L'Inde et la nouvelle doctrine de Bush
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19/11/02 |
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20.19 t.u. |
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Michael Waldherr |
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Aucun Etat singulier ne peut s'arroger de droits particuliers
L'Inde utilise la doctrine Bush contre le Pakistan dans le conflit du Cachemire
La Boîte de Pandore est ouverte. Le Président Georges W. Bush en porte la responsabilité. Dans la doctrine Bush, consignée dans la nouvelle "National Security Strategy of the United States", un droit nouveau a été énoncé, inconnu jusqu'ici dans le système du droit des gens: le droit à mener des "guerres préventives" pour éviter d'avoir à se défendre directement.
Les arguments du Président américain en faveur du droit à commencer une "frappe préventive" contre l'Irak sont considérés désormais, dans d'autres régions du monde, comme une justification à "régler des problèmes militaires" de la même façon. Récemment, le Président français Jacques Chirac avait averti le monde : "Ces arguments pourraient devenir dangereux si, par exemple, une puissance atomique comme l'Inde faisait valoir le même droit à une défense préventive face à une autre puissance nucléaire comme le Pakistan". A peine Chirac avait-il achevé son discours que le Ministre indien des finances, actuellement en poste, Jaswant Singh, déclarait à Washington : "La doctrine de la frappe préventive ne peut demeurer un droit particulier, propre à un seul Etat. Les actions préventives sont un droit et chaque Etat peut le faire valoir, afin d'empêcher une attaque contre sa propre souveraineté".
La déclaration de ce membre du gouvernement indien exprime en fait la colère indienne face au terrorisme islamiste, qui n'hésite jamais à franchir la frontière de l'Union Indienne, et qui a ses bases chez l'ennemi héréditaire pakistanais. Quatre ans après la promesse formulée par le Président pakistanais, le Général Pervez Musharraf, de ne plus tolérer que les "combattants" de l'armée de libération islamiste du Cachemire franchissent la frontière indo-pakistanaise en venant du Pakistan, les autorités indiennes, au contraire, n'ont jamais rien constaté d'autre qu'un accroissement continu des infiltrations et des violations de frontière, sans pouvoir réagir. Musharraf, qui a commencé par contester ces doléances indiennes, a fini par avouer qu'un petit nombre de violations illégales de la frontière avaient eu lieu. Mais pour noyer le poisson, il a aussitôt déclaré : "On ne doit évidemment pas s'attendre à ce que les troupes pakistanaises soient en mesure d'entreprendre des actions contre les extrémistes, alors que l'armée indienne, forte de plusieurs millions d'hommes, s'avère incapable de le faire". Les experts militaires doutent bien évidemment que les rebelles du Cachemire puissent mener leurs actions sans l'appui logistique de l'armée pakistanaise.
Les infiltrations islamistes dans la partie indienne du Cachemire ont augmenté sensiblement depuis le début de la campagne électorale dans la région; cette campagne a commencé fin août et déjà 350 personnes y ont été tuées. L'attentat contre le Temple hindou de Gujarat prouve, si besoin s'en faut, que les combattants islamistes de l'ombre sont capables d'attaquer des cibles sur le territoire indien lui-même. L'Inde n'impute pas la responsabilité de ces carnages au seul Pakistan mais accuse également les Etats-Unis, qui déçoivent profondément l'opinion publique indienne. Washington n'a pas réussi, disent la presse et les autorités indiennes, à mettre un frein aux ambitions de leur allié Musharraf. Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, l'Inde espérait que l'Occident allait opérer une réelle volte-face en matière de terrorisme et allait contraindre le Pakistan à mettre fin à la guerre qu'il mène sans discontinuité contre l'Inde, par interposition des "combattants du Cachemire". Mais, fin renard, Musharraf a aussitôt adhéré à la coalition anti-terroriste, devenant du même coup un allié incontournable des Etats-Unis dans leur lutte contre le réseau Al-Qaida et contre les Talibans. Pour la Realpolitik américaine, dans les circonstances actuelles, trouver une solution au conflit du Cachemire n'est plus qu'une préoccupation très secondaire. A la Nouvelle Dehli, on le sait fort bien et le Premier Ministre indien Atal Bihari Vajpayee a déclaré très clairement: "Finalement, l'Inde ne peut compter sur personne et doit dès lors mener seule son combat contre le terrorisme".
Chaque nouvelle victime, assassinée par les bandes islamistes au Cachemire ou ailleurs en Inde, amène l'opinion publique indienne à vouloir frapper militairement le Pakistan. Certes, les médias indiens craignent d'utiliser le concept de "guerre", vu le risque d'escalade nucléaire. Mais les journalistes indiens écrivent ouvertement qu'il sera à l'avenir possible de lancer des attaques ponctuelles ou des interventions de commandos contre le Pakistan, dans des proportions quatre fois supérieures à ce que l'Inde aura subi de la part de ces combattants islamistes soutenus par Islamabad.
Cette situation déplaît évidemment aux Etats-Unis, car ils ont toujours besoin de Musharraf, comme auparavant. Ce dernier avertit ses voisins indiens de manière quasi prophylactique en les enjoignant à ne pas commettre "d'aventures militaires". A Washington, on a tiré la sonnette d'alarme, parce que toute escalade potentielle dans le conflit du Cachemire n'entre nullement dans le programme fixé à l'avance par le Pentagone. Celui-ci insiste lourdement sur le fait que la doctrine Bush, prévoyant le droit à lancer des frappes préventives, est uniquement réservée aux Etats-Unis, car ils sont la seule et l'unique puissance d'envergure mondialeS
Michael WALDHERR.
(article paru dans "Junge Freiheit", n°43/octobre 2002; http://www.jungefreiheit.de ).
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