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L'oeuvre de Seyyed Hossein Nasr: Islam, connaissance, nature et sacré

08/02/03 12.24 t.u.
Robert Steuckers

Peu connu du public francophone, parce peu de ses ouvrages ont été traduits
en français (bien que les éditions L'Age d'Homme de Lausanne préparent la
traduction de l'un de ses livres, L'Islam traditionnel face au monde
moderne), Seyyed Hossein Nasr est né à Téhéran, a fait ses études au
Massachusetts Institute of Technology et à l'Université d'Harvard. En 1958,
il est retourné à Téhéran, où il est devenu directeur de l'Académie
impériale iranienne de philosophie en 1974 et professeur de philosophie à
l'Université de sa ville natale. Aujourd'hui, il enseigne les sciences
religieuses à la Temple University de Philadelphie. Notons aussi que Seyyed
Hossein Nasr a été le collaborateur du célèbre islamologue français Henri
Corbin dans la rédaction de son Histoire de la philosophie islamique, parue
chez Gallimard en 1964.

Le premier livre de Seyyed Hossein Nasr que j'ai lu en 1979 était Man and
Nature. The Spiritual Crisis of Modern Man (Mandala Books/Unwin, London,
1968/76). Le propos de cet ouvrage était à la fois religieux et
"écologique", bien avant que ce vocable n'ait été à la mode. Seyyed Hossein
Nasr, avant tout le monde, nous demandait de ne pas penser séparément la
crise spirituelle de l'homme, provoquée par les assauts de la modernité, et
la crise écologique, subie par la nature, à cause de la logique
accumulatrice et exploitante, inaugurée par cette même modernité. Le tour de
force du Prof. Nasr a été d'aborder la double problématique de l'homme et de
la nature en se référant au taoïsme, à l'hindouïsme, au bouddhisme, au
christianisme et à l'islam.

Vaste panorama des doctrines traditionnelles, présenté dans une optique qui
pose comme axiome, en toute bonne logique traditionaliste et à la suite de
Frithjof Schuon, l'"unité transcendante des religions", les travaux de
Seyyed Hossein Nasr visent, en fait, à recomposer cette harmonie entre
l'homme et la nature qu'a brisée la modernité. La connaissance des doctrines
traditionnelles, énoncées avec beaucoup de pédagogie par le Prof. Nasr, doit
servir à reconstituer, pièce par pièce, l'unité perdue. La négligence des
principes traditionnels a conduit à la crise (morale, politique,
écologique). L'omniprésence des effets de cette crise dans la vie
quotidienne moderne signale l'absence de "quelque chose". Et ce sentiment
d'absence est dû au bannissement de la nature hors de l'environnement
quotidien moderne. Dépourvue de toute signification spirituelle, la nature
déchoit: elle n'est plus qu'une "chose", exploitable, pillable,
instrumentalisable, qui est à la disposition de tous et d'un chacun.

Parallèlement à cette désacralisation généralisée, à cette triste
choséification de l'espace physique naturel, l'expérience religieuse,
désormais débarrassée de tout ancrage fécond, n'est plus ouverte sur le
cosmos; elle n'est plus qu'une expérience strictement privée entre un homme
et son Dieu. Dans un tel appauvrissement de l'expérience religieuse, le
cosmos, le monde, ne sont plus perçus comme les |uvres de Dieu.
Contrairement aux autres religions traditionnelles, le christianisme est,
dans une certaine mesure, responsable de cette désacralisation, parce qu'il
prèche le renoncement au monde et ne lui accorde, par conséquence, aucune
importance métaphysique. Il ne s'agit évidemment pas du christianisme
médiéval qui a su conserver relativement intactes les grandes doctrines
ésotériques, notamment dans les gildes de bâtisseurs de cathédrales, chez
les Fedeli d'amore (auxquels appartenait Dante; cf., à ce propos, René
Guénon, Aperçus sur l'ésotérisme chrétien, Editions traditionnelles, Paris,
1988), dans les cercles hermétiques de tradition pythagoricienne. Ce
christianisme européen médiéval possédait sa science sacrée des objects
matériels, capables de conduire l'âme, depuis les ténèbres de la materia
prima, vers la luminosité du monde intelligible.

Mais cette science sacrée a sans cesse été refoulée par la tentation
chrétienne de refuser le monde, d'une part, par la théologie trop
rationaliste de l'Occident, d'autre part. Pour Seyyed Hossein Nasr, c'est le
contact entre la chrétienté et l'Islam, pendant les croisades, par
l'intermédiaire de l'Ordre du Temple notamment, qui réveille les éléments
dormants de l'ésotérisme religieux en Europe, après le rejet, au XIième
siècle des thèses néo-platoniciennes. En effet, en Islam comme en Chine
taoïste, l'observation de la nature et l'expérimentation ont toujours
conservé leur attachement aux traditions gnostiques et mystiques, empêchant
du même coup que ne s'opère là-bas le divorce complet entre science et
sacré, survenu dans l'Europe du XVIIième siècle. En refusant de séparer
totalement l'homme de la nature, l'Islam préserve une vision intégrale de
l'Univers, non fragmentée, à l'instar de celle de Hugues de Saint-Victor et
de Joachim de Flore au Moyen Age, ou de Swedenborg, après la Renaissance.
Dans cette perspective cosmique, intégrale, dépourvue de césure, l'homme
cherche la transcendance et le surnaturel, non pas en s'opposant à la
nature, mais en prenant appui sur cette même nature. Ce n'est qu'en étant
ancré dans la nature que l'homme peut correctement la dépasser. L'homme doit
apprendre à contempler la nature, non comme si elle était un domaine du réel
tout-à-fait indépendant de lui, mais comme si elle était un miroir
réfléchissant une réalité supérieure.

Seyyed Hossein Nasr réhabilite également les traditions animistes ou
païennes qui ne véhiculent pas de césure entre l'homme et la nature.
D'abord, les traditions des Amérindiens, surtout ceux des Plaines, qui n'ont
évidemment pas développé une métaphysique bien articulée mais en possédaient
néanmoins les fondements dans leur intériorité et les exprimaient par des
symboles très parlants. L'Indien des Plaines était une sorte de monothéiste
primordial, écrit Seyyed Hossein Nasr, et voyait dans la nature vierge, les
forêts, les arbres, les fleuves et le ciel, les oiseaux et les bisons, les
symboles immédiats du monde spirituel. Raison pour laquelle l'Indien refuse
que l'on meurtrisse la nature, qu'on la sollicite outrancièrement.

Ensuite, le paganisme nord-européen, différent du paganisme méditarranéen,
urbanisé et dé-naturé, attribue également, selon Seyyed Hossein Nasr, une
signification symbolique et spirituelle à la nature.

L'unité entre l'homme et la nature, présente dans les doctrines
traditionnelles, dans le christianisme ésotérique, dans la vision du cosmos
des Indiens des Plaines et des Nord-Européens, disparaît avec Descartes, qui
réduit le réel à l'esprit et à la matière, appauvrissant pendant plusieurs
générations la perception occidentale de la nature. Celle-ci n'est plus
perçue que sous l'angle d'une physique quantitative et mécanique, qui,
d'abord, n'est pas la seule physique possible et qui, ensuite, ne rend
compte, justement, que des aspects quantitatifs et mécaniques du monde,
laissant de côté une myriade de facettes, d'harmonies, de formes, qui ne
sont nullement accidentelles ou négligeables, mais, au contraire,
étroitement liées à la racine ontologique des choses. Cette négligence et
cette réduction conduisent à un déséquilibre dangereux, au désordre
généralisé et à la laideur des productions artistiques et architecturales
des hommes, surtout dans un monde comme le monde occidental où il n'y a plus
d'autres sciences de la nature et où toute sapientia a été refoulée.
L'Occident en vient ainsi à oublier que les phénomènes participent tous de
plusieurs niveaux cosmiques différents et que leur réalité ne s'épuise pas
dans un et un seul niveau d'existence. De la même façon qu'un tissu vivant
peut être objet d'étude pour le biologiste, le chimiste ou le physicien, ou
qu'une montagne peut être objet d'études pour le géologue, le géophysicien
ou le géo-morphologue, tout phénomène, quel qu'il soit, doit être observé,
analysé et contemplé sous différents angles ou points de vue.

L'Occident a du mal à se dégager de cette gangue physiciste/mécaniciste.
L'attitude romantique envers la nature, première réaction contre le
paradigme newtonien et cartésien, est demeurée plus sentimentale
qu'intellectuelle, écrit Seyyed Hossein Nasr. Il poursuit: "Cette attitude
passive n'a pu inaugurer un nouveau savoir. Quels que soient les services
que le mouvement romantique a rendu à l'esprit en rédécouvrant l'art
médiéval ou la beauté de la nature vierge, il n'a pu influencer le cours de
la science ni ajouter une nouvelle dimension à l'intérieur même de la
science...". Plus tard, la théorie de l'évolution, bien que biologisante et
non plus unilatéralement mécanicisante, ne reflète que le Zeitgeist
accumulateur, écrit Seyyed Hossein Nasr, sans "ré-organiciser" de fond en
comble les sciences physiques, tout en parodiant l'historicisme inhérent à
la vulgate chrétienne.

Et quand la physique newtono-cartésienne s'effondre à la fin du XIXième
siècle, l'Occident se retrouve sans aucune force spirituelle capable de
ré-interpréter la nouvelle physique et de l'intégrer dans une perspective
plus générale et universelle. Par ailleurs, l'effondrement du paradigme
mécaniciste ouvre la voie à toutes sortes de mouvements pseudo-spirituels ou
occultistes, tandis que les théologiens, maladroits et éloignés de toute
véritable sapientia, ne parviennent pas à donner une réponse satisfaisante
ou élaborent des corpus boîteux, comme celui de Teilhard de Chardin, qui,
écrit Seyyed Hossein Nasr, "est une absurdité sur le plan de la métaphysique
et une hérésie sur le plan de la théologie".

Dans un second ouvrage de Seyyed Hossein Nasr, paru en traduction allemande
en 1990

Seyyed Hossein Nasr,
Die Erkenntnis und das Heilige,
(Knowledge and the Sacred)
Eugen Diederichs Verlag, München, 1990, 438 S.,
ISBN 3-424-01031-6

notre auteur récapitule ses arguments, tout en opposant la connaissance
sapentiale et les processus involutifs de désacralisation, l'homme
pontifical (de pontifex, pontem-facere, faire de soi un pont entre le ciel
et la terre) à l'homme prométhéen. Le propos de Seyyed Hossein Nasr vise à
réhabiliter le sacré dans la science, à réouvrir la science aux perspectives
métaphysiques, c'est-à-dire aux plans qualitatifs ignorés par le paradigme
newtono-cartésien, mais présents dans l'Islam traditionnel, par exemple.

Pour Seyyed Hossein Nasr, en Islam, religion qui, comme le judaïsme, repose
sur la spiritualité abrahamique, le message de la révélation s'adresse
essentiellement aux facultés de connaissance; en effet, la révélation
islamique s'adresse à l'homme en tant qu'intelligence, capable de faire la
distinction entre le réel et l'irréel, de reconnaître et de vénérer
l'Absolu. Ce message, écrit Seyyed Hossein Nasr, a été déterminé dans
l'histoire par son premier conteneur, c'est-à-dire la mentalité
sémitique-arabe, qui lui a conféré une certaine émotionalité, une propension
à l'inspiration exaltée, qui, sur le plan théologique, se traduit par une
forme d'"anti-intellectualisme" volontaire/volontariste. Il n'en demeure pas
moins que cette émotionalité anti-intellectualiste de facture
sémitique-arabe n'est qu'un aspect circonstantiel de l'Islam. Son noyau
essentiel demeure le primat de la connaissance, auquel émotions,
inspirations et exaltations doivent rester subordonnées. Le premier article
de la foi islamique Lã ilãha illa1 Llãh (Il n'y a point d'autre divin que le
Divin) s'adresse en premier lieu à la connaissance et non au sentiment ou à
la volonté. Le principe de connaissance est le moteur de l'Islam et tous les
noms traditionnels relatifs aux écrits sacrés ont un rapport avec la
connaissance: al-qur1ãn (exposé, discours), al-furqãn (distinction), etc. En
terre d'Islam, tout au long de l'histoire, nous repérons un véritable culte
de la connaissance.

Culte de la connaissance qui est lié, écrit Seyyed Hossein Nasr, à cette
sapientia, cette sophia, qui dépasse la dichotomie conventionnelle entre
l'intellectualisme grec et l'"inspirationalisme" hébraïque. La sophia, en
effet, n'est ni pure intellectualité ni pure foi. Elle est les deux, à la
perfection. Les néo-platoniciens l'ont mise en valeur, mais leur message n'a
pas été entièrement compris, du moins dans le contexte chrétien et européen.
La tradition chrétienne ne se veut pas a priori un chemin de la
connaissance, mais un chemin de l'Amour, ce qui a conduit, dès l'aube de
l'ère moderne, à négliger la sagesse/sophia, comme si elle était un corps
étranger au sein d'une religion purement éthique, dont le socle serait
l'amour pour Dieu et pour le prochain et l'élément central la foi. Certes,
écrit Nasr, le christianisme est une religion qui privilégie la voie de
l'Amour, mais son histoire révèle tout de même des pistes qui ont valorisé
les voies de la connaissance et de la sagesse. Notamment, dans les
traditions johannites, qui affirment le primat du logos, source de la
révélation et de la connaissance ("Au commencement était le Verbe"). Cette
attention moindre du christianisme au primat de la connaissance à conduit à
la surévaluation contemporaine de l'éthique, au détriment de la naturalité,
du politique et du travail (cf. Sigrid Hunke, Vom Untergang des Abendlandes
zum Aufgang Europas. Bewußtseinswandel und Zukunftsperspektiven, Horizonte
Verlag, Rosenheim, 1989).

Ce "chemin de la sagesse", nous le retrouvons à Byzance, où se dresse la
construction sacrée la plus belle du christianisme primitif, la Hagia
Sophia, dédiée à la Sagesse, représentée par ailleurs sous les traits d'une
belle jeune femme, qui sera, tour à tour, la Vierge Marie ou la Béatrice de
Dante ou Fatima, la fille du Prophète. Mais ce culte de la sophia et de la
gnosis sera graduellement refoulé, si bien qu'en Occident le concept de
connaissance sera entièrement sécularisé. Pourtant la dimension sapientiale
a été présente dans le christianisme, surtout chez Denys l'Aréopagyte, que
le grand métaphysicien indien A. K. Coomaraswamy appelle le plus grand des
Européens à côté de Dante. Son message est revenu au IXième siècle grâce aux
traductions et aux travaux de l'Irlandais Jean Scot Erigène (810-877), dans
le De divisione naturae, écrit entre 864 et 866. Pour Denys l'Aréopagyte et
Jean Scot Erigène, la connaissance est centrale, elle est le moteur
permanent de tout et non pas le simple moteur premier (à la phrase latine
"in principio erat verbum", soit "au commencement était le Verbe", Scot
Erigène substitue "in principio est Verbum", "au commencement est le Verbe",
signalant par ce présent, qui est au fond intemporel, que le commencement de
toute chose réside dans la connaissance). Cette vision du divin renoue avec
l'émanatisme néo-platonicien: tout procède du moteur premier, c'est-à-dire
du principe supérieur, thèse radicalement différente de celle de
l'évolutionnisme, où tout part des êtres les plus bas de l'échelle.

Jugé hérétique et condamné par le Pape Honoré III en 1225, Jean Scot Erigène
est compté parmi les philosophes panthéistes; les penseurs et philosophes
islamiques, surtout ceux qui sont marqués par le soufisme, aiment son |uvre,
comme celle de tous les néo-platoniciens, panthéistes et mystiques européens
(Pélage, Maître Eckhart, Nicolas de Cues) car elle correspond à la théorie
soufique de la Création que l'on désigne par "le renouvellement de la
Création en chaque instant" ou "à chaque souffle" (Tajdîd al-khalq
bilanfas), théorie proche de celle qui posent les archétypes se projettant
dans l'existence par émanation à chaque instant, émanation qui traverse les
hommes, anéantissant leur passé au même moment où elle les renouvelle. Les
"expirs" (anfãs) du Clément sont dilatations du divin, c'est-à-dire
déploiement de "possibilités relatives" à partir des archétypes; la
surabondance de l'Etre "déborde" (afãda) sur les essences limitées. Ibn
Arabî identifie l'"Expir" divin à la Nature universelle (at-Tabî'ah),
attribuant à celle-ci une fonction cosmogonique analogue à celle que les
Hindous désignent comme la Shakti, l'"énergie productive" de la Divinité
(source de ce §: Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de
l'Islam, Dervy-Livres, Paris, 1969).

L'Occident n'a pas approfondi cette veine mystique et néo-platonicienne,
contrairement à l'Inde et à l'Islam. Il a préféré les "synthèses
théologiques" de Saint-Bonaventure, de Saint Thomas d'Aquin ou de Duns Scot,
mettant l'accent sur la contemplation, le silence contemplatif ou la
volonté. Pour Seyyed Hossein Nasr, ces synthèses scolastiques surtout celle
de Thomas d'Aquin, enferment leurs intuitions métaphysiques, qui sont
justes, dans le corset étouffant de catégories syllogistiques, dans un
rationalisme étroit. La sophia, dans ses avatars christianisés, est ainsi
voilée; la connaissance, la sapience, perd son caractère sacré, et un
divorce s'instaure entre la philosophie et la sagesse/sophia. Cette
théologie et cette philosophie du voilement, amorçant la désacralisation
généralisée du savoir et de la connaissance, donne le ton en Occident et
refoule dans la marginalité les traditions mystiques (dont celle de Maître
Eckhart). Le thomisme a donc été la forme la plus achevée et la plus mûre de
la théologie chrétienne: mais il n'était pas pure sapientia et médiatisait
dangereusement le rapport entre l'entendement humain et la raison divine.

Pour comprendre ce processus d'occultation de la sophia et de
désacralisation, il faut signaler l'influence exercée par les doctrines
d'Ibn Sînâ (Avicenne) et Ibn Rushd (Averroës) dans le monde où le latin
était langue savante. La traduction en latin a gommé une bonne part des
potentialités scientifiques et sapientiales de ces doctrines: en effet, en
Islam, avec Suhrawardî, l'interprétation des travaux d'Avicenne et
d'Averroës renforce la scientificité de la science islamique pré-moderne,
sans scotomiser le fond sapiential, tandis qu'en Occident latin, les
fragments épars les plus rationalistes de ces philosophies s'imposent.
L'Occident opte dès lors pour une interprétation rationaliste de
l'avicennisme et de l'averroïsme; l'Islam, lui, proclame la primauté de
l'intellectio sur la ratiocinatio. Suhrawardî parle d'illumination immédiate
par la nature aux dimensions sacrées; l'Occident privilégie les mécanismes
médiats du discours.

La présence de ces doctrines émanatistes, où la nature est respectée en tant
que véhicule des grâces divines, dans toutes les traditions islamiques,
christianisées, hindoues, chinoises, néo-platoniciennes, etc. permet de
parler d'une philosophia perennis ou d'une sanatâna dharma (A.K.
Coomaraswamy) ou de "religion pérenne" (F. Schuon; cf. Sur les traces de la
religion pérenne, Le Courrier du Livre, Paris, 1982) ou de "vraie religion
de l'Europe" (Sigrid Hunke, La vraie religion de l'Europe, Le Labyrinthe,
Paris, 1985; le livre de Sigrid Hunke se limite géographiquement à
l'Europe). Seyyed Hossein Nasr nous rappelle que l'expression de philosophia
perennis remonte au XVIième siècle et se retrouve dans l'|uvre d'un
hébraïsant et arabisant italien, bibliothécaire du Vatican, Agostino Steuco
(1497-1548), notamment dans son De perenni philosophia, un ouvrage clef,
marqué par les pensées de Marcille Ficin (qui parlait de philosophia
priscorium ou de prisca theologia), Pic de la Mirandole et Nicolas de Cues.
Dans De pace fidei, Steuco plaide pour une réconciliation ou du moins pour
une coexistence harmonieuse des grandes religions, qui s'opérerait par le
haut, précisément sur base de la philosophia perennis. Ce recours à la
philosophia perennis permet de renouer avec les traditions grecques païennes
(Platon, Pythagore, Empédocle, etc.) et celles de l'Iran pré-islamique. La
Sophia perennis précède donc les révélations du Livre, ce qui permet de
parler de Tradition (primordiale) ou, en arabe, d'al-dîn.




 
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