué en combattant Troie, Achille organise une étrange cérémonie funèbre au cours de laquelle les guerriers s'affrontent afin d'honorer la mémoire du brave qui n'est plus. A Olympie, en 776 avant notre ère, s'ouvrent les premiers jeux helléniques, joutes à caractère sacré - créées pour renouveler le contrat entre les Dieux de l’Olympe et les cités grecques, qui délèguent des champions pour rivaliser en leur honneur. Ces jeux illustrent maintes valeurs ancrées dans la psyché indo-européenne : exaltation de la santé physique, goût de la compétition, désir de dépassement, idée que l'apparence physique est le reflet de l'être intérieur, respect de l'adversaire, apologie de l'énergie vitale, unité profonde dans un commun culte du beau, refus de l'utilitarisme. Pour l'hellène, le sport fait partie intégrante de sa vie. Plus même, c'est un art qui (comme tout art) dépend de l'harmonie. Les épreuves : course à pied, saut, disque, javelot, lutte, pancrace, sont destinées à forger un sportif accompli, condition préalable de l'homme complet.
A Rome, le sport est dès les origines conçu dans une optique différente. Pour ces soldats-laboureurs, les exercices sont d'abord un entraînement à la vie militaire. Caton l'ancien fait enseigner à son fils le maniement de toutes les armes, comment endurer le froid, comment traverser une rivière à la nage, etc. Dans le cirque, les jeux sont avant tout guerriers. Mais apparaît alors le type du voyeur-sportif : tandis que patriciens, chevaliers et même empereurs, ne dédaignent pas de descendre dans l'arène et de fréquenter thermes et palestres, la plèbe se contente d'un rôle contemplatif: elle n'entend pas participer, elle exige du pain et des spectacles.
Le diable au corps
A l'opposé de l'ancien esprit héroïque sportif des européens, la tradition biblique a constamment condamné le corps et, par voie de suite, le sport. C'est à cause d'une compétition organisée le jour du sabbat que le Temple est détruit. Pour les Maîtres talmudistes, le sport est bitoul zeman (temps perdu) et - note H-I Marrou dans son Histoire de l'éducation dans l'Antiquité - «adopter les usages des goyim, c'est essentiellement s'exercer nu, sur un terrain de sport». Le judéochristianisme recueillera fidèlement cette détestation du corps dévêtu du sportif, l'enrichissant jusqu'à développer une véritable doctrine de la haine du corps.
Haine du corps (qui emprisonne l'âme), du sport, de ce qui est beau, du nu et du plaisir - sources de damnation - : on organise une société uniquement préoccupée, non de se perpétuer, mais de préparer le jugement dernier. Prier, pleurer, gémir, attendre, macérer dans les lamentations, autant de mots d'ordre lancés par ces «émigrés de l'intérieur» pour saper l'Empire. Des empereurs opportunément convertis firent le reste, et l'interdiction de l'activité sportive fut décrétée. Alors, Tertullien lançait l'anathème: «palestiia diaboli negotium» (la palestre est l'oeuvre du diable) ! En 393, un édit de Théodose, interdisant les fêtes païennes, proscrit des Jeux Olympiques moribonds : l'universalisme romain messeyait aux Dieux de l'Olympe, et Pindare était mort sans successeur. En 475, sur ordre de Théodose II, le chef d'oeuvre de Phidias, la statue de Zeus Olympien, est détruite. Sombre victoire des iconoclastes ...
Le voile tombe sur le sport, le corps, la statuaire. Pour longtemps, on ne se préoccupe plus que de formation morale et spirituelle. Avec, toutefois, de lumineuses ouvertures : qui soutiendra que la délivrance du tombeau du Christ fut l'unique raison des croisades ? Il faut autant y voir une expédition expansionniste montée par des princes avides d'en découdre, de se tailler des empires, de vivre aventureusement.
Plaidoyer pour l’homme total
La lecture des auteurs profanes anciens suscita, à la Renaissance, un redécouverte du sport et du corps libéré. Lisons Rabelais : «Gargantua luctoit, couroit, saultoit, d'un saut perçoit un fossé, nageoit en eau profonde, une main en l'air en laquelle tenait un livre transpassoit toute la rivière sans icelui mouiller. Singulièrement estoit apte aprins à saulter hastivement d'un cheval sur l'autre et de chacun costé la lance au poing. Et jouait à la pile trigone, galantement s'exerçant le corps comme il avait l'âme auparavant exercé». Montaigne renchérit : «Ce n'est pas une âme, ce n'est pas un corps qu'on dresse, c'est un homme; il ne faut pas les dresser l'un sans l'autre, mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés à même timon». Mens sana in corpore sano : on semblait revenir à de saines conceptions de l'éducation, mais l'ampleur de cette revitalisation physique fut minime et réservée, une fois encore, à une élite désireuse d'occuper son oisiveté en défis, duels, chasse et exercices militaires.
Le renouveau sportif se produit en Europe dans le sillage de l'agitation nationaliste, au XIX° siècle. La très romantique glorification de la Nation entraîne celle de ses ressortissants, d'où - à l'imitation du pionnier F-L Jahn (1778-1852) - la floraison d'organisations sportives où l'on fortifie le corps pour fortifier la Nation. Relancé par des étudiants marqués par l'idéologie révolutionnaire, le mouvement sportif n'est pas sans ambiguïtés, ambiguïtés que l'on retrouve dans le néo-olympisme et dans l'esprit de son rénovateur, Pierre de Frédi, baron de Coubertin. Cet ancien officier, épris d'idéaux guerrier et nationaliste, conçoit toutefois les jeux comme l’illustration éphémère de la paix mondiale que pourrait amener une meilleure compréhension entre les peuples. Pour ce faire, il octroie à certains sports une valeur mondiale, au détriment des jeux des diverses races mais aussi des disciplines spécifiques à telle ou telle ethnie d'Europe.
Les penseurs inégalitaristes ne restent pas insensibles au renouveau sportif. Maurras assiste aux premiers jeux en Grèce. Montherlant, sportif accompli, compose Les Olympiques et glorifie la corrida, sport viril où l'homme est seul face à sa mort. Julius Evola pratique l'alpinisme, qui lui inspire un remarquable ouvrage (Meditazioni delle vette).
Mais c'est dans les pays totalitaires que le sport et le culte du corps sont poussés jusqu'à leur surévaluation : au dépens de l'image molle du bourgeois adipeux, à la gloire du «Travailleur» qu'idéalisent les statues chères aux régimes hitlérien et soviétique (cf Breker et Mukhina).
Le sport dénaturé
A partir de 1936, la tentation de politiser les jeux va s'affirmer ,jusqu’aux jeux de Moscou en 1980. Puis de politisés au-delà du supportable, les J.O. vont devenir une immense opération financière. La règle de l'amateurisme est lettre morte et une médaille se prépare longtemps à l'avance, dans les ministères et les laboratoires, autant que sur les stades. Le sportif est travesti en panneau publicitaire vantant un produit. Le corps n'est plus avili en tant que source d'impudicité, mais en tant que marchandise.
Avec les mass media, le citoyen ventripotent - qui suit une rencontre télévisée, sirotant un pastis - se déclare «sportif» avec la même flamme que celui qui fréquente la cendrée, le ring, etc. Au demeurant, restons sans illusion : une étude de la Sofres montre que 20% des français seulement déclare pratiquer un sport. Et quels sports ! Les réponses sont symptomatiques de la prime donnée aux loisirs : ski de descente, planche à voile, ping-pong, body building, tennis, etc.; «sports» qui appellent le mot de Gilbert Prouteau : «On peut homologuer une ligue de marelle, un district de croquet et un comité de la boule ferrée. Toutes ces activités ne sont que des distractions. Le sport est autre chose».
Autant dire que le sport n'est pas pris au sérieux, qu'il n'est compris que comme distraction et délassement, et que la recherche de la détente a expulsé toute notion d'effort et, à plus forte raison, de dépassement de soi. Après une brève renaissance (Coubertin, Hébert) voici donc poindre une nouvelle éclipse du corps, et des esprits maladifs se poussent du coude pour gribouiller leur haine de la beauté et de la force vitale. Certain hebdomadaire parisien condamme «l'élitisme sportif si profondément imprégné de la théorie du dépassement de soi qui règne sur les stades pleins de cette statuaire musculeuse à la puissance inquiétante». Deux pédagogues progressistes, Y. Domange et J-P Audrain, décrétent que «le sport c'est la légalisation de l'agressivité, la codification de la violence contre les autres ou contre soi-même»
Les bases d’une éthique
Les braves âmes qui veillent si scrupuleusement à ce que nous ne nous fassions point mal voient-elles qu'elles condamnent non pas les indécentes caricatures que sont les modernes olympiades, mais bien la générosité, le don de soi, la compétition, signes des puissants ? Sentent-elles qu’elles ne condamnent pas la foire financière, mais le sportif qui a le respect de soi-même : que valent de beaux habits si le corps se délabre ?
Les ennemis du corps, par lâcheté, paresse ou conformisme, rejoignent dans leur détestation leurs authentiques pères spirituels. C'est à Saint Augustin que nous devons cette savoureuse condamnation de l'homme et de ses élans : «il faut rougir de cette passion, et de ces membres qui se meuvent d'eux-mêmes On les appelle honteux parce qu'ils n'existaient pas avant le péché de l'homme : le mari pouvait féconder son épouse en toute tranquillité d'esprit et sans perversion du corps». En ces temps bénis, Odon de Cluny qualifiait la femme de «sac d'excrément». En ces temps rêvés, Abélard était émasculé pour sa passion totale pour Héloïse. Voilà la vraie filiation de «progressistes» qui ne se respectent même pas, qui ont renoncé à la dignité de leur corps.
L'idéal sportif, olympien, c'est bien autre chose. C'est «le culte volontaire et habituel de l'effort musculaire intensif, appuyé sur le désir de progrès et pouvant aller jusqu'au risque» (Coubertin). L'anglais Thomas Arnold le définissait comme une «compétition ludique procurant une formation morale par une Formation corporelle». Voici qui doit nous permettre de mieux comprendre le tempérament, le mordant mis par les britanniques dans leurs exploits.
Avec les britanniques, nous partageons bien des sports «ethniques» d'essence celtique. Mais, avec la Grèce, nous partageons également toute une éthique. Le Pr J. Delorme nous le rappelle : «C'est à Olympie que s'est répandue la pratique de la nudité athlétique. Implantée dans les palestres, elle a donné aux sculpteurs le goût de la beauté harmonieuse des corps et l'idéal de loyauté et d'excellence qui animait les concurrents a jeté les bases d'une éthique».
Arthur Honegger a écrit : «De l'effort sportif naît une sorte de rumeur, quelque chose comme un hymne de joie et de force, un hymne silencieux de puissance». Et cet hymne pourrait bien nous garantir, pour un jour qu'il faut préparer, le retour de Pan, d'Apollon, des dieux de l'Olympe, et des jeux authentiques.
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