:::::::: histoire :: pays de l'est ::

18/03/04 5.43 t.u. Petr Savitsky

Il y a quelque chose de commun entre la situation de la France aux temps de la Grande Révolution et celle de la Russie dans les années présentes. A cette époque, tout comme maintenant, un pays européen apporte la « parole nouvelle ». Ce pays, en sortant de ses frontières politiques grâce à l’élan révolutionnaire, conquiert presque entièrement l’Europe, mais la partie restante de celle-ci, en s’unissant en coalition, finit par le dompter.

La Russie à l’époque antérieure à la guerre et à la révolution était « un état civilisé contemporain de type ‘occidental’, bien que, en fait, le moins discipliné entre tous » (H.D. Wells). Mais au cours de la guerre et de la révolution, la « nature européenne » de la Russie s’est effacée, comme un masque qui tombe du visage. Et nous avons vu l’image de la Russie, non plus cachée par les étoffes des ornements historiques – nous avons vu la Russie bifrons ... Avec une face, elle est tournée vers l’Europe ; ainsi comme la France en 1798, elle apporte à l’Europe la « parole nouvelle » – et cette fois la parole nouvelle est celle de la « révolution prolétarienne », du communisme réalisé.

Mais, avec l’autre, elle a détourné son visage de l’Europe... (à ce propos, Wells raconte que « Gorki est oppressé, comme dans un cauchemar, par la crainte que la Russie puisse se tourner vers l’Orient ». Mais la Russie elle-même, n’est elle pas déjà l’Orient ?

On trouve pas donc en Russie beaucoup de gens dans les veines de qui coule du sang khazar ou polovsien, tatar ou bachkir, mordve ou tchouvatche ? Y a-t-il vraiment beaucoup de Russes entièrement étrangers à l’empreinte de l’esprit oriental – à sa mystique, enfin à sa paresse contemplative ? Parmi les masses simples de Russie est évidente une certaine inclination vers les masses simples de l’Orient, ainsi que la fraternisation organique de l’homme orthodoxe avec le nomade ou le pariah de l’Asie. Vraiment, la Russie est un pays orthodoxe-musulman, orthodoxe-bouddhiste.

Les bolcheviks décrétèrent la persécution des Orthodoxes et la profanation de toutes les croyances. C’est comme ça. Mais avec la plus grande clarté – accentuée par la force même
du contraste – en sortit un sentiment religieux répandu dans ces masses russes et non-russes, poussé et animé par le bolchevisme lui-même.

La profanation bolchevik, ou bien l’indifférence bolchevik envers la foi contribuent à la compréhension de la Russie ainsi peu que la politique bolchevik traduit dans la réalité les redondantes énonciations de Marx.

Mais justement parce que la Russie n’est pas seulement « Occident », mais aussi « Orient », pas seulement « Europe », mais aussi « Asie », et même pas du tout Europe, mais « Eurasie » – justement par tout cela, à cette substance historique, qui avait été mise entre parenthèses dans la Grande Révolution Française, s’associe la Révolution Russe. La révolution française, ce fut une révolution dans un pays avec une population de 25 millions d’habitants et une superficie de 540 millions de km2. La révolution russe survint dans un pays de 150 millions d’habitants et de 20 millions de km2. La France est une partie de l’Europe. La Russie, c’est déjà un « continent en soi », au sens précis de sa comparabilité avec l’Europe.

Aux Alliés de 1814-1815, la force suffit pour dompter et occuper la France. Quelle devrait être enfin la nouvelle coalition capable de dompter et d’occuper la Russie ? ...

... Parmi d’énormes souffrances et privations, au milieu de la disette, dans le sang et la sueur, la Russie a pris sur soi le poids de la recherche de la vérité en tout et par tout. La Russie est dans la faute et dans l’athéisme, dans l’abomination et la souillure. Mais la Russie est aussi à la recherche et à la bataille, à la punition de la cité étrangère .... Le pathos de l’histoire ne repose jamais sur celui qui est tranquille dans la connaissance de la vérité, sur celui qui est satisfait et rassasié. Les langues de feu de l’inspiration descendent seulement sur les esprits inquiets : ce sont alors les ailes de l’Ange du Seigneur qui ont secoué les eaux des fonts baptismaux.

Donc la Russie n’appartient plus aux civilisations bien ordonnées du monde. Et dans cette absence se trouve le changement – lorsque dans sa manière personnelle de non-être, la Russie devient le point de concentration idéologique du monde.

Traduit dans la langue de la réalité, cela peut signifier que, dans l’arène de l’histoire mondiale, un nouveau monde culturel et géographique a fait son apparition. Le regard brûlant fixé sur l’avenir : ne s’éloigne-t-elle pas vers l’Orient, la déesse de la Civilisation, dont la tente au cours des siècles fut plantée entre les vallées et les collines de l’Occident Européen ? ne va-t-elle donc pas vers ceux qui souffrent de la faim, du froid, de la douleur ? ...

Nous possédons la faculté du pressentiment ... Et dans ce pressentiment on peut retrouver l’origine de cette espèce particulière de complaisance, la complaisance de celui qui souffre ... Mais se livrer à la complaisance, cela veut dire périr. Il est impossible de cacher ce qu’on tient pour la vérité. Mais aussi impossible de s’apaiser dans le pressentiment. L’inéluctable n’existe pas. La possibilité existe. Seulement sur la voie de la création intense, ne craignant pas de se confesser dans l’erreur et de se reconnaître frêle – seulement au prix d’un effort incessant, la possibilité atteint le niveau de l’actualité.

Trad. Martino Conserva