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Quand Lionel Jospin fréquentait les révisos
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14/09/02 |
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12.31 t.u. |
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Pierre Guillaume |
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L'approche des élections présidentielles et la parution de plusieurs livres consacrés à la biographie de Lionel Jospin, notamment celui de Claude Askolovitch (août 2001), avaient conduit plusieurs journalistes à s'interroger sur les raisons pour lesquelles tous ses biographes faisaient silence sur les relations que «Lionel» avait entretenues avec Pierre Guillaume, le fondateur de la librairie La Vieille Taupe, et l'éditeur des historiens révisionnistes en France.
Ces relations étaient parfaitement connues des initiés. De plus, elles sont publiques depuis la lettre ouverte du 25 mai 1997, qui avait circulé dans les rédactions et avait été reproduite en page centrale du journal de rue Le Réverbère (n°114). Ces relations étaient d'ailleurs déjà publiques depuis la publication du n°1 de la revue La Vieille Taupe, diffusée au printemps 1995 par les NMPP (page 133).
C'est pourquoi Pierre Guillaume donnait rendez-vous à l'un de ces journalistes de la presse que l'on dit «grande» par référence à ses tirages, le 9 septembre 2001 à Thouars, pour lui remettre le texte d'une Seconde et dernière lettre ouverte à Lionel Jospin, et pour lui permettre d'assister à la partie visible d'une «action spéciale» de la Vieille Taupe, et de prendre des photographies des temps forts de cette opération.
A cette occasion, le journaliste remettait à Pierre Guillaume seize questions d'une interview écrite qui devait être publiée in extenso ne varietur à la suite du reportage du journaliste dans une livraison de fin septembre ou de début octobre 2001 de l'hebdomadaire VSD.
Le bombardement du World Trade Center, survenu le 11 septembre 2001, et l'actualité que cet événement monopolisait, ont différé de semaines en semaines cette publication (1), puis des pressions de toutes natures se sont exercées pour en empêcher la publication par une presse qui est… libre de se soumettre !
La Seconde et dernière lettre ouverte à Lionel a donc connu, depuis le 9 septembre 2001 une diffusion spontanée, par internet et par photocopie.
Un second journaliste de la «grande» presse s'est alors intéressé à cette affaire. Il a rédigé un article sous sa seule responsabilité, dont je ne connais pas la teneur. Il m'a téléphoné pour vérifier que son article ne contenait pas d'informations matériellement inexactes et il ne m'a pas caché que son principal objectif était de contribuer à faire battre Lionel Jospin aux présidentielles. Il pensait proposer son article à Valeurs Actuelles, qui, semble-t-il, après hésitations, n'a pas donné suite.
Un ou deux mois plus tard, je recevais un coup de fil affolé d'une personne qui me connaît bien. Cette personne s'était trouvée par hasard attablée dans un Café du 5ième arrondissement, à coté de deux journalistes qui parlaient de moi, et «l'un avait remis à l'autre un article concernant mes relations avec Jospin, pour être publié dans Le Figaro».
Finalement, il n'en a rien été.
Enfin un autre ami m'a récemment averti qu'il avait rencontré l'un des rares journalistes de La Croix qui conserve une culture catholique, selon lui, et que ce journaliste possédait une copie de ma Seconde et dernière lettre à Lionel Jospin.
Les rédactions de plusieurs grands médias disposent donc d'informations qu'elles jugent importantes mais qu'elles décident, tous comptes faits, de garder sous le coude. D'après un quatrième ami, féru de tactique électorale, les chiraquiens, quant à eux, voudraient bloquer l'info pour le deuxième tour des élections.
Quoiqu'il en soit, je livre au public cet interview, qui devait paraître dans VSD et dont la publication a été obvié par l'attentat du 11 septembre.
Pierre Guillaume,
le 23-02-2002.
(Texte de l'interview)
Quand et dans quelles circonstances avez-vous rencontré Lionel Jospin ?
Je n'ai pas gardé le souvenir d'une première rencontre. Élisabeth Dannenmuller, sa première épouse, avait été condisciple puis amie de mes soeurs. Elle a ensuite habité au 29 rue Tournefort, chez un certain Lautrec, qui sous-louait au noir des chambres à des étudiants dans des locaux mis à sa disposition par la ville de Paris pour une quelconque académie de peinture. Lionel y a occupé une chambre. Plusieurs de ceux qui ont participé aux activités de la première Vieille Taupe, une librairie ultra-gauche que j'avais créée en compagnie de Guy Debord, en septembre 1965, ont habité chez ce Lautrec, en compagnie d'Élisabeth, après que Lionel ait quitté les lieux. Tel fut le cas notamment de Jacques Baynac et de Denis Authier. Ce n'est qu'après qu'Élisabeth eut renoué ses relations avec Lionel que je l'ai rencontré assez régulièrement. Mais plusieurs de mes proches, dont mon épouse, le connaissaient avant que je ne le rencontre.
Étiez-vous au courant de son engagement lambertiste, et, à votre avis, quelle était la profondeur de cet engagement, et vous paraît-il avoir perduré après son adhésion au Parti socialiste ?
Je savais qu'il était lambertiste, avec un statut spécial pour préserver sa clandestinité, avant de l'avoir rencontré personnellement.
J'avais envers l'OCI une hostilité complète. Je considérais ce groupe comme le plus louche des groupes trotskistes, et ses méthodes de bluff et de manipulation comme des plus perverses et dangereuses. En 1968 je m'étais opposé à l'OCI dans plusieurs comités d'usine et à la RATP en particulier. J'avais dénoncé leur technique de noyautage des assemblées, chacun se présentant comme représentant des travailleurs de ceci ou de cela, mais cachant soigneusement son appartenance à la même organisation. Les travailleurs de tel ou tel secteur ignoraient, bien entendu, qu'ils étaient «représentés» par de tels «délégués». Ils parlaient partout au nom de la classe ouvrière, surtout parmi les étudiants ignares. Une fois, Renard, l'un de leurs «leaders ouvriers» en difficulté avec une dizaine de Lambertistes dans un amphi de Censier occupé, avait lui-même cassé discrètement un de ses verres de lunettes et s'était égratigné et ensanglanté l'arcade sourcilière et la pommette, puis s'était mis à hurler, pour reprendre l'avantage : «On a agressé un représentant de la classe ouvrière !».
J'ai même appris par la suite qu'il avait fait le coup plusieurs fois, et qu'à l'intérieur de l'organisation il ne craignait pas de se vanter de cette habileté. Je peux d'ailleurs en raconter bien d'autres sur l'OCI.
Mais Lionel, en tant que haut-fonctionnaire et clandestin, ne participait pas à tout ça. Il était en contact avec la direction pour des conciliabules où les réalités du terrain ne devaient avoir guère de place.
Je savais donc qu'il avait fait, et faisait de l'«entrisme», c'est à dire du noyautage, au PS avant même de l'avoir rencontré. Et je considérais tout ça comme complètement absurde. Mais quand j'ai rencontré Lionel, je l'ai trouvé ouvert, honnête, même scrupuleux, et sympathique. Je n'ai jamais compris ce qu'il faisait dans ce panier de crabes, ni comment il pouvait évoluer dans le PS et ses canailleries. Je n'ignorais aucune des ambiguïtés de la biographie politique de Mitterrand, que certains ont découvertes, ou fait semblant de découvrir un peu plus tard.
N'avez-vous pas connu vous-même Boris Fraenkel, le «cornac» de Jospin à l’Organisation communsite internationaliste ?
Boris Fraenkel est venu plusieurs fois à la librairie. Il faisait l'important. Je l'ai trouvé prétentieux et fat, mais j'ignorais à l'époque son rôle vis à vis de Lionel. Il se proclamait disciple de Wilhelm Reich. Et je me dis que, si c'est à travers ça que Lionel a cru connaître le mouvement ouvrier révolutionnaire, c'est assez triste et déprimant. Peut-être Fraenkel était-il passé à la Vieille Taupe parce que Lionel lui en avait parlé. Il devait être intrigué par ce que la Vieille Taupe représentait. Je me souviens parfaitement d'une fois où je lui avais dit tout le mal que je pensais de l'«entrisme», et de la social-démocratie… et du trotskisme. Mais j'avais parlé en général, sans du tout penser à Lionel.
Vous dites avoir fait partie du «très petit groupe de personnes qui aient connu la nature présidentielle de [ses] ambitions politiques personnelles, à une époque où [il faisait] encore de l'"entrisme" au parti socialiste». Vous écrivez également que cette ambition «s'inscrivait dans la continuité d'un rêve d'enfant». Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?
J'avais dans mon entourage plusieurs personnes qui connaissaient Lionel avant que je ne l'ai moi-même rencontré. C'est par ces canaux que j'ai su ce que j'ai su. Mais je ne peux pas en dire plus sans risquer d'identifier trop précisément ma source, qui ne manquerait pas d'être elle-même suspectée de révisionnisme, ce qui aujourd'hui entraîne toutes sortes de persécutions.
On sait que Lionel Jospin est passé à côté de Mai 68 dont il n'a pas compris l'importance. En avez-vous été témoin ?
A ma connaissance, il n'a jamais prétendu le contraire. Mais mon épouse se souvient de l'avoir rencontré en mai 68, errant comme une âme en peine autour du Panthéon et lui avouant qu'il était plutôt déboussolé par ce qui se passait.
Il y a eu une époque où il cherchait à comprendre et à s'informer, sur les situationnistes par exemple, mais l'idée de spontanéité et de créativité de la classe ouvrière lui était impénétrable, et il ne parvenait pas à comprendre ce qui ne se traduisait pas en rapports de forces dans le champ politique.
Vous êtes à une époque si proche de Lionel que vous partez en vacances avec lui - et d'autres ? -, à l’été 1973, en Guadeloupe. Quels en sont vos souvenirs ?
Non, nous ne sommes pas parti en vacances ensemble. Le hasard a fait que j'allais en Guadeloupe pour la première fois rencontrer mes beaux-parents et leur présenter ma fille, qui avait onze mois. Lionel et Élisabeth y allaient en vacances. Élisabeth était elle-même enceinte de six mois. C'était aussi quelque chose qui la rapprochait de ma femme, et nous rapprochait tous, en dehors de la politique. Nous en avons profité pour nous rencontrer et faire plusieurs sorties ensemble. Lionel, qui est sportif et qui a des goûts simples, souhaitait faire une randonnée en forêt et ne trouvait pas de partenaires. Nous avons fait tous les deux une «trace» sur les flans de la Soufrières, distincte de l'ascension touristique habituelle. Pendant les cinq heures de marche nous avons très peu parlé, et pas du tout de politique ni de théorie révolutionnaire (ce qui n'est pas du tout la même chose).
Vous semblez avoir eu, sur les flancs de la Soufrière, une conversation en tête-à-tête qui vous a marqué.
Plus exactement au retour en voiture sur Basse-Terre. Je me demandais justement comment ce type si honnête et si sympathique pouvait grenouiller avec les trotskistes et les socialistes, dont je me demandais d'ailleurs quels rapports ils avaient avec Trotsky et le socialisme… mais c'est là une autre question.
J'avais essayé de lui expliquer, sans y parvenir, que les problèmes réels qui déterminent les affrontement sociaux sérieux n'ont tout simplement aucun rapport avec ce dont on parle en politique et qu'au surplus les acteurs en sont rarement conscients. Ils ne deviennent conscients que quand ils agissent et en prenant conscience de leur action. Dans ces conditions la politique, et la démocratie, sont des illusions et des mystifications. Quand le mouvement social fait irruption et pose les problèmes réels, non seulement il s'émancipe des cadres «démocratiques», mais les organisations «démocratiques» ou «révolutionnaires» sont les premiers obstacles qu'il rencontre sur son chemin. Lionel m'avait fait en réponse une profession de foi politique, démocratique et électoraliste qui m'avait paru parfaitement naïve mais totalement sincère.
Dans votre première lettre ouverte, vous écrivez que si vos relations amicales ne devaient rien à la politique, vous n'ignoriez rien l'un de l'autre. Cela veut-il dire que Lionel Jospin connaissait parfaitement votre engagement en faveur des révisionnistes ? Et qu'en pensait-il ?
J'avais certainement du évoquer l'œuvre de Rassinier que j'avais découvert en 1967-68, et fait part de mes interrogations «révisionnistes», mais avant 1978 et l'éclatement de l'affaire Faurisson on ne peut pas parler de ma part d'«engagement en faveur des révisionnistes» dont j'ignorais l'existence. A l'époque la question n'était pas tabou et la religion de l'holocauste n'avait pas envahi l'espace social. Au surplus, j'avais fermé la Vieille Taupe en 1972 et je n'avais plus aucune activité visible socialement depuis cette date. C'est donc à lui qu'il faudrait poser la question pour la période 72-78.
Quand l'affaire Faurisson a éclaté publiquement, en septembre 78, j'ai été discret et je lui ai fait parvenir quelques documents, dont le Mensonge d'Ulysse que j'avais réédité en avril 1979. J'ai eu plusieurs discussions où j'ai exposé sommairement mes interrogations, sans qu'il m'oppose jamais le moindre argument, autre que ces questions ne lui paraissaient pas opportunes. Je suis allé une foi chez lui, rue Servandoni, avec Faurisson, mais il n'était pas là. Nous avons parlé avec Élisabeth du film que nous venions de voir : Good bye , Mister Chance.
Manifestement Lionel ne voulait pas entrer dans le débat historique mais il n'a jamais mis en doute mon honnêteté et ma bonne foi. Il savait pertinemment que je n'étais pas raciste et encore moins antisémite, mais pour lui, c'était aux historiens de débattre de l'existence ou de l'inexistence des Chambres comme moyen d'exécution. Cela ne remettait pas en cause la vision générale de l'histoire de la guerre. C'était un «détail» en quelque sorte. Mais qu'il n'était pas opportun de soulever.
Je partageais d'ailleurs à peu près ce point de vue à l'époque où je ne connaissais qu'une partie du dossier historique, mais ce qui n'était plus un détail pour moi c'était la formidable répression subie par les révisionnistes, et cela je ne pouvais pas l'accepter.
Jusqu'au vote de la loi Fabius-Gayssot en juillet 90, qui instituait le dogme républicain de l'Holocauste, on pouvait espérer qu'un débat finisse par s'instaurer.
Robert Jospin, le père de Lionel, militant pacifiste, fut lié à Paul Rassinier, le père du révisionnisme historique. Lionel Jospin vous paraissait-il avoir connaissance de ses écrits ?
Le jour où je lui ai remis le Mensonge d'Ulysse, Lionel m'a dit que le seul livre de Rassinier qu'il avait lu était Candasse ou le huitième péché capital qu'il avait eu par son père. La position de Rassinier le laissait perplexe.
Robert Jospin avait rencontré Paul Rassinier dans des réunions pacifistes et l'avait estimé. Ils étaient tous deux membres de l'Union pacifiste. Quand Rassinier a été victime d'attaques le traitant de «fasciste», il a été désinformé en particulier par un autre «pacifiste», Maurice Laizant, et il n'a pas su démêler le vrai du faux. Il semble s'être laissé convaincre que Rassinier était «indéfendable». Il s'est plus ou moins rallié à la cabale mais avec gène et regrets, pensant que Rassinier «allait trop loin». Mais il comprenait la logique générale de l'engagement pacifiste de Rassinier, et il l'approuvait. Il comprenait aussi parfaitement comment les «chambres à gaz», et la propagande d'atrocités, étaient instrumentalisées par les bellicistes, mais il croyait que l'existence des chambres reposait sur des preuves incontestables.
J'ai rencontré Robert Jospin et j'ai évoqué cette affaire avec lui à la dernière conférence qu'il a faite dans les locaux de la Libre Pensée, rue des Fossés St Jacques, et où il avait vertement critiqué le bellicisme et l'attitude du gouvernement français, des «socialistes» en général, et de Lionel ministre en particulier. L'évocation du souvenir de Rassinier l'avait ému, et l'idée qu'il aurait pu avoir raison et avoir été injustement calomnié le perturbait profondément.
Au début de l'affaire Faurisson, donc vers 1980, en tant qu'éditeur de Robert Faurisson, vous craignez d'être victime d'une opération de provocation visant à vous impliquer dans une affaire de terrorisme. Vous vous adressez alors à Lionel Jospin, avant de vous rendre à la DST pour exposer vos soupçons. Quelle est la réaction de Lionel Jospin, et que vous conseille-t-il de faire ?
L'affaire Faurisson a éclaté en septembre 1978. Fin 1980 j'ai publié le Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire de Robert Faurisson, avec en préface l'avis que Noam Chomsky avait envoyé au tribunal de Paris dans le procès où Jacob Assous, Jean-Gabriel Cohn-Bendit, Maurice Di Scuillo, Jean-Luc Redlinski, Gabor Tamàs Rittersporn, Serge Thion et moi-même étions intervenants volontaires aux coté de Robert Faurisson.
L'émoi était considérable et la tension dans le minuscule camp révisionniste était extrême. Nous étions en permanence l'objet de pressions et de menaces. Un japonais, invoquant la recommandation d'une connaissance commune, un zengakuren de l'époque de Socialisme ou Barbarie, débarquait chez moi et me demandait de l'héberger quelques jours. Ce que je fis. Mais divers détails qu'il serait trop long de raconter ici me mettaient la puce à l'oreille… C'était un montage et une provocation. Il suffisait que ce Japonais disparaisse après avoir laissé des traces de son implication comme estafette ou porteur de valise dans un attentat terroriste pour que l'éditeur de Faurisson se trouve impliqué et accusé d'avoir hébergé… etc.
La seule parade était de rendre mes soupçons publics, mais je n'avais aucun moyen pour le faire, et ce n'était que des soupçons. Allez exposer la situation à la DST n'était pas une garantie suffisante, car je ne savais pas exactement d'où venait le coup, et la DST ne donne pas de double des dépositions qu'on y fait. Si l'affaire tournait mal, et que mes soupçons se vérifiaient, la DST pouvait décider de me laisser dans la panade.
Lionel était devenu premier secrétaire du PS. Il était la seule personne que je connaissais qui ait un poids institutionnel. Je suis donc allé le voir avant de me rendre dans les locaux de la DST pour lui exposer le contenu de la déposition que je m'apprêtais à faire, et lui demander d'en témoigner publiquement au cas où l'affaire tournerait mal, et je lui ai demandé l'autorisation d'avertir la DST du fait que je lui avais communiqué auparavant le contenu de ma déposition. Ce qu'il a accepté. Il se demandait probablement si je ne délirais pas complètement, mais il a accepté, et je lui en suis reconnaissant. Il a accepté de témoigner de la vérité… et de rien d'autre, et je ne lui avais d'ailleurs demandé rien d'autre… mais c'est déjà beaucoup.
Au cours de la conversation que nous avons eu ce jours-là (la DST a donc la date exacte) il m'a dit à la fois combien il avait pour sa part horreur de toutes ces histoires de coups tordus en politique. Il ne voulait pas s'en mêler, mais il m'a conseillé d'aller voir Grossouvre, «qui était le spécialiste des services secrets dans le parti». Il m'a proposé son numéro de téléphone mais j'ai décliné l'invitation.
C'est ce jour-là qu'il m'a dit, peut-être pour me calmer, car j'étais très tendu, que lui-même ne voulait pas étudier le dossier historique, mais que : «De toute façon il ne serait jamais question d'interdire un livre d'histoire en France». Les révisionnistes n'avaient donc qu'à publier des travaux historiques sérieux, et j'avais tort de m'inquiéter.
Je précise que mes craintes d'une provocation liée à l'irruption de ce Japonais étaient exactes. J'ai découvert que le «délégué Zengakuren» que j'avais connu bien des années plus tôt, censé être retourné au Japon et avoir recommandé cet «étudiant» japonais, loin d'être au Japon, était à Paris et avait des rendez-vous clandestins dans des cafés avec cet «étudiant» prétendument totalement seul dans Paris et n'ayant que mon adresse comme recours !
Il n'était pas difficile d'en déduire, par récurrence, que le délégué Zengakuren que j'avais connu vingt ans plus tôt, n'avait été en fait qu'un agent de pénétration de l'ultra-gauche par un service de police. Quant à l'attentat dans lequel ont voulait indirectement m'impliquer, il a bien eu lieu, il est attribué à Carlos, je crois… Mais c'est là une autre histoire !
Vous écrivez que, devenu ministre, Lionel Jospin a traité «avec un certain doigté les différentes affaires de révisionnisme apparues dans l'Éducation nationale, dont l'une impliquait une amie d'adolescence de [son] épouse et un membre éminent du Parti des travailleurs». De quoi s'agit-il ?
Il a eu a traiter comme ministre de la carrière du Professeur Faurisson et de divers cas de professeurs accusés de «révisionnisme». Il l'a fait, mais avec une relative modération comparé à ce qui est advenu par la suite, et aux comportements de butor hystérique de Jack Lang. Faurisson n'a pas été révoqué, et bien que beaucoup d'illégalités aient été commises à son égard, et une brillante carrière brisée, il est maintenant en retraite. Alors que Michel Adam, Vincent Reynouard, Serge Thion, ont été révoqués, sans traitement du jour au lendemain et que, fait sans précédent, les diplômes universitaires de Jean Plantin ont été annulés rétroactivement ! Mais je ne souhaite pas en dire plus sur les révisionnistes qui sont passés à travers les gouttes au temps où Lionel était ministre de l'EN, et en tout cas je ne veux pas citer de noms, car la chasse aux sorcières révisionnistes est devenue une réalité dont je ne veux pas être complice. Simplement, l'un de ces professeurs suspectés de révisionnisme était un ancien membre de l'OCI lambertiste…
Vous étiez présent au mariage de Lionel Jospin avec Élisabeth Dannenmüller à Sceaux ; il y a eu ce voyage en Guadeloupe et bien d'autres occasions de faire des photos souvenirs ; or comment se fait-il que vous n'ayez pas gardé de photos sur lesquelles on pourrait vous voir tous deux ?
La méfiance à l'égard des photos de groupe était traditionnelle dans les milieux trotskistes. Elle est due à l'expérience historique de la répression, stalinienne, fasciste ou démocratique. Les services de police sont friands des photos qui permettent de reconstituer les liens interindividuels. Pendant la Résistance, bien des gens sont tombés parce qu'on avait retrouvé de vieilles photos dont l'exploitation a permis à la police de reconstituer des liens jusqu'alors inconnus. A mon premier mariage, mes témoins, Lyotard et Signorelli, militants à Socialisme ou Barbarie, s'étaient interrogés s'ils devaient figurer sur une photo. C'était la guerre d'Algérie.
C'est évidemment tout à fait différent lorsqu'il s'agit de cacher au public, pour des raisons électorales, des épisodes du passé que la police connaît, comme la photo de Bousquet chez Mitterrand. Toujours est-il qu'à son mariage à Sceaux, où la présidente de l'IUT se trouvait également, et bien d'autres, période officiellement «socialiste», il ne fallait pas trop afficher de liens avec la nébuleuse trop «gauchiste» ou «révolutionnaire».
A ma connaissance il n'a jamais existé qu'une diapositive de pique-nique à Mare-Gaillard, en juillet 1973, ou l'on voit Lionel de dos (Il avait autorisé ma fille à cette condition) avec Élisabeth, ma femme et moi. Mais à l'époque sa réticence n'avait rigoureusement rien à voir avec le révisionnisme, et personne n'envisageait l'éventualité d'une affaire Faurisson. Par contre cette diapositive a disparu de la troisième étagère de ma bibliothèque en pleine affaire Faurisson, à une époque où beaucoup de gens circulaient chez moi. Je n'ai jamais tiré au clair cette disparition. Mais c'était en début de campagne électorale, et quelqu'un qui a quelque expérience m'a dit que ce serait bien dans les méthodes des RG.
Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois et pour quelles raisons vos relations se sont-elles distendues ?
Je ne parviens pas à classer chronologiquement les souvenirs que je conserve. Je ne peux répondre avec exactitude. Je me souviens de lui avoir adressé un dossier pour le congrès de Bourg-en-Bresse, mais nos relations avaient cessé avant. J'avais tout au plus espéré que Lionel ferait preuve de modération et respecterait les formes légales dans l'inéluctable répression du révisionnisme.
Dés lors que le camp décidé à empêcher le travail normal de l'histoire pour préserver ses mythes fondateurs et identitaires ne reculait devant rien, je savais bien qu'aucun homme politique ne pouvait plus rien, sauf à démissionner et renoncer à toute carrière. Ce qui était trop demander. Restaient l'ironie et la patience… Et de son point de vue, j'étais devenu infréquentable pour des raisons évidentes…, c'est donc à lui qu'il faudrait le demander. Ce qui est certain c'est qu'il m'a dit que j'avais tord de me lancer dans cette affaire, mais qu'il ne m'a jamais dit qu'il était convaincu de l'existence des chambres à gaz, et il ne m'a jamais opposé le moindre argument.
Le 3 avril 1995, au cours d'une réunion publique tenue dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle, vous interpellez publiquement Lionel Jospin sur l'interdiction qui pèse sur la diffusion des écrits révisionnistes. Pourquoi lui demandez-vous alors s'il est toujours «personnellement » hostile à l'interdiction de livres ?
Je ne peux que reprendre les termes de ma lettre ouverte. Dans une grande salle de Normale Sup pleine à craquer étaient réunis un grand nombre de mes ennemis les plus immédiats et les plus hystériques, qui ignoraient que j'avais connu Jospin personnellement. C'est pourquoi j'ai dit «Vous m'aviez personnellement promis ». En reprenant le mot personnellement dans sa réponse, Lionel signifiait ce que je savais déjà, que son opposition personnelle à la censure céderait le pas aux «nécessités» politiques. C'était clair.
Lors d'un précédent entretien, vous m'aviez raconté comment François Mitterrand, alors en pleine préparation du Programme commun de la Gauche, était entré un jour dans votre librairie de la rue des Fossés-Saint-Jacques pour y acheter un ouvrage de Karl Marx. Or vous aviez été l'auteur d'un «tomatage » de François Mitterrand, que Lionel Jospin n'ignorait semble-t-il pas.
Cela fait partie des anecdotes que je tiens en réserve. Mais Mitterrand n'est pas entré parce qu'il cherchait un texte de Karl Marx. Il passait fréquemment à cette époque devant la Vieille Taupe avec sa secrétaire en se rendant chez Maurice Duverger, qui habite un peu plus haut dans la rue. C'était l'époque de la grande mystification. Le Congrès d'Épinay et l'OPA sur la Gauche et les gauchistes par la Francisque.
J'avais en vitrine une brochure des Cahiers Spartacus La critique des programmes de Gotha et d'Erfurt par Karl Marx. François s'est longuement arrêté devant la vitrine, puis, ostensiblement son attention s'est fixé sur cette brochure. François est entré tout sourire en pensant se faire remarquer pour souligner l'intérêt qu'il feignait de porter à une problématique révolutionnaire dans la rédaction du programme auquel il se consacrait selon ce que disait la presse.
Tout cela était ridicule et il a très vite senti que nous n'étions pas dupe, et une ambiance pesante de mépris à couper au couteau s'est installée. Son sourire s'est effacé, il a pris sa monnaie et il est sorti sans prononcer un mot.
Manifestement il avait entendu parler de La Vieille Taupe, y compris par Jospin, et il tentait une opération de relation publique, un peu comme Laurent Fabius vient personnellement acheter sa baguette de pain à la boulangerie en dessous de chez-moi, uniquement au début des périodes électorales.
Pourquoi avoir adressé à Lionel Jospin, une première, puis une deuxième lettre ouverte ? Et pourquoi, aujourd'hui, vous êtes-vous décidé à parler enfin de vos relations avec Lionel Jospin après tant d'années de silence ?
Mes relations avec Lionel Jospin ont toujours été parfaitement simples et naturelles, et ne présentent aucun intérêt particulier. Elles n'acquièrent une signification sulfureuse que du fait de la diabolisation hystérique dont les révisionnistes en général, et moi-même en particulier, ont été et sont l'objet. Lionel est devenu Premier ministre d'un gouvernement qui pratique la censure et a promulgué le dogme exterminationniste. Il est Premier ministre d'un gouvernement fondé sur l'exploitation d'une diabolisation dont il sait parfaitement qu'elle est injustifiée.
Je ne me suis d'ailleurs pas adressé à lui au nom de nos anciennes relations. Je m'adresse à lui au nom de principes généraux. Ma première lettre était motivée par le fait que la condamnation de Roger Garaudy et de moi-même, l'interdiction du «Rapport Rudolf», la révocation de Vincent Reynouard, instauraient, sous son gouvernement, et au nom de la démocratie, un totalitarisme qui ne le cédait en rien au stalinisme et au fascisme !
Ma deuxième et dernière lettre était motivée par la révocation de Serge Thion et les conditions totalement illégales dans lesquelles elle fut effectuée, et par l'annulation invraisemblable des diplômes de Jean Plantin par l'Université, mais aussi par la veulerie vraiment extraordinaire dont à fait preuve l'ensemble de la gent universitaire en cette occasion.
Le seuil de l'infamie était franchi !
Il l'était certes depuis longtemps, mais il m'a semblé que survenait maintenant quelque chose d'irrémédiable. Quelqu'un qui acceptait ça, sous sa responsabilité, n'était plus capable de résister à rien. Exit Lionel.
Mais cette dernière lettre était écrite avant le 11 septembre 2001.
A cette époque ancienne, seuls les «négationnistes», en Occident, avaient à subir cette démocratie totalitaire qui ne le cède en rien au stalinisme et au fascisme, mais en moins violent parce que la situation n'en est pas encore là.
Aujourd'hui, la démocratie vigipiraté grâce à l'émotion provoquée (l'émotion) par le bombardement de New-York, va s'abattre sur tout ce qui bouge et sur la population entière, dans la mesure où elle bougera.
Les situations qui font les dictateurs, que j'évoquais dans ma lettre dernière, les conditions en sont maintenant réunies, quel que soit d'ailleurs le Président qui sera finalement élu.
L'autocollant que j'avais placardé le 9 septembre 2001 à l'entrée de l'église de Thouars, en travaux de réhabilitation, était signé :«Comité des insoumis et déserteurs de la troisième guerre mondiale».
La Vieille Taupe diffuse cet autocollant depuis deux ans !
Face à la guerre impérialiste, j'en appelle à l'esprit de Paul Rassinier et de Robert Jospin. J'en appelle à l'esprit de Zimmerwald et de Kienthal.
Les américains viennent de découvrir ce que c'est que la guerre. Ils viennent de subir ce qu'ils aiment tant faire subir aux autres…
Il s'agit maintenant pour l'humanité de vaincre le terrorisme… en commençant par ne pas se mettre au service du terrorisme le plus puissant.
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