Chaises musicales à la tête de Tsahal
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27/09/02 |
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11.19 t.u. |
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Yag Bazhdid |
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La nouvelle a été assez médiatisée pour qu’elle ne passe pas inaperçue. Au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée à la présidence du Conseil, le général Moshé “Bougui” Yaalon (52 ans) a été élevé au rang de Ra’Mat’Kal (chef d’état-major israélien). Le Premier ministre, le général (CR) Ariel “Arik” Sharon, et le ministre de la Défense, le général (CR) Binyamin “Fouad” Ben-Eliezer, ont épinglé les galons de rav alouf (général d'armée) sur l'uniforme de Moshé Yaalon,
Yaalon a été, entre 1995 et 1998, Rosh A'Man (patron du renseignement militaire israélien, A'Man), avant d'être nommé chef du commandement Centre de Tsahal, puis adjoint au chef d'état-major.
Cet ancien parachutiste, y remplace le lieutenant-général Shaul Mofaz, qui a dirigé d’une main de fer l’armée israélienne durant trois ans et se retire au terme d’une carrière militaire de 36 ans, Yaalon est donc le 17ème chef d’état-major de Tsahal depuis la création de l’État hébreu.
Au cours de son discours d’adieu, Mofaz qui, selon la tradition locale devrait rejoindre les sphères de la haute politique (on le dit attendu au Likoud), a souligné qu’il laissait une armée " forte et prête à accomplir toutes les missions qui pourraient lui être confiées ".
Pas rancunier de ce petit coup dans le tibia, Yaalon a, rendu, aussi sec, un hommage appuyé à son prédécesseur, mais a tout de même tenu à rappeler u’Israël se trouvait aujourd’hui engagé dans " l’une des guerres les plus difficiles de son histoire ".
Quant à ses rapports avec le personnel politique, on en sait, somme toute assez peu de choses.
Sauf que ses relations avec le titulaire des Affaires étrangères, Shimon Pérès, promettent d’être orageuses, dans la mesure où Yaalon, sans attendre s’être installé dans sa charge, avait déjà allumé Pérès.
Comme le rapportait Amir Rappoport, soulignant que " Le nouveau chef d’état-major israélien, le général Moshé Yaalon (qui doit entrer en fonctions le 1er juillet prochain) accuse le ministère des Affaires étrangères de “ne pas agir conformément aux décisions adoptées par le gouvernement”. Selon Yaalon, la diplomatie israélienne continue de présenter Arafat comme étant le dirigeant légitime du peuple palestinien et ce en dépit du fait qu’Arafat a été décrété “hors-jeu” par le gouvernement israélien "(1).
Au ministère des Affaires étrangères israélien, on feindra la surprise, arguant, un brin caustique que " Yaalon a suffisamment de pain sur la planche au plan militaire, et mieux vaut qu’il se concentre sur ses propres tâches pour le bien de la hiérarchie du pouvoir. Si le chef d’état-major ou son adjoint ont des reproches à faire, qu’ils les fassent dans les forums appropriés et non devant la presse "(2).
Mais au fond, quel rôle joue encore Pérès sur l’échiquier politique israélien ? La pique du successeur de Mofaz s’apparentait davantage à un rappel à l’ordre, par anticipation, quant à l’importance respective des deux postes.
Plus notable semble avoir été la controverse qui a opposé le, alors futur Ra’Mat’Kal, au Département d’État américain, au cours de ses derniers entretiens à Washington.
Yaalon, rapportait Aroutz Sheva, " a en effet déclaré, il y a quelques jours, que Yasser Arafat n’était plus associé au processus diplomatique et qu’il était superflu de déployer des efforts dans ce sens. Il a ajouté qu’il était possible de régler le problème du terrorisme par des moyens militaires et a rappelé qu’il avait déjà mis en garde, lorsqu’il occupait les fonctions de directeur des Renseignements militaires israéliens, contre le régime d’Arafat. Au Département d’État, les propos de Yaalon n’ont pas été accueillis favorablement, la voie diplomatique étant toujours considérée comme indispensable, parallèlement à la lutte armée contre le terrorisme. Les responsables américains ont également estimé qu’Israël devait maintenir le dialogue avec Arafat "(3).
À quoi pouvait bien correspondre cette mouche du couche prise par Yaalon ?
À simplement faire comprendre au partenaire américain que, quant au fond, aucun changement ne serait à attendre du passage de relais entre lui-même et Mofaz. Qu’en clair l’actuelle confrontation israélo-palestinienne était partie pour durer quel que puisse être le titulaire du poste.
Et Moshé “Bougui” Yaalon soulignait, à qui voulait l’entendre, que " le retrait du Liban, a signifié pour les arabes l’affaiblissement d’Israël, et a encouragé les Palestiniens à redoubler leurs attaques afin d’obtenir le recul des forces israéliennes sur d’autres fronts "(4). Et que le conflit actuel est " le plus important depuis la guerre d’indépendance, et la seule solution est de se montrer déterminés. Le vainqueur sera celui dont la force de résistance sera la plus grande "(5).
Or, s’il apparaît désormais clair que Tsahal n’a nullement l’intention de baisser sa garde, reste donc à savoir quelle sera la prochaine cible des militaires israéliens.
Selon Yosef Grodzinsky, " Le départ à la retraite imminent du chef d'état-major actuel, le lieutenant général Shaul Mofaz, a conduit ce dernier à faire pression sur Sharon pour entrer maintenant dans Gaza. Il veut en retirer le crédit nécessaire pour un bon début à une future carrière politique "(6).
Or, c’est exactement le message qu’est allé porter Yaalon à Washington, où il a " clairement fait savoir qu'une invasion de Gaza n'est qu'une question de temps, que Colin Powell s'est trompé en laissant Arafat s'en tirer à bon compte, et qu'une visite de George Tenet au Proche-Orient est inutile. Ce ton agressif montre que les Israéliens ne s'inquiètent guère de la pression américaine, mais ce n'est pas tout : il laisse peu de place à l'optimisme en ce qui concerne l'avenir "(7).
Évidemment, vu de nos démocraties, ce comportement passablement napoléonien a de quoi surprendre. Mais il serait particulièrement dangereux de n’y voir qu’une simple forfanterie de vielle culotte de peau. En effet comme le rappelle le correspondant militaire du Yediot, Alex Fishman, le poste de chef d'état-major est, en Israël, une fonction qui a une " influence déterminante "(8) sur la vie des Israéliens.
Car si " Les politiciens ont en effet pris l'habitude de considérer le chef d'état-major comme leur propre entrepreneur. Ce qu'il n'est pas. Le chef d'État-major israélien est un architecte. Il a pour responsabilité de préparer l'armée à défendre une cause juste (…). Il est responsable de l'entreprise la plus importante et la plus coûteuse d'Israël et, à ce titre, c'est un devoir pour lui de s'exprimer, de faire entendre à haute voix son opinion, que cela plaise ou pas à tel ou tel politicien "(9).
Et de dresser un portrait de Yaalon qui fait de lui, tout sauf un fantaisiste. Pour Fishman, le nouveau chef d’état-major israélien, " est un homme qui réfléchit posément et qui hésite. L'une des commissions qu'il a créées, dans la perspective de son entrée en fonction, doit déterminer les moyens d'utiliser le plus efficacement et le plus intelligemment possible toute la puissance militaire de Tsahal. Sa mission prioritaire sera de définir comment Tsahal peut poursuivre sa lutte contre le terrorisme dans les territoires. On attend beaucoup en Israël du nouveau chef d'état-major. Il possède toutes les compétences nécessaires pour réussir "(10).
On cherchera, en vain, la faille chez Yaalon, qui pourrait faire de lui un homme porté aux concessions. À l’évidence, ce ne sera pas sur le dossier des colonies. À ses yeux, le démantèlement de celles trop isolées constituant à ses yeux " une prime au terrorisme ".
Sa nomination a, en tout cas, été accueillie avec sérénité par le Premier ministre israélien, le général (CR) Ariel “Arik” Sharon, qui s’est dit " certain que vous saurez faire face aux difficiles défis qui vous attendent. Le combat est quotidien contre le terrorisme, jusqu’à ce qu’il soit vaincu, car, s’il n’est pas vaincu, nous ne pourrons parvenir à la paix ".
Quant à sa concession sur Arafat, dont il a estimé que l’expulsion " ne ferait que restaurer sa légitimité internationale ", elle se fonde sur une approche où le pragmatisme le dispute au mépris le plus froid, car poursuite l’officier, à propos du président de l’Autorité nationale palestinienne, " Plutôt que de l’expulser, il est préférable de continuer à l’ignorer ".
Et Zeev Shiff de rappeler que le Yaalon est l'un des " chefs de file de la campagne de discrédit menée contre Yasser Arafat. Contrairement à Shaul Mofaz, le général Yaalon ne souhaite pas l'expulsion physique d'Arafat mais uniquement son éviction politique. Et il mène ce combat depuis l'époque où il occupait les fonctions de chef des renseignements militaires, sous Itzhak Rabin "(11).
" En octobre 1995 ", poursuit Zeev Shiff, Yaalon aurait demandé au Premier ministre israélien, le général (CR) Itzhak Rabin de " poser un ultimatum afin que cesse la collaboration " d’Arafat avec son opposition islamique. Rabin aurait accepté la requête, mais " a été assassiné avant de pouvoir la mettre à exécution "(12). Yaalon a persévéré dans son analyse, s’en prenant même à la poursuite des pourparlers entre le président de l’Autorité nationale palestinienne, et le fils du Premier ministre, Omri Sharon.
Citons encore Zeev Shiff qui rappelle qu’ au " cours des derniers mois, c’est Yaalon qui a mené la " vaste campagne contre les réfractaires qui refusent de servir dans les Territoires "(13).
Pour terminer avec le personnage, notons qu’une partie de la presse arabe voit dans Yaalon, le théoricien des plus récentes violation du droit humantaire perpétrérs par les forces d’occupations israéliennes
Ainsi, Al-Watan stgmatise le nouveau chef d'état-major israélien comme le " théoricien des massacres commis dans le camp de réfugiés de Djénine "(14) et ajoute que Yaalon fait sienne " la théorie consistant à élargir la guerre contre le Hezbollah et d'autres pays arabes qu'il considère comme dangereux ". " Les experts ", poursuit le quotidien séoudien, " doutent que la situation puisse rester longtemps calme sur la frontière du nord avec la nomination de Yaalon à la tête de Tsahal, lui qui prétend que le Hezbollah possède 8 000 missiles capables d'atteindre Haïfa. Il appelle à en finir avec le Hezbollah et avec la Syrie. Il attend la première occasion pour mettre en application ses plans "(15).
Notes
(1) Yediot Aharonot (14 mai 02).
(2) Idem.
(3) Aroutz Sheva (20 mai 02).
(4) Idem.
(5) Idem.
(6) http ://freud.tau.ac.il/~yosef1 (18 mai 2002).
(7) Idem.
(8) Yediot Aharonot (9 juillet 2002).
(9) Idem.
(10) Idem.
(11) Ha’aretz (10 juillet 2002).
(12) Idem.
(13) Idem.
(14) Al-Watan (15 juillet 2002).
(15) Idem.
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